Décryptage

De la «cohérence» à la «convergence des luttes», le bilan de la France insoumise au Parlement européen

Le plafond de vert. Avec quatre élu·es La France insoumise, le mouvement a tenté tant bien que mal de faire sa place au Parlement européen pour insuffler une ligne sociale et environnementale. Au compteur : plusieurs victoires et quelques échecs.
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En matière d’écologie au Par­lement européen, La France insoumise (LFI) n’est pas pre­mière de la classe, mais pas loin. Pour le Réseau action cli­mat, elle a été l’un des «moteurs» des votes en phase avec les deman­des des asso­ci­a­tions envi­ron­nemen­tales. Pour l’ONG de défense des océans Bloom, elle a fait par­tie des «bâtis­seurs» de l’ambition écologique européenne. Cette dernière a analysé les votes des dif­férents groupes sur 150 textes et amende­ments sur des sujets liés au cli­mat, à l’océan, à la bio­di­ver­sité ou à la jus­tice envi­ron­nemen­tale au cours de la man­da­ture 2019–2024. Les Français·es du groupe européen de la Gauche («The left»), dont fait par­tie LFI, ont obtenu la note qua­si par­faite de 19,71/20 — der­rière les Écol­o­gistes français·es (19,88/20).

Du haut de ses 37 mem­bres, le groupe de la Gauche est le plus petit du Par­lement européen. La France insoumise comp­tait six élu·es en 2019, et qua­tre à la fin du man­dat — Emmanuel Mau­rel a rejoint la liste du Par­ti com­mu­niste français et Anne-Sophie Pel­leti­er a été exclue. Un poids plume au sein des 705 élu·es du Par­lement (elles et ils seront 720 après les élec­tions du 9 juin), mais qui ne les empêche pas de peser dans les débats. Sur ce point, le fonc­tion­nement des insti­tu­tions européennes joue en leur faveur : «Con­traire­ment à l’Assemblée nationale, le Par­lement européen fonc­tionne sur une logique de com­pro­mis et d’alliances entre par­tis, donc plus vous bossez des textes, plus vous êtes à même de les défendre et de faire enten­dre rai­son à d’autres députés sur cer­tains sujets», juge Mari­na Mesure, eurodéputée LFI et troisième sur la liste des européennes.

«Vu qu’il s’agit d’un sys­tème beau­coup plus pro­por­tion­nel qu’en France où tout se joue sur des alliances très larges et déli­cates, la dif­férence peut se faire sur de toutes petites quan­tités de voix, donc chaque groupe peut jouer un rôle poten­tielle­ment décisif», abonde auprès de Vert Alessan­dro Man­zot­ti, chargé de cam­pagne et de recherche pour l’ONG Bloom et auteur du com­para­tif des bilans de la dernière man­da­ture.

Manon Aubry, tête de liste LFI aux élec­tions, en plénière au Par­lement européen en mars 2024. © Frédérick Florin / AFP

Un lien privilégié avec la société civile

Les élu·es LFI se dis­tinguent des autres groupes par leurs pro­fils. Avec une moyenne d’âge de 40,75 ans, elles et ils ont près de dix ans d’écart avec la moyenne de l’hémicycle européen (49,5 ans). La tête de liste, Manon Aubry, a fait ses armes chez Oxfam ; Leïla Chaibi (5ème sur la liste) vient des col­lec­tifs Généra­tion pré­caire (droit du tra­vail) et Jeu­di noir (mal-loge­ment) ; Mari­na Mesure du syn­di­cal­isme européen. Des par­cours mil­i­tants dont les élu·es LFI ont tiré leur «com­bat­iv­ité». «Dans les ONG et les syn­di­cats, il y a une grande cul­ture de la lutte car il faut se bat­tre con­tre le sys­tème en place. Ce sont des expéri­ences très for­ma­tri­ces et des réseaux sur lesquels on peut s’appuyer par la suite», racon­te Mari­na Mesure. Une stratégie assumée par LFI pour créer des rap­ports de force favor­ables en s’aidant de la mobil­i­sa­tion citoyenne.

«Il est fon­da­men­tal d’avoir des groupes qui parvi­en­nent à faire le lien entre le Par­lement et la société civile, comme LFI le fait très bien. Cela crée un équili­bre entre les manœu­vres poli­tiques dans le Par­lement et l’expertise de fond menée en arrière plan par des sci­en­tifiques, des ONG ou des think tank, et cela génère un con­tre­poids par rap­port à l’activité des lob­bies indus­triels qui sont très écoutés par les groupes plus libéraux ou con­ser­va­teurs», analyse Alessan­dro Man­zot­ti.

Une stratégie parfois payante…

La France insoumise a réus­si à arracher cer­taines vic­toires au sein de l’hémicycle européen. L’une des plus grandes est indé­ni­able­ment la direc­tive sur le devoir de vig­i­lance des entre­pris­es, qui oblige les multi­na­tionales à prévenir toute atteinte aux droits humains et à l’environnement sur l’ensemble de leur chaîne de pro­duc­tion. Un dossier large­ment médi­atisé et poussé par Manon Aubry en tant que prési­dente du groupe de la Gauche au Par­lement. «Cela aurait tou­jours pu être mieux et aller plus loin, mais c’est déjà une avancée con­sid­érable», note Mari­na Mesure.

Autre vic­toire au comp­teur : l’interdiction de la pêche élec­trique en Europe, votée en 2019 et entrée en vigueur en 2021. Cette tech­nique de pêche envoie dans l’eau des courants élec­triques afin d’attirer les pois­sons à la sur­face. Cette bataille lég­isla­tive a été portée en par­tie par le député insoumis Younous Omar­jee (2ème sur la liste cette année), qui s’est mobil­isé auprès de Bloom.

Le groupe a con­tribué à de nom­breux textes du Pacte vert (la stratégie visant à réduire de 55% les émis­sions de gaz à effet de serre de l’Union européenne en 2030 par rap­port à 1990), dont la loi sur la restau­ra­tion de la nature qui a été adop­tée de justesse l’été dernier (notre arti­cle). «Glob­ale­ment, La France insoumise a fait de l’écologie l’un des piliers de son pro­gramme et a eu un posi­tion­nement de vote très con­cret et cohérent avec cette ligne poli­tique», estime Alessan­dro Man­zot­ti de Bloom. Pour le chargé de recherche, l’action de LFI au cours de la dernière man­da­ture se résume à un mot : la «con­ver­gence» entre les enjeux de jus­tice sociale, his­torique­ment défendus par le par­ti, et les ques­tions envi­ron­nemen­tales.

… qui n’empêche pas les revers

Mais une délé­ga­tion aus­si réduite ne suf­fit pas pour éviter cer­tains échecs. En tête de liste : la réau­tori­sa­tion du glyphosate, entérinée en novem­bre 2023 à l’issue d’une longue mobil­i­sa­tion poli­tique et citoyenne (notre arti­cle). «On a déposé une objec­tion à sa réau­tori­sa­tion pour 10 ans et on a per­du cette bataille», con­state Mari­na Mesure. De la même manière, le retrait de la propo­si­tion de règle­ment sur l’usage durable des pes­ti­cides (SUR) en févri­er 2024 a été «une grosse défaite», juge l’Insoumise.

«Compte tenu des cir­con­stances qui étaient les nôtres (une petite équipe, un con­texte poli­tique peu favor­able), on a mon­tré notre capac­ité à se bat­tre avec acharne­ment pour obtenir cer­taines vic­toires», détaille Mari­na Mesure. «Mais pas assez, évidem­ment», ajoute celle qui espère qu’ils et elles seront plus nombreux·ses à défendre le pro­gramme insoumis dans l’hémicycle stras­bour­geois au cours de la prochaine man­da­ture. Les pro­jec­tions réal­isées à par­tir des derniers sondages esti­ment que La France insoumise pour­rait écop­er de sept sièges à l’issue du scrutin.

Pho­to d’il­lus­tra­tion : Manon Aubry por­tant un t‑shirt «Tax­ez les rich­es» au Par­lement européen en juil­let 2023. © Fred Mar­vaux / Euro­pean Union 2023 — Source : EP