Reportage

À Bordeaux, la végétalisation à l’assaut du béton et de la chaleur

Frappées par des épisodes de chaleurs de plus en plus intenses et précoces, les villes doivent s’adapter pour offrir à leurs habitant·es des espaces de fraîcheur. À Bordeaux, où le mercure a atteint 31 °C ce mercredi, la municipalité écologiste mise sur la végétalisation - au prix d’un important travail de pédagogie et de concertation. Reportage.
  • Par

Didi­er Jean­jean, l’ad­joint au maire en charge de la nature en ville et des quartiers apaisés, étale ses plans sur le capot d’une voiture. Nous sommes sur une petite placette tri­an­gu­laire au croise­ment de la rue Laroche et de celle du Lavoir — deux axes de cir­cu­la­tion qui n’ont jamais aus­si bien porté leur nom, alors que la mairie envis­age ici de sup­primer les places de sta­tion­nement pour planter des arbres et per­méa­bilis­er le sol en libérant de la pleine terre.

Un aperçu de la placette située au croise­ment de la rue du Lavoir et de la rue Laroche © Anne-Sophie Nov­el / Vert

« Sur cette place très minérale, l’eau de pluie s’écoule dans les caniveaux et le park­ing cen­tral par­ticipe à la hausse des tem­péra­tures en cas de gross­es chaleurs », explique l’élu en pré­cisant que ce site a été iden­ti­fié, avec une quar­an­taine d’autres, comme pri­or­i­taires. Il s’agit d’« îlots de chaleur urbains » : en journée, la pierre, la brique ou le béton y emma­gasi­nent facile­ment la chaleur. Plus les sur­faces sont dens­es et les murs élevés, plus cette accu­mu­la­tion est forte. La nuit, l’énergie emma­gas­inée se dif­fuse dans l’atmosphère, ce qui empêche l’air de se refroidir. Et tous les quartiers ne sont pas égaux face à la chaleur.

Pour remédi­er à cela, la mairie a lancé, l’an dernier, l’opération « Bor­deaux grandeur nature », un vaste chantier de végé­tal­i­sa­tion conçu sur six ans — soit six saisons de plan­ta­tion. En 2020–2021, la pre­mière phase a été mar­quée par la plan­ta­tion de 1 600 arbres (dont 130 fruitiers et 350 arbustes à petits fruits). En 2021–2022, pas moins de 1 626 arbres ont été plan­tés.

L’opéra­tion de plan­ta­tion menée en novem­bre 2021 © Philippe Lopez/AFP

« Out­re l’apport de fraîcheur, les arbres fil­trent les pol­lu­ants atmo­sphériques et abri­tent toute une faune pré­cieuse, dont les insectes et oiseaux », rap­pelle l’édile. Fin 2021, Bor­deaux a signé la Déc­la­ra­tion des droits de l’arbre ; un texte rédigé par l’association A.R.B.R.E.S. avec le sou­tien d’arboristes pro­fes­sion­nels, de juristes et de par­lemen­taires, proclamé devant l’Assemblée nationale en avril 2019. Ce dis­posi­tif entend les pro­téger stricte­ment à tra­vers un volet péd­a­gogique — pour informer les maitres d’œuvres sur les moyens de pro­tec­tion à déploy­er pour les chantiers situés à prox­im­ité d’arbres, et un volet répres­sif, pour répar­er les dom­mages éventuels, qui prévoit des sanc­tions finan­cières et des mesures de com­pen­sa­tion. Ain­si, la Ville a déjà imposé à un opéra­teur de replanter 25 arbres suite aux dom­mages causés à 13 arbres. Elle a aus­si mod­i­fié le Plan local d’urbanisme pour tripler le nom­bre d’arbres pro­tégés.

Faire dans la dentelle… végétale

En phase avec les recom­man­da­tions du Giec (Groupe d’experts inter­gou­verne­men­tal sur l’évolution du cli­mat), qui affirme que l’adaptation au change­ment cli­ma­tique passe par les solu­tions basées sur la nature, cette ambi­tion se heurte à la force des habi­tudes et à celle qui monop­o­lise l’espace pub­lic : la voiture. « Nos échanges avec les gens vont tous dans le sens de ce pro­jet. Mais lors de la mise en œuvre, nous sommes dans le sur-mesure, par rue et par quarti­er ! », promet Didi­er Jean­jean. « La pre­mière étape con­siste à rem­plac­er un usage par un autre, et non une voiture ther­mique par une élec­trique. Pour celles et ceux qui ne peu­vent s’en pass­er, on évoque l’autopartage et nous cher­chons des solu­tions de park­ing alter­na­tives ».

Sur la placette des rues Laroche et du Lavoir, les con­cer­ta­tions n’ont pas débuté encore. L’idée, si elles aboutis­sent, est de « décrouter » le sol du béton, d’améliorer les gra­vats, de réalis­er une butte, puis de planter. Une opéra­tion qui, si est menée à bien, per­me­t­tra de baiss­er la tem­péra­ture d’un degré dans un ray­on de 100 mètres. Il s’agit aus­si de lut­ter con­tre l’effondrement de la bio­di­ver­sité et de prévenir le risque d’inondation : en désim­per­méa­bil­isant en pri­or­ité les rues grâce à des plan­ta­tions en pleine terre, on favorise l’infiltration des eaux plu­viales.

Un aperçu des chantiers d’ores et déjà menés à Bor­deaux dans plusieurs îlots de chaleur © Anne-Sophie Nov­el / Vert

« On s’inspire de mul­ti­ples tech­niques éprou­vées par des spé­cial­istes comme Gilles Clé­ment, Fran­cis Hal­lé, Eric Lenoir ou Miyawa­ki, tout comme du tra­vail mené par Philippe Bernard au Jardin botanique de Bor­deaux depuis dix ans : l’idée est de planter avec du sens, à l’échelle de la ville. On choisit les essences selon les espaces et les sols, on cherche à offrir aux arbres le max­i­mum de chance de se plaire dans ces espaces, en creu­sant des fos­s­es con­tin­ues et non des box qui les frag­ilisent tant les racines poussent alors en chignon », détaille Didi­er Jean­jean.

À terme, la munic­i­pal­ité souhaite reli­er l’ensemble des espaces revégé­tal­isés par des « cor­ri­dors verts », avec la réal­i­sa­tion de voies pié­tonnes ou prom­e­nades plan­tées. « Il y aura des effets sig­ni­fi­cat­ifs d’i­ci à une dizaine d’années », a con­venu le maire de Bor­deaux en mars 2021, lors de la plan­ta­tion d’une pre­mière micro-forêt, sur une placette sim­i­laire du quarti­er de la gare Saint-Jean. Pour assur­er cette « recon­quête végé­tale », il en appelait alors aux habitant·es « pour qu’on aille cass­er du bitume dans leurs rues ».