Le vert du faux

Comment garder le moral en temps de crise climatique ?

Climat qui dérape, agonie du vivant, millions de personnes durement touchées… Il y a de quoi avoir le bourdon. Camille Etienne, Lucie Lucas, Corinne Morel-Darleux et d’autres nous donnent leurs recettes pour retrouver de l’élan en cette heure cruciale pour notre avenir.
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Out­re l’inquiétude et l’angoisse, l’avalanche de mau­vais­es nou­velles sur l’état du cli­mat et du vivant peut provo­quer la pros­tra­tion ou l’indifférence. Pour échap­per à ce monde de brutes, on peut vouloir se débranch­er de l’actu, une ten­dance dont témoigne le rap­port 2023 du Reuters Insti­tute. Or, comme le dit notre adage, «il est trop tard pour être pes­simiste».

Cultiver sa curiosité

Com­ment garder con­tact avec ce qui nous entoure sans per­dre le moral ? Peut-être en apprenant à voir les choses de plus près pour renouer avec les petites échelles, con­crètes, de l’action. C’est ce que pro­posent les pro­grammes de sci­ences citoyennes : con­tribuer à l’avancée des con­nais­sances en obser­vant la nature et en effec­tu­ant des relevés, sim­ples à réalis­er, qui vien­dront ali­menter les travaux des sci­en­tifiques. Par­mi les ini­tia­tives les plus pop­u­laires, le comp­tage des oiseaux ou des papil­lons, pro­posés par le Muséum nation­al d’histoire naturelle, ou le suivi de la pro­liféra­tion des microalgues sur le lit­toral par l’Ifremer. Ini­ti­a­teur de plusieurs pro­grammes de sci­ences par­tic­i­pa­tives autour de la sur­veil­lance des arbres à l’heure du réchauf­fe­ment, Bastien Castag­ney­rol, chercheur en écolo­gie à l’Institut nation­al de recherche pour l’a­gri­cul­ture, l’al­i­men­ta­tion et l’en­vi­ron­nement (Inrae), iden­ti­fie «la capac­ité à se rap­procher du vivant et à faire com­mu­nauté» comme les prin­ci­pales ver­tus de ces pro­grammes. Reste à met­tre la main sur un car­net et des jumelles.

Agir sur son lieu de travail

«Je garde le moral en me dis­ant qu’on peut faire bouger les lignes là où l’on est», s’enthousiasme Quentin Bor­det, le fon­da­teur des Col­lec­tifs, un réseau qui rassem­ble des col­lec­tifs de salariés. Il pro­pose de se regrouper avec d’autres au sein de son entre­prise afin de men­er des actions de sen­si­bil­i­sa­tion et de for­ma­tion, s’engager dans le change­ment de four­nisseurs, inter­roger les pro­duits et les ser­vices et, plus large­ment, faire du lob­by­ing auprès de la direc­tion pour mieux pren­dre en compte les lim­ites plané­taires dans le mod­èle économique, la stratégie et la mis­sion de l’entreprise. Pour débuter, il faut trou­ver les premier·es intéressé·es et se struc­tur­er. On peut aus­si se tourn­er vers des syn­di­cats comme le Print­emps écologique, voire se présen­ter aux élec­tions pro­fes­sion­nelles.

La tran­si­tion est néces­saire dans chaque secteur d’activité. «Je pars du principe que mon tra­vail doit servir au futur de mes enfants, témoigne la comé­di­enne Lucie Lucas auprès de Vert. On peut influer dans son envi­ron­nement de tra­vail avec plein de gestes et de débats pour faire grandir les con­sciences. Pour moi, ça s’est traduit par deman­der à la pro­duc­tion de chang­er notre façon de faire pen­dant les tour­nages. Main­tenant, on a une can­tine et du maquil­lage bio, une vraie ges­tion des déchets, des vête­ments sec­onde main ou éthique. On a aban­don­né les bouteilles d’eau, les véhicules à éner­gies fos­siles et les généra­teurs. On essaie de dimin­uer notre empreinte écologique au max­i­mum. Ensuite, on peut faire évoluer les his­toires.»

S’impliquer à l’école

On peut agir dès le plus jeune âge en devenant écodélégué·e, sen­si­bilis­er ses cama­rades aux éco­gestes et pro­pos­er des actions à men­er dans son étab­lisse­ment sco­laire. Durant les études, on peut rejoin­dre des organ­i­sa­tions comme Pour un réveil écologique, qui demande davan­tage de cours sur les enjeux écologiques dans le supérieur ; ou les nom­breuses asso­ci­a­tions du Réseau étu­di­ant pour une société écologique et sol­idaire (Reses). Surtout, la tran­si­tion écologique offre une foule d’emplois et de nou­veaux métiers à avoir en tête pour ses choix d’orientation.

Vous êtes parent·e d’élève ? Les ini­tia­tives ne man­quent pas non plus pour faire bouger les lignes, impulser des change­ments con­crets dans le quo­ti­di­en de ses enfants ou ceux des autres. Certain·es ont même vu les choses en grand. En 2016, à Sour­cieux-les-Mines (Auvergne Rhône-Alpes), Patrice Michalon, cuisinier, et Vir­ginie Siena, aux­il­i­aire de vie sco­laire, alors tous deux au chô­mage, déci­dent de repren­dre en auto­ges­tion la can­tine de cette ville des envi­rons de Lyon où sont scolarisé·es plus de 200 enfants. Ils cherchent avant tout à «s’approvisionner en pro­duits issus de l’agriculture biologique ou ten­ant compte de la préser­va­tion de l’environnement», con­fie le duo au Monde lors de leur lance­ment. Sept ans plus tard, ils sont tou­jours aux manettes des assi­ettes.

S’engager près de chez soi

«L’apathie arrange les puis­sants, con­fi­ait récem­ment Camille Eti­enne dans une inter­view à Vert. L’activisme a un coût humain, financier par­fois, cor­porel avec la répres­sion, et il demande du tra­vail. Les soulève­ments que j’appelle peu­vent être fas­ti­dieux. Mais l’idée que l’on serait dans une voiture sur le siège arrière, qu’on ver­rait le paysage défil­er sans rien pou­voir y faire… ce n’est pas vrai.» Pour elle, il suf­fit de rejoin­dre une action col­lec­tive près de chez soi, peu importe ses tal­ents, car «on a besoin d’une société entière qui se soulève par une étin­celle». On peut aus­si s’engager sur le ter­rain poli­tique local.

Le tis­su asso­ci­atif français est par­ti­c­ulière­ment dynamique. Dans ce panora­ma foi­son­nant, les asso­ci­a­tions de défense et de pro­tec­tion de l’environnement occu­pent une place de choix, à l’image d’Agir pour l’en­vi­ron­nement (APE), Les Amis de la Terre, Alter­nat­i­ba, France nature envi­ron­nement (FNE), Green­peace France, la Ligue pour la pro­tec­tion des oiseaux (LPO) ou encore le Réseau action cli­mat (RAC), pour ne citer qu’elles. La liste 2023 des struc­tures agréées com­porte 57 asso­ci­a­tions, de quoi répon­dre à tous les cen­tres d’intérêt.

En adhérant en 1983 à la LPO, Yves De Ton­quedec voulait tout sim­ple­ment «répar­er un épisode d’enfance boulever­sant», con­fie-t-il à Vert. À dix ans, il avait tué une mésange à coup de cara­bine à plomb. Ani­ma­tion de stands pour faire con­naître l’association et ses actions, sor­ties sur les bor­ds de Loire pour assis­ter au retour des bal­buzards pêcheurs ou dans la réserve naturelle nationale des Sept-Îles (Côtes d’Armor) pour observ­er les macareux et les fous de Bas­san… «Toutes ces activ­ités sont pour moi autant de bouf­fées d’oxygène. À voir toute cette vie, je me dis “Il y a encore tout ça !”. Faire par­tie de la LPO, c’est aus­si dis­cuter, ren­con­tr­er du monde. C’est une excel­lente manière de calmer sa colère, son décourage­ment», con­state-t-il.

Nourrir son imaginaire

Cli­mat, bio­di­ver­sité, pol­lu­tions : quand les cat­a­stro­phes sont passées au tamis de l’imaginaire et de la créa­tion, les per­cep­tions changent et s’enrichissent. À tra­vers les films, les livres, les jeux vidéo, les arts plas­tiques, les artistes s’emparent chaque jour davan­tage des sujets écologiques, les abor­dant de façon sin­gulière : en ayant recours au fan­tas­tique, comme récem­ment les réal­isa­teurs Just Philip­pot (Acide) et Thomas Cail­ley (Le Règne ani­mal), en immergeant les publics dans une forêt matricielle, à l’image du plas­ti­cien Fab­rice Hyber et de sa Val­lée, en pro­posant de restau­r­er la faune et la flo­re d’un ter­ri­toire dans le jeu Ter­ra Nil. «L’élan se nour­rit aus­si d’esthétique. Ce n’est ni un début de défaite, ni un aveu de faib­lesse», con­fi­ait à Vert l’autrice Corinne Morel-Dar­leux. Et de pour­suiv­re : «J’aime beau­coup cette phrase attribuée à Paul Vir­ilio : “On peut s’émerveiller du monde tout en s’en inquié­tant”».

Pho­to : Antho­ny Fomin / Unsplash