Didier Jeanjean, l’adjoint au maire en charge de la nature en ville et des quartiers apaisés, étale ses plans sur le capot d’une voiture. Nous sommes sur une petite placette triangulaire au croisement de la rue Laroche et de celle du Lavoir — deux axes de circulation qui n’ont jamais aussi bien porté leur nom, alors que la mairie envisage ici de supprimer les places de stationnement pour planter des arbres et perméabiliser le sol en libérant de la pleine terre.
« Sur cette place très minérale, l’eau de pluie s’écoule dans les caniveaux et le parking central participe à la hausse des températures en cas de grosses chaleurs », explique l’élu en précisant que ce site a été identifié, avec une quarantaine d’autres, comme prioritaires. Il s’agit d’« îlots de chaleur urbains » : en journée, la pierre, la brique ou le béton y emmagasinent facilement la chaleur. Plus les surfaces sont denses et les murs élevés, plus cette accumulation est forte. La nuit, l’énergie emmagasinée se diffuse dans l’atmosphère, ce qui empêche l’air de se refroidir. Et tous les quartiers ne sont pas égaux face à la chaleur.
Pour remédier à cela, la mairie a lancé, l’an dernier, l’opération « Bordeaux grandeur nature », un vaste chantier de végétalisation conçu sur six ans — soit six saisons de plantation. En 2020–2021, la première phase a été marquée par la plantation de 1 600 arbres (dont 130 fruitiers et 350 arbustes à petits fruits). En 2021–2022, pas moins de 1 626 arbres ont été plantés.
« Outre l’apport de fraîcheur, les arbres filtrent les polluants atmosphériques et abritent toute une faune précieuse, dont les insectes et oiseaux », rappelle l’édile. Fin 2021, Bordeaux a signé la Déclaration des droits de l’arbre ; un texte rédigé par l’association A.R.B.R.E.S. avec le soutien d’arboristes professionnels, de juristes et de parlementaires, proclamé devant l’Assemblée nationale en avril 2019. Ce dispositif entend les protéger strictement à travers un volet pédagogique — pour informer les maitres d’œuvres sur les moyens de protection à déployer pour les chantiers situés à proximité d’arbres, et un volet répressif, pour réparer les dommages éventuels, qui prévoit des sanctions financières et des mesures de compensation. Ainsi, la Ville a déjà imposé à un opérateur de replanter 25 arbres suite aux dommages causés à 13 arbres. Elle a aussi modifié le Plan local d’urbanisme pour tripler le nombre d’arbres protégés.
Faire dans la dentelle… végétale
En phase avec les recommandations du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), qui affirme que l’adaptation au changement climatique passe par les solutions basées sur la nature, cette ambition se heurte à la force des habitudes et à celle qui monopolise l’espace public : la voiture. « Nos échanges avec les gens vont tous dans le sens de ce projet. Mais lors de la mise en œuvre, nous sommes dans le sur-mesure, par rue et par quartier ! », promet Didier Jeanjean. « La première étape consiste à remplacer un usage par un autre, et non une voiture thermique par une électrique. Pour celles et ceux qui ne peuvent s’en passer, on évoque l’autopartage et nous cherchons des solutions de parking alternatives ».
Sur la placette des rues Laroche et du Lavoir, les concertations n’ont pas débuté encore. L’idée, si elles aboutissent, est de « décrouter » le sol du béton, d’améliorer les gravats, de réaliser une butte, puis de planter. Une opération qui, si est menée à bien, permettra de baisser la température d’un degré dans un rayon de 100 mètres. Il s’agit aussi de lutter contre l’effondrement de la biodiversité et de prévenir le risque d’inondation : en désimperméabilisant en priorité les rues grâce à des plantations en pleine terre, on favorise l’infiltration des eaux pluviales.
« On s’inspire de multiples techniques éprouvées par des spécialistes comme Gilles Clément, Francis Hallé, Eric Lenoir ou Miyawaki, tout comme du travail mené par Philippe Bernard au Jardin botanique de Bordeaux depuis dix ans : l’idée est de planter avec du sens, à l’échelle de la ville. On choisit les essences selon les espaces et les sols, on cherche à offrir aux arbres le maximum de chance de se plaire dans ces espaces, en creusant des fosses continues et non des box qui les fragilisent tant les racines poussent alors en chignon », détaille Didier Jeanjean.
À terme, la municipalité souhaite relier l’ensemble des espaces revégétalisés par des « corridors verts », avec la réalisation de voies piétonnes ou promenades plantées. « Il y aura des effets significatifs d’ici à une dizaine d’années », a convenu le maire de Bordeaux en mars 2021, lors de la plantation d’une première micro-forêt, sur une placette similaire du quartier de la gare Saint-Jean. Pour assurer cette « reconquête végétale », il en appelait alors aux habitant·es « pour qu’on aille casser du bitume dans leurs rues ».
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