Jet public. Lancé à la mi-mai, le compte Instagram L’avion de Bernard scrute les déplacements du jet privé du milliardaire français Bernard Arnault. Dans son viseur : le mode de vie extrêmement riche en carbone des plus nantis.
Paris-Tokyo le 1er mai, puis Tokyo-Osaka le 3, Osaka-Los Angeles le 4, Los-Angeles-West Palm Beach le 6, puis retour à Paris le 8 mai – soit un tour du monde, effectué en une semaine à bord du jet privé F-GVMA. Ajoutez-y quelques aller-retour en Italie et au Royaume-Uni, et vous réalisez que l’avion de l’homme d’affaire Bernard Arnault, patron de l’immense groupe LVMH, a consommé presque autant de CO2 en un mois qu’un·e Français·e en 17 ans – d’après le cabinet d’ingénieurs Carbone 4, l’empreinte carbone des Français était de 9,9 tonnes par habitant et par an en 2019.
Inspirés par le compte Twitter ElonJet (plus de 473 000 abonné·es), lancé par l’étudiant américain Jack Sweeney pour suivre les trajets du milliardaire Elon Musk, les deux cofondateur·ices de « L’avion de Bernard » se sont lancé·es le 18 mai avec la volonté de « faire la même chose en France, en sensibilisant davantage sur l’aspect climat des déplacements ».
« Bernard Arnault est l’homme le plus riche de France, et la troisième fortune mondiale. L’entreprise qu’il dirige est un symbole du « rayonnement » de la France à l’étranger. Nous n’avons rien contre la réussite dans les affaires, sauf quand cette réussite « économique » se fait aux dépens d’une réussite “écologique”», expliquent-ils à Vert. « Symboliquement, nous voulons essayer de développer une autre vision de ce qu’est la réussite personnelle. Et si elle se fait au détriment de la planète et des générations à venir, c’est un échec ».
Le compte, qui agrège déjà 40 000 abonné·es, s’appuie sur les données de vol émises publiquement par les avions via des sites comme OpenSky-Network.org ou ADSBExchange.com. Les émissions de CO2 sont ensuite estimées à partir de la consommation moyenne de carburant du jet privé donnée par le constructeur Bombardier, pour le trajet le plus court possible sur chaque destination.
En révélant publiquement ces données, les deux activistes veulent contribuer à la création d’un élan social, « pour exiger des actions politiques concrètes » : « les chiffres qu’on donne sur le compte sont assez édifiants et révélateurs d’une profonde injustice : comment expliquer à un travailleur que le kérosène des jets privés est moins taxé que son essence ? » demandent-ils, « tout le monde doit atteindre deux tonnes de CO2 par an [pour atteindre la neutralité carbone, NDLR], y compris les milliardaires. Certains ont un plus grand chemin à faire, sauf que le système économique actuel va complètement dans leur sens et valorise même leur comportement destructeur ».
Si certain·es abonné·es s’interrogent sur le sens de la démarche (le bilan carbone de l‘aviation est-il vraiment une priorité ?), d’autres leur font des suggestions : « on réfléchit à rendre notre code open source pour faciliter la tâche aux gens qui voudraient se lancer. En attendant, chacun peut s’amuser en consultant le registre d’immatriculation des aéronefs, disponible sur le site de l’aviation civile », répondent les deux militant·es qui espèrent aussi, en cette période d’élection, participer « à ce que les gens votent en conséquence pour le bloc écologique et social ».
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