Lutte des glaces. Sauts de puce en jet privé, golfs arrosés… Tandis que le dérèglement climatique affecte de plus en plus le quotidien des gens et que les pouvoirs publics réclament des efforts de sobriété, les consommations polluantes et ostentatoires d’une petite part de la population deviennent source de tensions.
Pendant plusieurs jours, la semaine dernière, les habitant·es de Gérardmer (Vosges) ont été contraint·es de faire bouillir l’eau de leur robinet pour la rendre potable. À cause d’une pénurie, cette dernière était pompée dans le lac. Fin juillet, les jacuzzis de cinq logements de vacances de la commune ont été éventrés et marqués d’un message : « l’eau, c’est fait pour boire », a rapporté le quotidien Libération dans ses colonnes. Cet incident qui peut sembler anecdotique est pourtant révélateur d’un ras-le-bol bien plus large.
Même colère, mais stratégie différente : il y a plusieurs semaines, un collectif militant du nom des « dégonfleurs de SUV » s’est fait connaître à Paris et dans l’ouest de la France en s’en prenant aux pneus d’une centaine de ces véhicules massifs, qui constituent la deuxième cause d’accélération de la crise climatique (Vert).
Plus récemment encore, l’arrosage autorisé des terrains de golf dans des départements en situation de « crise sécheresse » — le niveau de restrictions d’eau le plus élevé -, a généré une vive incompréhension alors qu’une centaine de communes n’ont même plus accès à l’eau potable. Plusieurs responsables politiques, dont le maire (EELV) de Grenoble, Éric Piolle, et le député LFI-Nupes de Marseille, Hendrik Davi, ont dénoncé une pratique insensée.
Traqués par un nombre croissant de comptes sur les réseaux sociaux, les allers-retours incessants des jets privés de milliardaires sont désormais insupportables pour de très nombreux internautes. Au cours du seul mois de mai 2022, le jet privé du milliardaire Bernard Arnaud a généré quelque 176 tonnes de CO2, soit l’équivalent de 17 années d’émissions d’un·e Français·e moyen·ne, selon les calculs de la page Instagram « L’avion de Bernard » (notre article).
Les tollés provoqués illustrent une tension grandissante vis-à-vis de comportements polluants réservés à une certaine frange de la population. Pendant des décennies de croissance économique, les inégalités de consommation constituaient, certes, une violence symbolique, mais chacun·e pouvait espérer pour soi, ou ses enfants, accéder à un niveau de consommation supérieur, explique à Vert Maxime Combes, économiste spécialisé dans les politiques climatiques et membre d’Attac France. « C’est un raisonnement qui fonctionne assez bien quand on vit dans une période où le gâteau grandit et on peut raisonnablement penser avoir droit à une part plus importante. »
Ce qui ne semble plus être le cas aujourd’hui. « Nous sommes entrés dans une période où la crise écologique impose de consommer moins de ressources, et c’est là que la consommation ostentatoire devient proprement insupportable », abonde-t-il. Ce décalage n’est alors plus une violence symbolique, mais une violence directe pour une partie de la population qui se voit exiger une consommation restreinte et subit de plein fouet les effets de la crise, tandis qu’un petit nombre affiche des comportements écologiquement insoutenables.
« Nous sommes face à un triangle d’incompatibilité avec des pratiques ostentatoires d’un côté, la réduction forcée de consommation d’une large partie de la population et un gouvernement qui fait de la communication plus qu’il n’agit à la hauteur des enjeux », théorise Maxime Combes. Pour l’économiste, seules des mesures féroces et ciblées contre les pratiques polluantes permettront d’apaiser ces colères grandissantes. Même constat pour le chercheur François Gemenne, qui prédit sombrement sur Twitter que « sans arbitrages politiques forts et ambitieux, des tensions de ce type sont forcément appelées à dégénérer ». La crise climatique aurait-elle réveillé la lutte des classes ?