La fausse bonne idée

La climatisation : pire remède aux vagues de chaleur et accélérateur de la crise climatique

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La clim attise. À chaque nou­v­el épisode de chaleur extrême, la ten­ta­tion est grande de se ruer sur les stocks de cli­ma­tiseurs pour trou­ver un peu de fraîcheur. Mais ceux-ci aggravent encore un peu plus le boule­verse­ment du cli­mat.

Large­ment moquée pour sa sor­tie sur le sujet, la nou­velle min­istre de l’écologie Amélie de Montchalin n’avait pour­tant pas tout à faire tort lorsque, début juin, elle a sug­géré aux Français·es de « ne pas sur-utilis­er leur cli­ma­ti­sa­tion » afin de ne pas aggraver le dérè­gle­ment cli­ma­tique. Plus que la con­séquence ou le symp­tôme de la crise, les cli­ma­tiseurs en sont l’un des moteurs.

Pen­dant qu’elle améliore le con­fort de celles et ceux qui l’u­tilisent, notam­ment dans les vastes tours de bureaux en verre qui n’ex­is­tent que grâce à elle, l’air chaud qu’elle rejette vers l’extérieur aggrave l’effet « îlot de chaleur » et aug­mente la tem­péra­ture de 1 °C en moyenne dans les villes analysées par une étude menée dans l’Arizona (États-Unis).

La clim néces­site aus­si de vastes quan­tités d’én­ergie : chez celles et ceux qui y ont recours — un quart des ménages français, selon l’Ademe -, les sys­tèmes de cli­ma­ti­sa­tion ont des con­som­ma­tions moyennes qui vont de 460 kWh/an pour les pom­pes à chaleur, au dou­ble pour les clim’ mobiles (EDF Recherche et développe­ment). Soit l’équiv­a­lent de un à deux mois de con­som­ma­tion moyenne d’élec­tric­ité d’un ménage français. Or, c’est bien vers ces objets d’appoint que se diri­gent les con­som­ma­teurs en pleine vague de chaleur. Tou­jours selon l’Ademe, 64 % des bureaux sont équipés, con­tre 7 % des bâti­ments d’en­seigne­ment. Les bache­liers qui bûchent ce mer­cre­di sur leur épreuve de philoso­phie apprécieront.

© Sana­ga pour Vert

À l’échelle mon­di­ale, la cli­ma­ti­sa­tion représente 10% de la con­som­ma­tion totale d’élec­tric­ité, selon l’Agence inter­na­tionale de l’énergie. Une élec­tric­ité majori­taire­ment pro­duite à par­tir d’énergies fos­siles. Elle requiert l’usage de gaz très pol­lu­ants comme les hydro­flu­o­ro­car­bu­res, au pou­voir de réchauf­fe­ment jusqu’à 15 000 fois supérieur au CO2, qui sont notam­ment relâchés quand les cli­ma­tiseurs sont mal retraités. De quoi aggraver encore la crise cli­ma­tique.

Elle est aus­si une source d’iné­gal­ités dans le monde. Ce sont les pays rich­es — mal­gré des cli­mats plus tem­pérés — qui sont le plus équipés (90% au Japon et aux États-Unis). Soit bien davan­tage que les pays des régions les plus chaudes, qui souf­frent beau­coup plus des con­séquences de la crise cli­ma­tique dont ils sont moins respon­s­ables. Moins de 5% des ménages en Afrique sub­sa­hari­enne pos­sè­dent un sys­tème de cli­ma­ti­sa­tion ; 10% en Inde.

Dans les lieux col­lec­tifs notam­ment, la cli­ma­ti­sa­tion per­met de réduire cer­taines des souf­frances infligées aux plus frag­iles et aux plus âgé·es lors des pics de chaleur. Mais à plus long terme, elle con­stitue l’une des pires solu­tions d’adap­ta­tion, comme l’a expliqué l’auteur du deux­ième volet du dernier rap­port du Groupe d’experts inter­gou­verne­men­tal sur l’évolution du cli­mat (Giec), Gonéri Le Cozan­net (Vert). Les « bonnes solu­tions », selon le Giec, doivent régler plusieurs prob­lèmes à la fois et, surtout, ne pas en créer de nou­veaux. Iso­la­tion des loge­ments ou végé­tal­i­sa­tion des villes ; voici des chantiers qui per­me­t­traient de se pass­er plus facile­ment de cli­ma­tiseurs dans un monde qui se réchauffe.

Alors, Mme la min­istre, chiche pour couper la clim’ dans la tour en verre du min­istère de la tran­si­tion écologique qui trône sur le parvis béton­né de la Défense ?