Stupeur et Parlement. Réuni·es en session parlementaire à Strasbourg, les eurodéputé·es auraient dû voter mercredi plusieurs textes cruciaux du Pacte Vert européen. Mais l’influence des lobbys industriels et le jeu trouble de la droite et du centre ont mis l’hémicycle sens dessus dessous. Récit.
« Les votes pour le paquet climat européen commencent dans deux minutes ! Nous avons rendez-vous avec l’histoire », twittait mercredi 8 juin l’eurodéputé Pascal Canfin, chef du groupe Renew (dont font notamment partie les Français·es du parti Renaissance – Ex-En marche). Cet après-midi-là, les 750 député·es européen·nes se retrouvaient dans l’hémicycle pour solder des mois de discussions et adopter leur compromis final sur huit des 12 propositions législatives qui découlent du Pacte Vert européen (Vert).
Pour rappel, cet important paquet de mesures présenté en juillet dernier par la Commission européenne doit permettre à l’Union européenne (UE) de réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % en 2030 (par rapport à 1990). Aussi passionnante que chaotique, la séance de vote est effectivement entrée dans l’histoire du Parlement européen. Mais, il est encore à ce stade impossible de dire s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise nouvelle tant les choses se sont déroulées de manière inattendue.
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De cet après-midi mouvementé, on retiendra d’abord des avancées certaines, dont l’interdiction de la vente de voitures et camionnettes thermiques neuves à compter de 2035 (contre 2040 en France par exemple). L’issue du vote sur ce texte très médiatique suscitait une forte appréhension en raison de l’opposition de la droite du Parti populaire européen (PPE). Les eurodéputé·es ont également réussi à se mettre d’accord pour durcir l’assujettissement des compagnies aériennes au principe de pollueur-payeur via le marché européen des quotas carbone (ETS). Pour l’instant, celles-ci bénéficient de quotas gratuits d’émissions de dioxyde de carbone (CO2) auxquels les eurodéputé·es proposent de mettre fin dès 2025, soit deux ans avant la proposition de la Commission européenne. D’autre part, le périmètre d’application sera élargi à tous les vols au départ de l’UE (alors qu’il ne concernait jusqu’ici que les vols intra-européens). Autrement dit, les compagnies aériennes vont devoir payer pour polluer.
Enfin, les eurodéputé·es se sont entendu·es sur le partage de l’effort entre pays membres pour réduire de 40 % au lieu de 30 % (entre 2005 et 2030) les émissions de CO2 de quatre secteurs d’activité prioritaires (une partie de l’agriculture, la gestion des déchets, le transport routier et le bâtiment). Par exemple, l’objectif français est porté de 37 à 47,5 %.
Mais c’est le vote sur la réforme du marché ETS qui a définitivement semé le chaos dans l’hémicycle, comme l’ont raconté en détail nos confrères de Contexte. Ce dispositif d’achat/vente de droits à polluer instauré en 2005 demeure aujourd’hui largement inopérant en raison des nombreuses dérogations et quotas gratuits accordés aux industriels qui y sont soumis. Parmi les compromis dessinés en commission parlementaire, les eurodéputé·es s’étaient notamment mis d’accord pour mettre fin à ces quotas gratuits dès 2030. Mais lors du vote en plénière, le PPE, soutenu tour à tour par Renew, l’extrême droite (ID) ou la droite eurosceptique (CRE), a finalement réussi à faire adopter plusieurs amendements répondant aux demandes des industriels, mais amoindrissant considérablement l’ambition du texte (Mediapart).
Le report des quotas gratuits à fin 2034 a été considéré comme une ligne rouge par les socialistes qui ont, en conséquence, décidé de rejeter le compromis dans son entièreté. De facto, l’adoption d’une taxe carbone aux frontières est également reportée puisque celle-ci consistait à obliger les importateurs de produits polluants à acheter des quotas carbones sur ce marché de l’ETS. De même, la création d’un fonds social pour le climat est suspendue, car celui-ci devait être abondé par les recettes issues de la vente de ces quotas carbone.
Après ce revers inattendu, les député·es ont décidé de renvoyer les textes en commission parlementaire pour tenter de trouver un nouveau compromis. Pour beaucoup d’observateur·ices, cet événement rare a illustré la force des lobbys de l’industrie, dont certain·es eurodéputé·es ont dénoncé les pressions. Il a aussi montré que la gauche a préféré briser le consensus plutôt que d’amoindrir l’ambition sur ces textes cruciaux. Un nouveau rendez-vous en plénière a été fixé pour le 22 juin. C’est ce jour-là que l’on saura si le report aura été utile ou non.