Entretien

Fanny Métrat, de la Confédération paysanne : «Ceux qui se sont battus contre la loi Duplomb devraient combattre le Mercosur»

Mercosur de rien. Le troisième syndicat agricole français s'est démarqué ces derniers mois par sa vive opposition aux politiques agricoles du gouvernement français. Ce mardi, à Paris, il organise une grande manifestation contre l'accord de libre-échange entre l'Union européene et plusieurs pays d'Amérique du Sud. Vert s’est entretenu avec l’une de ses porte-parole.
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Elle quitte ses montagnes ardéchoises pour monter à Paris avec des centaines d’autres paysan·nes. Éleveuse dans le massif des Cévennes, Fanny Métrat participe ce mardi à une grande journée de mobilisation contre le traité du Mercosur, organisée par la Confédération paysanne – syndicat défenseur d’une agriculture paysanne et respectueuse de l’environnement.

Dans la continuité de la rentrée explosive du mois de septembre, plus d’une cinquantaine de syndicats, d’associations environnementales et d’organisations de solidarité internationale ont rejoint l’appel à manifester contre ce projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et plusieurs pays d’Amérique du Sud (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et Bolivie).

Fanny Métrat prend la parole lors d’un rassemblement contre la loi Duplomb à Paris. © Esteban Grépinet/Vert

C’est aussi l’occasion pour elles et eux de soutenir plusieurs paysan·nes en procès ce mardi en raison de «violences» lors de la dernière action de la Confédération paysanne à Paris, en décembre 2024 (notre article). En sa qualité de porte-parole du troisième syndicat agricole de France, Fanny Métrat revient pour Vert sur les grands enjeux de cette journée d’actions.

La Confédération paysanne se rassemble à Paris ce mardi après-midi pour une grande journée de mobilisation. Quelles sont vos revendications ?

Nous avons choisi la date du 14 octobre pour mettre un coup de projecteur sur le procès [ce mardi, NDLR] de deux de nos camarades de la Confédération paysanne. Ils sont poursuivis pour une action que nous avions menée il y a un an au Grand Palais à Paris, le jour de la Bourse de commerce européenne [une journée de rencontre entre acteurs du marché européen de l’agro-alimentaire, NDLR].

Il s’agissait déjà de manifester contre les accords de libre-échange, et plus généralement contre la spéculation financière. Nous avons été très fortement réprimés par la Brav-M [la Brigade de répression de l’action violente motorisée, visée par plusieurs enquêtes judiciaires pour des actes de violences en manifestation, NDLR] et le sang coulait clairement de notre côté. Pourtant, ce sont deux de nos adhérents qui sont poursuivis pour des violences contre les forces de l’ordre.

Fanny Métrat, porte-parole de la Confédération paysanne. © Capture d’écran Facebook/Confédération paysanne d’Ardèche

Cette fois, nous allons manifester pour parler plus spécifiquement du traité du Mercosur, qui est en train d’être ratifié. Pour nous, tous les accords de libre-échange – que ce soit avec l’Amérique du Sud, le Maroc, le Mexique, Israël… – sont délétères pour le monde paysan partout sur la planète. Ce n’est pas pour rien si le Mercosur est en négociations depuis 25 ans : les filières agricoles françaises, mais aussi celles d’Amérique du Sud, vont être mises à mal.

Aujourd’hui, nous rassemblons un front très large de la société civile : organisations paysannes, de consommateurs, de solidarité internationale ou environnementale… Nous, paysans et paysannes, seront les premiers touchés par ces accords délétères, mais nous ne serons pas les seuls. Tout le monde sera affecté par le Mercosur, car ce qui arrivera dans nos assiettes en France ne correspondra pas aux normes que nous avons votées ces dernières années.

En quoi ce type d’accord de libre-échange est-il problématique d’un point de vue écologique ?

Sur place, produire beaucoup supposera encore plus de déforestation pour les forêts d’Amérique latine. Au niveau des pesticides, 178 substances actives sont autorisées pour le maïs au Brésil, dont 138 qui sont interdites en France. Nous allons donc importer du maïs rempli de pesticides ou d’OGM [des organismes génétiquement modifiés, NDLR] interdits en France.

L’accord prévoit aussi que la viande traitée aux hormones ne rentre pas dans l’Union européenne. Mais tout le monde le dit, y compris la Commission européenne elle-même, les contrôles actuels sont inefficaces et il n’y a pas de traçabilité de la naissance de l’animal jusqu’à son abattage – hormis en Uruguay. Nous risquons donc d’importer cette viande traitée aux hormones alors que c’est complètement interdit en France. C’est n’importe quoi.

«De nombreuses filières agricoles vont prendre cher au niveau du revenu, avec des normes sociales et environnementales mises à mal.»

Pour nous, en tant que paysannes et paysans, c’est un énorme risque pour nos revenus. On nous tacle en nous disant d’arrêter de râler sur les importations de viande bovine, qui n’affecteront que 1,6% de la production européenne. Mais, ce que l’on ne dit pas, c’est que ce sont 99 000 tonnes d’aloyaux de bœuf qui arriveront : ce ne sont pas des carcasses qui seront importées, mais des morceaux de luxe, et cela représente cette fois un quart de la production de l’Union européenne.

Les prix seront 20 à 32% moins chers que ce que l’on trouve sur le marché français : pour nous, c’est forcément de la concurrence déloyale. La viande bovine, le sucre, les céréales, le miel, les volailles… De nombreuses filières agricoles vont prendre cher au niveau du revenu, avec des normes sociales et environnementales mises à mal. Il est aberrant d’imaginer qu’on puisse être concurrentiel avec des produits issus de pays où le salaire minimum avoisine un euro de l’heure.

Qu’en est-il de la loi Duplomb, dont on a beaucoup parlé ces derniers mois ?

La loi Duplomb est le reflet d’un gros paquet bien plus vaste. Ceux qui se sont battus contre la loi Duplomb devraient combattre le Mercosur, et plus généralement tous les accords de libre-échange, car ils vont exactement dans le même sens.

Ce sont des mesures et des processus faits pour l’agro-industrie, qui vont mettre à mal le monde paysan et les normes environnementales. À la différence de la FNSEA et de la Coordination rurale [premier et deuxième syndicat agricole, NDLR], nous ne sommes pas pour réautoriser des pesticides interdits en France au nom de la concurrence.

Nous ne voulons pas de ces substances et de conditions de travail moins-disantes, en France comme ailleurs. Nous souhaitons tirer tout le monde vers le haut : les pesticides interdits en France doivent l’être partout ailleurs. L’une des grosses hypocrisies de notre pays et de l’Union européenne, c’est que nous continuons à produire ces pesticides interdits dans nos frontières et à les exporter partout dans le monde, en particulier en Amérique latine.

«L’ennemi qui broie le monde paysan dans les campagnes, ce n’est ni l’écologie ni le monde urbain, mais bien le système capitaliste et commercial international.»

Rien ne viendra du nouveau gouvernement [Sébastien Lecornu a reconduit dimanche Annie Genevard au ministère de l’agriculture, NDLR]. C’est à nous de tisser des liens et de sortir de cette dichotomie entre les agriculteurs et le reste du monde. Il faut faire comprendre que l’ennemi qui broie le monde paysan dans les campagnes, ce n’est ni l’écologie ni le monde urbain, mais bien le système capitaliste et commercial international.

Tant qu’on ne réglera pas la question d’un revenu digne pour tous les paysans du monde, on continuera à se battre pour la transition agroécologique sans que rien ne change. Cela nous fait hurler quand les adhérents de la FNSEA ou de la Coordination rurale pensent que leurs problèmes seront réglés avec la loi Duplomb, qui ne répond qu’aux besoins d’une toute petite minorité d’agriculteurs liés à l’agro-industrie.

Pourtant, la FNSEA s’est elle aussi mobilisée contre le Mercosur ces dernières semaines. Est-ce que, sur ce sujet, on pourrait imaginer vous voir manifester main dans la main ?

Les dirigeants de la FNSEA sont obligés de s’y opposer, en apparence, sinon ils perdent leur base. Mais nos différences sont énormes, dans le sens où leur leitmotiv est la concurrence à tout-va, la compétition sur les marchés mondiaux… La FNSEA n’a aucun scrupule à abîmer les sols, les agriculteurs et la santé des concitoyens ailleurs dans le monde, tant que la profession s’en tire en France.

«Depuis toujours, la FNSEA joue sur un double discours.»

C’est une vision que nous ne pouvons pas partager, même si nous ne tapons pas sur les adhérents de la FNSEA, qui sont souvent manipulés par leur élite dirigeante. Cela nous fait tiquer quand Arnaud Rousseau, président de ce syndicat agricole, se permet de dire qu’il est contre le Mercosur. Il dirige aussi la société Avril, dont certaines filières ont une politique d’acquisition d’usines d’alimentation au Brésil. Il a donc tout intérêt à ce que le Mercosur passe. Depuis toujours, la FNSEA joue sur ce double discours. Il y a quand même des gens qui s’en rendent compte et qui, déçus, partent à la Coordination rurale.

Pourquoi est-ce la Coordination rurale, plutôt classée à droite de la FNSEA, qui récupère ces voix, et non votre syndicat ?

Comme la politique de Donald Trump aux États-Unis, le glissement populiste est partout dans le monde. On se rend bien compte que ces discours simplistes fonctionnent, y compris dans nos campagnes. Il est bien plus complexe d’avoir une réflexion globale, comme nous l’avons à la Confédération paysanne, pour avoir une cohérence à tous les niveaux et une solidarité avec tous les autres peuples du monde.

La Coordination rurale arrive aussi à cristalliser les colères : c’est un vote de colère. Nous sommes clairement classés à gauche, ce qui fait que les paysannes et paysans qui sont traditionnellement de droite n’iront pas voter Confédération paysanne, même s’ils s’aperçoivent que la FNSEA ne répond plus du tout à leurs attentes.

La dernière fois que vous avez manifesté à Paris, deux de vos adhérents ont été interpellés pour «violences». Elle et il seront jugés ce mardi. Craignez-vous de nouveaux débordements ?

Lors de cette action, l’une de nos camarades a été traînée par terre, en sang, par les forces de l’ordre. Sa plainte pour violences a été classée sans suite. La répression des mouvements paysans et écologistes est très grave aujourd’hui. On le voit avec la Palestine : il y a une hypocrisie totale, où notre président reconnaît l’État palestinien mais où ceux qui soutiennent la Palestine continuent à se faire réprimer.

La manifestation d’aujourd’hui est déclarée et autorisée par la préfecture de Paris. Ce n’est pas une action comme en décembre dernier, il ne devrait pas y avoir de débordements ou de violences.

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