Décryptage

Du vote sur la fin des voitures thermiques à la crise agricole : le bilan contrasté des Verts au Parlement européen

Vert de gris. Porté en 2019 par les mobilisations citoyennes pour le climat, puis l’ambition du Pacte vert, le groupe des eurodéputé·es écologistes fait aujourd’hui les frais des procès en «écologie punitive». Des attaques qui se sont durcies depuis la crise agricole de 2023.
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En matière de pro­tec­tion de l’environnement et de lutte con­tre les change­ments cli­ma­tiques, le pro­gramme des écol­o­gistes pour les élec­tions européennes du 9 juin est le mieux noté par le Réseau action cli­mat (RAC), avec ceux des Insoumis et du Par­ti social­iste-Place publique. Mais c’est aus­si la liste qui décroche dans les inten­tions de vote. «Au regard des dernières esti­ma­tions, les eurodéputés verts perdraient une ving­taine de sièges, quand l’extrême droite en gag­n­erait une cinquan­taine», explique à Vert Car­o­line François-Marsal, respon­s­able Europe au RAC.

Pour le groupe écol­o­giste, cette sit­u­a­tion con­traste très fort avec celle de 2019, au démar­rage de la dernière man­da­ture du Par­lement européen. Portés par la mobil­i­sa­tion citoyenne en faveur de la lutte pour le cli­mat, et tout par­ti­c­ulière­ment celle de la jeunesse, avec le mou­ve­ment des grèves sco­laires de Fri­days for future, les Verts européens totalisent 72 élu·es sur 705 après les élec­tions de mai 2019. Avec ce résul­tat his­torique, ils représen­tent alors un peu plus de 10% des eurodéputé·es, devenant la qua­trième force à Stras­bourg, où siè­gent sept groupes par­lemen­taires.

David Cor­mand et Yan­nick Jadot lors de la cam­pagne élec­torale d’Europe Écolo­gie Les Verts pour les élec­tions européennes de mai 2019. © Stephane de Sakutin/AFP

Pacte vert, Covid et guerre en Ukraine

Au sein des Verts, la délé­ga­tion française compte alors 12 élu·es, juste der­rière la for­ma­tion alle­mande (25 sièges). «Ce vote de 2019 a comp­té deux fois pour les écol­o­gistes européens. Une fois, parce qu’il a ren­for­cé les Verts au par­lement. Une autre, parce qu’il a obligé les groupes poli­tiques, en tout cas une par­tie d’entre eux, à se met­tre à l’é­colo­gie», détaille auprès de Vert l’eurodéputé David Cor­mand, actuel numéro 2 de la liste des écol­o­gistes français emmenée par Marie Tou­s­saint pour le scrutin du 9 juin.

En décem­bre 2019, la prési­dente de la Com­mis­sion européenne Ursu­la von der Leyen présente le Pacte vert (ou Green deal), feuille de route envi­ron­nemen­tale qui doit per­me­t­tre à l’Union européenne (UE) d’atteindre la neu­tral­ité car­bone en 2050. «Avec le Green Deal, il y a bien eu une ambi­tion cli­ma­tique ren­for­cée, mais dès qu’il a fal­lu met­tre en œuvre les choses con­crète­ment, c’est là que cela a coincé, souligne David Cor­mand. La crise du Covid en 2020 et l’agression russe en Ukraine de 2022 ont aus­si représen­té de puis­sants effets d’aubaine pour les forces con­ser­va­tri­ces du Par­lement, ouverte­ment anti-Green deal. Face à ces sit­u­a­tions, le réflexe aura été de revenir au busi­ness as usu­al».

Les objec­tifs cli­ma­tiques, vic­time col­latérale de la pandémie et de la guerre ? Pour Car­o­line François-Marsal du RAC, «le Green deal a bien résisté jusqu’à la récente mobil­i­sa­tion agri­cole, au sens où la crise du Covid a con­duit au déploiement du plan de relance Next Gen­er­a­tion EU, dont 40% étaient fléchés sur le cli­mat et la bio­di­ver­sité. De la même manière, face à la crise énergé­tique provo­quée par l’in­va­sion de l’Ukraine, l’UE a mis sur la table son plan d’ac­tion Repow­er EU, qui a con­duit à con­sid­érable­ment ren­forcer l’am­bi­tion sur les renou­ve­lables et l’ef­fi­cac­ité énergé­tique». Selon elle, c’est la crise agri­cole qui, à par­tir de l’automne 2023, con­tribuera à mar­gin­alis­er la voix des eurodéputé·es écol­o­gistes.

Procès en écologie punitive

De cette man­da­ture 2019–2024 chahutée par les désor­dres mon­di­aux, plusieurs avancées sont à met­tre au crédit des écol­o­gistes européen·nes. À com­mencer par le vote vic­to­rieux, début 2023, sur la fin de la com­mer­cial­i­sa­tion des véhicules ther­miques neufs à par­tir de 2035. «C’est une vic­toire à la fois sym­bol­ique et struc­turelle. Parce que notre rap­port à la voiture est cen­tral dans la civil­i­sa­tion du fos­sile, avec énor­mé­ment de décli­naisons en matière d’aménagement du ter­ri­toire, rap­pelle David Cor­mand. Il y a eu d’autres vic­toires, comme celle sur l’in­ter­dic­tion de l’ob­so­les­cence pro­gram­mée et le droit à la répara­bil­ité, qui s’inscrivent dans des logiques d’é­conomie cir­cu­laire. Si elles sont moins spec­tac­u­laires que le vote sur les voitures, elles sont tout à fait sig­ni­fica­tives», ajoute l’élu.

L’abandon de la réforme du règle­ment européen sur les pro­duits chim­iques et la réforme express de la PAC (notre arti­cle), avec ses allège­ments des con­traintes envi­ron­nemen­tales, représen­tent par­mi les plus gros reculs de la man­da­ture 2019–2024 selon les Verts.

Dans la dernière année, le groupe écol­o­giste aura aus­si fait les frais des procès en «écolo­gie puni­tive» inten­tés par la droite et l’extrême droite (notre arti­cle). «Dans les pro­grammes du RN et de Recon­quête pour les élec­tions européennes du 9 juin, un des objec­tifs est l’abo­li­tion totale du Green deal, en ciblant cer­tains textes emblé­ma­tiques comme la fin de vente des véhicules ther­miques», détaille Car­o­line François-Marsal du RAC.

Si les inten­tions de vote et la bas­cule du Par­lement européen à droite se véri­fient le 9 juin prochain, le détri­co­tage des ambi­tions écologiques de l’UE se pour­suiv­ra, avec «moins de députés verts pour les défendre, mais aus­si, et c’est à crain­dre, un dés­in­térêt général, prévient David Cor­mand. Car ce n’est pas tant le poids de l’ex­trême droite que l’ac­cep­ta­tion des autres de son réc­it qui risque de porter atteintes aux avancées de la dernière man­da­ture».