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L’aéroport d’Avignon, réservé aux jets privés, survit grâce à des millions d’euros de subventions publiques

Déconnage imminent. L’aéroport de la plus grande ville du Vaucluse ne reçoit plus de vols commerciaux depuis 2023. Mais les avions privés continuent d’y être accueillis, grâce à des subventions publiques massives. Associations et élu·es se mobilisent face à ce qu’ils qualifient d’«aberration».
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Frédérique Boyer n’en revient pas. Le parking de l’aéroport d’Avignon-Provence est plein à craquer, en ce dimanche de mars. Il ne faut pas s’y tromper : aucun vol commercial ne décolle d’ici depuis deux ans. Les voitures garées sont celles des spectateur·ices d’un salon automobile qui se tient à proximité. Cette représentante de l’Un-Adrac, une association de riverain·es de l’aéroport, ironise : «Tout ce qui fait du bruit et pollue, je n’aime pas !»

Chaque année, la Région subventionne l’aéroport à hauteur d’un million d’euros. © Gus Flier/Pexels

Comme elle vit tout près depuis 30 ans, elle a connu l’aéroport à son apogée, quand il y avait quelque 130 000 voyageur·ses par an. Mais ce nombre a dégringolé avec l’arrivée du TGV entre Paris et Marseille : depuis 2001, la cité des papes n’est plus qu’à environ trois heures de train de la capitale. L’aéroport avignonnais a aussi souffert de la concurrence avec son voisin marseillais, dont les pistes sont situées à une soixantaine de kilomètres. Résultat : aujourd’hui, sur le tarmac d’Avignon-Provence, les jets privés et l’aviation de loisir sont les seuls à subsister.

Un million d’euros par an

La baisse de l’activité de l’aéroport est compensée par des subventions publiques. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), propriétaire de la société gestionnaire du site, subventionne l’aéroport à hauteur d’un million d’euros chaque année. À cela s’ajoutent – certaines années, en cas de déficit – des subventions régionales d’investissement et d’équilibre, représentant respectivement 150 000 et 700 000 euros en 2023. Quant à l’État, il finance l’infrastructure pour 200 000 euros par an. «Les comptes de l’aéroport étant structurellement déficitaires, les activités du site ne pourraient se poursuivre sans aides financières», justifie la Région dans son budget.

Le problème est commun à l’ensemble des petits aéroports du pays. En 2019, une étude pour l’association Qualité mobilité montrait que seulement une quinzaine d’aéroports commerciaux français (sur 86) étaient rentables. Les autres survivent grâce aux subventions, justifiées par une obligation de service public. Un argument difficile à entendre à Avignon-Provence, alors que le trafic commercial y a disparu et que son principal poste de recettes est foncier, en louant des emplacements sur le site.

«À chaque fois, ils nous parlent du médical»

En janvier dernier, dans une question écrite restée sans réponse, le député (La France insoumise) Raphaël Arnault avait interpellé le ministre des transports, Philippe Tabarot, sur ce «non-sens écologique et social». Contacté par Vert, le cabinet du ministre affirme que l’aéroport «accomplit des missions d’intérêt général telles que la sécurité civile, la défense, le transport médical ou encore les activités associatives». Un argument qui a le don d’agacer Frédérique Boyer : «À chaque fois, ils nous parlent du médical. Va pour le médical et arrêtons le reste. On verra s’ils sont d’accord !»

L’entrée de l’aéroport Avignon-Provence. © Samy Hage/Vert

Pour la riveraine, ces subventions s’expliquent par une volonté de relancer l’aviation commerciale. «Cela fait 20 ans qu’ils essaient de le faire, avec de nouveaux projets. Ils n’acceptent pas que ce soit terminé», considère-t-elle. De fait, malgré son arrêt, l’activité commerciale est toujours citée par la Région comme un objectif dans sa délégation de service public (DSP) – il s’agit d’un contrat par lequel une entité publique confie la gestion d’un service dont elle a la responsabilité à un délégataire, public ou privé. Cette DSP sera renouvelée fin 2026, mais difficile pour le moment de savoir si cet objectif sera maintenu. Ni la Région, ni l’aéroport n’ont souhaité répondre à Vert.

Un référendum… symbolique

Alors, la section locale du mouvement écologiste Extinction rebellion s’est saisie du sujet. En ce mois de mars, et jusqu’à avril 2025, elle organise un «référendum citoyen». Concrètement, elle tient des stands dans différents lieux de la ville, avec un vote symbolique : pour ou contre le maintien de l’aéroport. Elle donne aussi la possibilité de proposer un projet alternatif : logements sociaux, tiers-lieu, parc…

Fin mars, au marché de Fontcouverte, à Avignon, où se tient l’un des stands, les habitant·es ne se montrent pas hostiles à l’aéroport. Alors, les militant·es sortent leur carte maîtresse : «Et si je vous dis qu’il est subventionné par la Région, alors qu’il n’y a plus de vols commerciaux ?» Beaucoup apprennent à cette occasion l’arrêt des vols. «Si ce n’est que pour ça, ça ne sert à rien», lâche un habitant, avant de déposer un bulletin contre l’aéroport dans l’urne. Une action appréciée par l’association de riverain·es Un-Adrac. «Nous avons choisi de travailler en passant par les voies officielles. Nous sommes ravis que d’autres prennent le flambeau d’une manière différente», explique Yves Marie-Cardine, président de l’Un-Adrac.

Le comptoir pour les vols commerciaux – fermé – de l’aéroport d’Avignon. © Samy Hage/Vert

Ces voies officielles prennent la forme de «comités de site» qui réunissent élu·es, aéroport et associations (Un-Adrac et France nature environnement), une à deux fois par an. Ironiquement, ces comités prennent généralement place dans la salle d’embarquement déserte de l’aéroport. Ce 27 mars, la réunion a lieu à la mairie de la ville voisine de Caumont-sur-Durance (Vaucluse). Les communes de la périphérie d’Avignon révèlent un autre aspect de la mobilisation contre l’aéroport : le bruit. Une nuisance qui cristallise les tensions, à tel point que certain·es élu·es disent ne plus oser se rendre dans les marchés locaux, face à l’agacement des habitant·es.

Une vision anachronique

À en croire les riverain·es, le bruit aurait paradoxalement augmenté, malgré la baisse du trafic commercial. Pour cause, ces nuisances ont changé de nature, avec le renforcement de l’aviation de loisir (tourisme, voltige) et des écoles de pilotage. «Je n’étais pas gênée dans les années 1990. Un avion de ligne, il décolle et il part. Un avion de loisir, il fait des tours de piste à répétition», confie Frédérique Boyer. De son côté, l’adjoint à l’environnement de la ville voisine de Noves, Jean-Philippe Matecki, a demandé un classement en «zone forte densité», sans succès. Selon lui, le secteur est éligible à cette disposition qui limite les nuisances. Mais, pour le moment, il n’a pas de retour de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), service de l’État en charge de sa mise en place. «On a l’impression d’être bloqués dans une vision d’il y a soixante ans», soupire l’élu.

Malgré tout, la direction de l’aéroport promet des résultats concernant le bruit dès septembre prochain. Reste qu’il sera difficile d’en attester. Au printemps dernier, la DGAC a effectué des mesures sonores autour de l’aéroport, mais les résultats, initialement promis pour octobre 2024, n’ont toujours pas été publiés. Interrogée sur ce point lors du comité de site, la DGAC avance que le traitement des données est en cours et prend du temps.

Sans être satisfaites, les associations reconnaissent un climat plus apaisé depuis l’arrivée du nouveau directeur de l’aéroport, Guillaume Desmarets, l’an passé, après plusieurs années de tensions. Les associations ont donc à cœur de ne pas froisser cette nouvelle relation, encore fragile. Au début du comité de site du 27 mars, à Caumont-sur-Durance, le directeur de l’aéroport s’était agacé de notre sollicitation : «Des journalistes ont demandé à participer à la réunion, ça nous a contrariés, on a eu du mal à s’en défaire.» Ce retour, indirect, sera le seul de l’aéroport à nos questions.

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