Entretien

Faustine Bas-Defossez : «On risque bien d’assister à la réforme la plus rapide de toute l’histoire de la PAC»

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PAC avec le dia­ble. Sur fond de colère paysanne, l’Union européenne mul­ti­plie les reculs sur les ques­tions envi­ron­nemen­tales. On en dis­cute avec Faus­tine Bas-Defos­sez du Bureau européen de l’environnement, une fédéra­tion réu­nis­sant 180 ONG du Vieux Con­ti­nent.

Réau­tori­sa­tion du glyphosate, détri­co­tage de la loi sur la restau­ra­tion de la nature et aujourd’hui reforme accélérée de la poli­tique agri­cole com­mune (PAC). L’ambition européenne portée par le «pacte vert», cette feuille de route présen­tée par la Com­mis­sion européenne en 2019 pour engager les Vingt-Sept dans la tran­si­tion écologique, bat de l’aile. Spé­cial­iste des ques­tions agri­coles et de san­té pour le Bureau européen de l’environnement, Faus­tine Bas-Defos­sez revient pour Vert sur ces ques­tions brûlantes à quelques semaines des élec­tions européennes.

Le 22 mars dernier, la Hongrie a décidé de ne pas soutenir la loi sur la restauration de la nature, ce qui a empêché son adoption. Comment comprendre ce nouveau revers pour l’environnement au sein de l’UE ?

Cet épisode du 22 mars est assez éton­nant à pre­mière vue, puisqu’il s’agissait d’une val­i­da­tion de la loi, déjà longue­ment exam­inée et débattue. Pour rap­pel, ce texte a été présen­té par la Com­mis­sion européenne à l’été 2022. Puis adop­té de justesse un an plus tard, après de pro­fonds remaniements. S’en sont suiv­is de longs mois de dis­cus­sions entre la Com­mis­sion, le Par­lement et le Con­seil européen pour se met­tre d’accord. Ce fut chose faite en févri­er. Le 22 mars dernier, la loi devait achev­er son par­cours lég­is­latif devant le Con­seil, l’accord poli­tique ayant été trou­vé. Ce qui devait être une for­mal­ité a ouvert une nou­velle brèche.

Sur quoi portent les désaccords au sujet de cette loi ?

Le texte prévoit la restau­ra­tion d’au moins 20% des ter­res et des mers de l’UE d’ici à 2030 et de tous les écosys­tèmes dégradés d’ici à 2050 ; sachant que 80% des habi­tats et 70% des sols européens sont en mau­vais état de con­ser­va­tion. La pre­mière bataille autour de cette loi a eu lieu dans les mois qui ont précédé le vote au Par­lement à l’été 2023. Les ten­ta­tives de sab­o­tage du texte en prove­nance du Par­ti pop­u­laire européen (PPE), qui réu­nit des eurodéputés du cen­tre, du cen­tre-droite, de droite, et représente la pre­mière force poli­tique du Par­lement, se sont mul­ti­pliées. Comme pour les pes­ti­cides, l’argument du manque d’études d’impact pour éval­uer les effets de la loi a été beau­coup enten­du, alors que selon les cal­culs de la Com­mis­sion, chaque euro investi dans la restau­ra­tion de la nature en rap­porterait huit. Les autres attaques por­taient sur les dis­po­si­tions de la loi qui touchaient aux ter­res agri­coles, avec la mise en avant de la com­péti­tiv­ité du secteur, du risque d’insécurité ali­men­taire… En gros, redonner une place à la nature sur les ter­res agri­coles, restau­r­er les tour­bières, les zones humides, tout cela allait affamer les citoyens !

Faus­tine Bas-Defos­sez du Bureau européen de l’environnement, un réseau qui fédère des ONG de plus de 30 pays du Vieux Con­ti­nent. © BEE

«Cinq ans après le Pacte vert, on arrive avec une loi sur la restau­ra­tion de la nature vidée de sa sub­stance et qui ne sera peut-être même pas adop­tée»

Quelle est la suite envisagée pour cette loi ?

Il y a encore une chance pour qu’elle soit adop­tée lors du con­seil des min­istres de l’environnement du 17 juin prochain. Si la loi n’est pas adop­tée lors de ce con­seil, et donc avant la nou­velle man­da­ture, elle risque de pass­er à la trappe.

Quels enseignements tirer de ces mésaventures de la loi sur la restauration de la nature ?

C’est un peu le sym­bole de ce man­dat des eurodéputés qui s’achève. En 2019, on a démar­ré avec des ambi­tions incroy­ables autour du pacte vert. Cinq ans après, on arrive avec une loi sur la restau­ra­tion de la nature vidée de sa sub­stance et qui ne sera peut-être même pas adop­tée.

Comment comprendre ce recul de l’ambition environnementale au niveau européen ?

Suite aux élec­tions de 2019 et à la présen­ta­tion du pacte vert, beau­coup de straté­gies ont été avancées pour met­tre l’UE sur le chemin de la tran­si­tion écologique. Mais ce n’é­taient pas des propo­si­tions lég­isla­tives, elles n’avaient rien de con­traig­nant. Toutes ces bonnes inten­tions ont béné­fi­cié d’un large sou­tien. Puis, quand les choses sont dev­enues plus con­crètes, comme avec les pes­ti­cides ou la restau­ra­tion de la nature, ça a com­mencé à coin­cer. Il faut aus­si rap­pel­er qu’en 2019, à l’annonce du pacte vert et alors que la réforme de la PAC était en pleine négo­ci­a­tion, les min­istres européens de l’agriculture ont refusé de met­tre les objec­tifs de la poli­tique agri­cole com­mune en phase avec les objec­tifs du pacte vert. Con­crète­ment, ils refu­saient d’aligner les objec­tifs de la poli­tique agri­cole avec la stratégie «De la ferme à la fourchette», qui à ce stade n’avait rien de con­traig­nant. Ils étaient d’accord pour faire des efforts cli­ma­tiques, mais pas pour touch­er à l’agriculture, qui représente un tiers du bud­get de l’UE. D’autres dossiers cru­ci­aux ont été nég­ligés : le bien-être ani­mal, les modes de con­som­ma­tion et le gaspillage, qui ques­tion­nent le mod­èle de pro­duc­tion inten­sif.

«La Com­mis­sion européenne par­le d’ajustements, de change­ments cos­mé­tiques. Mais c’est bien d’un pro­jet de réforme express de la PAC dont il est ques­tion»

Un autre sujet d’inquiétude porte sur la réforme de la politique agricole commune…

Courant mars, il y a eu une con­sul­ta­tion en cati­mi­ni de qua­tre organ­i­sa­tions agri­coles – la Copa-Coge­ca, ECVC, CEJA, IFOAM –, ini­tiée par Ursu­la von der Leyen qui pré­side la Com­mis­sion européenne. Des élé­ments de réforme de la PAC ont été pro­posés dans la foulée. Ils por­tent sur la manière dont les aides aux agricul­teurs sont octroyées. On par­le ici d’un bud­get de 55 mil­liards d’euros par an. Il s’agit notam­ment d’assouplir les con­traintes envi­ron­nemen­tales : fini la rota­tion des cul­tures, la cou­ver­ture des sols, les mai­gres espaces dédiés à la bio­di­ver­sité… Quand on con­sulte le doc­u­ment émis à la suite de ces dis­cus­sions, – et il faut vrai­ment bien le chercher sur le site de la Com­mis­sion pour met­tre la main dessus – on s’aperçoit que ces change­ments ont été réclamés par la seule Copa-Coge­ca, où siège notam­ment la FNSEA. La Com­mis­sion par­le d’ajustements, de change­ments cos­mé­tiques. Mais c’est bien d’un pro­jet de réforme express de la PAC dont il est ques­tion, un pro­jet de réforme qui n’a fait l’objet ni de con­sul­ta­tion publique – ou plutôt d’une con­sul­ta­tion très par­tielle – ni d’étude d’impact. Nous allons d’ailleurs porter plainte auprès du médi­a­teur de la Com­mis­sion pour dénon­cer cette vio­la­tion du principe démoc­ra­tique.

Comment expliquer une telle précipitation ?

La tenue en juin prochain des élec­tions européennes explique ces mou­ve­ments. Et les choses vont s’accélérer dans les prochains jours, avec le vote cette semaine d’une procé­dure d’urgence pour pou­voir mod­i­fi­er le cadre agri­cole des Vingt-Sept. On risque donc bien d’assister à la réforme la plus express de toute l’his­toire de la PAC. Et mal­heureuse­ment, pas dans le sens d’un mieux-dis­ant pour l’environnement. Vot­er pour des coali­tions poli­tiques vrai­ment soucieuses du cli­mat et de la bio­di­ver­sité reste le dernier levi­er à la portée des citoyens européens. Il faut donc regarder de près les pro­grammes des par­tis, qui ne man­queront pas d’être décor­tiqués par les ONG européennes.