Décryptage

Compagnies low cost, jets privés et grands patrons : à qui profitent les aides publiques aux petits aéroports français ?

Cas décolle. En France, la survie de nombreux aéroports dépend des subventions publiques. Destinées à soutenir le désenclavement et l’activité économique, ces aides financent des lignes souvent déficitaires, parfois désertées, au profit d’une minorité privilégiée.
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Depuis le 1er novembre, la Collectivité de Corse subventionne 250 000 billets d’avion pour attirer les touristes tout au long de l’année. Cette décision peut paraître contradictoire dans un contexte d’urgence climatique, où la réduction des émissions de gaz à effet de serre s’impose comme un objectif prioritaire. Pour cause, l’avion est le mode de transport le plus polluant et contribue à près de 6% du réchauffement climatique. Les subventions versées par l’État et les collectivités territoriales aux petites lignes aériennes sont monnaie courante. Certaines, peu fréquentées, ne doivent leur survie qu’à ces aides publiques.

Sur les 86 aéroports français, 70 sont déficitaires, constate une étude réalisée en 2021 par Jacques Pavaux, ancien directeur général de l’Institut du transport aérien. Une faible rentabilité qui s’explique par une baisse de la fréquentation des petits aéroports – ceux qui enregistrent moins d’un million de passager·es par an – en particulier pour les vols intérieurs (entre deux villes françaises). Les voyageur·ses privilégient les grands aéroports, qui concentrent à eux seuls 90% du trafic aérien national.

Des cadeaux déguisés aux compagnies aériennes

Certains aéroports utilisent l’argent public pour attirer des compagnies low cost, qui contribuent à la hausse du nombre de voyageur·ses avec leurs vols à bas prix vers l’étranger. C’est le cas pour les aéroports de Tours (Indre-et-Loire), Dole (Jura) ou Limoges (Haute-Vienne). Une grande partie des subventions versées par les collectivités territoriales est reversée aux compagnies sous forme d’«aides marketing».

Concrètement, cela signifie que les aéroports paient les compagnies pour qu’elles fassent la promotion de leurs lignes aériennes et participent au rayonnement du territoire qu’elles desservent. À Tours, Ryanair – unique compagnie présente – a perçu en 2021 près de 2,8 millions d’euros sur les 3,2 millions d’euros d’aides publiques perçues par l’aéroport. Et ce, pour la promotion de liaisons vers Porto (Portugal) ou Marrakech (Maroc).

Des avions de la compagnie Ryanair sur le tarmac de l’aéroport de Tours. © Johannes Grondin/Wikimedia

Le cadre juridique de ce système reste flou : il est souvent assimilé à des «subventions indirectes» aux entreprises. En 2022, la Chambre régionale des comptes du Centre-Val de Loire a publié un rapport dans lequel elle reproche à l’aéroport tourangeau «un fort niveau de subventionnement, alors même que l’exploitation réelle est déficitaire». Depuis, les élu·es du Syndicat mixte pour l’aménagement et le développement de l’aéroport international de Tours (Smadait) ont décidé de réduire progressivement les aides publiques, jusqu’à atteindre 600 000 euros en 2035.

«En plus d’encourager les Français à prendre l’avion pour partir à l’étranger, le modèle de subventions indirectes finance des compagnies loin d’être exemplaires sur les plans fiscal et social», critique Alexis Chailloux, responsable ferroviaire et aérien du Réseau action climat (RAC). Ryanair est régulièrement pointée du doigt pour ses conditions de travail dégradées et ses pratiques d’optimisation fiscale, profitant notamment du régime avantageux de l’Irlande, où elle est domiciliée.

Des subventions pour accueillir des jets privés

À l’aéroport d’Avignon (Vaucluse), de Quimper (Finistère) ou de Saint-Étienne (Loire), les vols commerciaux ont cessé depuis quelques années. Avec le développement du train à grande vitesse (TGV) et la concurrence de plus grands aéroports à proximité, le nombre de voyageur·ses a progressivement diminué et les compagnies aériennes sont parties. Il n’est pourtant pas rare de voir décoller des avions de leur tarmac. Seulement, il s’agit de jets privés et d’avions de loisir.

Alors que leurs couloirs sont déserts, ces aéroports bénéficient toujours de subventions publiques. Dans le cas d’Avignon, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur subventionne l’aéroport à hauteur d’un million d’euros par an et l’État finance l’infrastructure pour 200 000 euros annuels (notre article). Contacté par Vert, la Région estime que ces aides publiques sont nécessaires pour que l’aéroport continue «d’assurer ses missions d’intérêt général essentielles comme les évacuations sanitaires, le transport d’organes et les exercices militaires».

Le comptoir pour les vols commerciaux – fermé – de l’aéroport d’Avignon. © Samy Hage/Vert

À Saint-Étienne, l’association ForezAgir a attaqué en justice le département de la Loire au printemps 2025 pour mauvaise utilisation de l’argent public et excès de pouvoir. Avec 6 620 passager·es par an et 20 000 vols d’aéroclubs, l’aéroport a perçu 1,2 million d’euros de subventions départementales en 2025. Pour Charlène Fleury, coordinatrice du réseau Rester sur terre, dont ForezAgir est membre, le maintien de ces subventions «favorise surtout la mobilité des chefs d’entreprises et, par extension, la croissance économique». Elle estime que «l’avion reste un marqueur de statut social» pour les grand·es patron·nes.

De l’argent public au profit de quelques élu·es

Le Puy-en-Velay (Haute-Loire)/Paris fait partie des 12 lignes d’aménagement du territoire (LAT), financées par l’État et les collectivités territoriales dans un objectif de «désenclavement». Malgré son déficit annuel de 1,7 million d’euros entre 2017 et 2019, selon la Chambre régionale des comptes d’Auvergne-Rhône-Alpes (CRC), l’État s’est engagé à maintenir la liaison pour garantir la continuité du service public.

Pourtant, dans son rapport, la CRC recommande l’arrêt de cette ligne, exploitée par la compagnie Twin Jet. Celle-ci assure 605 vols par an pour une moyenne de 3 392 passager·es, soit à peine cinq passager·es par vol. Mais, au lieu de réduire les subventions, la région Auvergne-Rhône-Alpes a décidé en mars de les augmenter de 300 000 à 1 million d’euros pour 2025. Depuis, elle est la ligne la plus financée par le contribuable, avec environ 472 euros par passager·es, a révélé Médiacités.

Face à ce paradoxe, la Région explique répondre à une obligation de service public imposée par l’État et le droit européen. «Les subventions supplémentaires auraient pu être utilisées pour désenclaver autrement, comme en développant des modes de transport moins polluants», souligne Alexis Chailloux, membre du RAC. Se rendre à Paris en train depuis Le Puy-en-Velay prend actuellement 4h30 (minimum).

Alexis Chailloux s’interroge sur l’intérêt de cette dépense publique, puisque «seules les personnes les plus aisées profitent de la ligne aérienne. L’argent ne profite pas à la population.» La CRC Auvergne-Rhône-Alpes note que, de 2017 à 2021, un quart des trajets Le Puy‐Paris ont été effectués par 77 personnes, dont huit élu·es. La ligne est notamment utilisée par Laurent Wauquiez, ancien président (Les Républicains) de la Région, pour effectuer ses fréquents allers-retours entre Paris, où il exerce ses fonctions de député, et son fief bien-aimé.

Contactées, la région Auvergne-Rhône-Alpes n’a pas donné suite à nos sollicitations, tout comme la société Edeis, gestionnaire de l’aéroport de Tours.

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