De la prise de conscience au déni, jusqu’à la décrédibilisation du consensus scientifique et, enfin, au greenwashing : les conclusions de l’étude, publiée mercredi 20 octobre dans la revue scientifique Global Environmental Change, sont accablantes pour Total. Des chercheurs français et américains ont décortiqué des archives datant de 50 ans. Ils ont ensuite mené de nombreux entretiens avec d’ancien·ne·s cadres du groupe pétrolier pour décrypter les différentes stratégies utilisées par Total sur la question du climat.
Tout commence en 1971 lorsqu’un long article, publié dans le magazine de l’entreprise, Total Information, évoque les dangers de la quantité croissante de combustibles fossiles brûlés par l’homme. L’auteur de l’article, un géographe expert en climatologie, envisage « une augmentation de la température moyenne de l’atmosphère » et « une fonte au moins partielle des calottes glaciaires des pôles » qui pourrait entraîner une élévation des niveaux marins. Avant de conclure : « Ses conséquences catastrophiques sont faciles à imaginer… ».
D’autres documents internes étudiés par les chercheurs prouvent que le groupe reconnaît le risque climatique. Pourtant, en public, les dirigeant·e·s de Total nient son existence. « Rien n’est aussi simple ni tranché. La corrélation n’est pas prouvée », affirme le président d’honneur de Total en 1982 (France Info).
À partir de 1988, Total change son fusil d’épaule face à l’abondance d’études scientifiques sur le changement climatique. Le groupe adopte alors la « fabrique stratégique du doute ». Son objectif est simple : financer des recherches scientifiques qui relativisent l’urgence du changement climatique dans le but de retarder la mise en place de mesures contraignantes.
Nouveau changement de stratégie au début des années 2000, lorsque Total finit par reconnaître les conclusions du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Le groupe accueille des conférences sur le changement climatique et investit dans des projets volontaristes pour l’environnement : c’est la stratégie du greenwashing. Selon les auteurs de l’étude, Total commence alors « à promouvoir une division des rôles entre la science et les affaires, où la science décrit le changement climatique et les entreprises prétendent le résoudre », et revendique sa légitimité à jouer un rôle là-dessus en mettant en avant sa « transition énergétique ».
En 2021, Total est officiellement devenu TotalEnergies, une manière supplémentaire de prouver son engagement environnemental. Comme l’a repéré Le Monde, « s’il est vrai que TotalEnergies se développe massivement dans les énergies renouvelables, ces dernières ne représentent aujourd’hui que 0,2 % de sa production, une part qui devrait grimper entre 1,1 % et 1,6 % en 2025, selon les calculs réalisés par l’ONG Reclaim Finance ». Sans oublier que le groupe continue, en parallèle, de lancer de nouveaux projets pétroliers.
En amont de la publication de l’étude, Total a nié avoir dissimulé son impact sur le changement climatique et affirmé à l’AFP que « la connaissance qu’avait TotalEnergies du risque climatique n’était en rien différente de la connaissance émanant de publications scientifiques de l’époque ».
Total n’est pas le premier géant à avoir tenté d’étouffer le scandale. En 2017, une étude montrait que le pétrolier ExxonMobil avait conscience de l’origine anthropique du changement climatique depuis les années 1980 mais avait continué à entretenir le doute pour faire fructifier ses activités (notre article à ce sujet).