Outre l’inquiétude et l’angoisse, l’avalanche de mauvaises nouvelles sur l’état du climat et du vivant peut provoquer la prostration ou l’indifférence. Pour échapper à ce monde de brutes, on peut vouloir se débrancher de l’actu, une tendance dont témoigne le rapport 2023 du Reuters Institute. Or, comme le dit notre adage, «il est trop tard pour être pessimiste».
Cultiver sa curiosité
Comment garder contact avec ce qui nous entoure sans perdre le moral ? Peut-être en apprenant à voir les choses de plus près pour renouer avec les petites échelles, concrètes, de l’action. C’est ce que proposent les programmes de sciences citoyennes : contribuer à l’avancée des connaissances en observant la nature et en effectuant des relevés, simples à réaliser, qui viendront alimenter les travaux des scientifiques. Parmi les initiatives les plus populaires, le comptage des oiseaux ou des papillons, proposés par le Muséum national d’histoire naturelle, ou le suivi de la prolifération des microalgues sur le littoral par l’Ifremer. Initiateur de plusieurs programmes de sciences participatives autour de la surveillance des arbres à l’heure du réchauffement, Bastien Castagneyrol, chercheur en écologie à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), identifie «la capacité à se rapprocher du vivant et à faire communauté» comme les principales vertus de ces programmes. Reste à mettre la main sur un carnet et des jumelles.
Agir sur son lieu de travail
«Je garde le moral en me disant qu’on peut faire bouger les lignes là où l’on est», s’enthousiasme Quentin Bordet, le fondateur des Collectifs, un réseau qui rassemble des collectifs de salariés. Il propose de se regrouper avec d’autres au sein de son entreprise afin de mener des actions de sensibilisation et de formation, s’engager dans le changement de fournisseurs, interroger les produits et les services et, plus largement, faire du lobbying auprès de la direction pour mieux prendre en compte les limites planétaires dans le modèle économique, la stratégie et la mission de l’entreprise. Pour débuter, il faut trouver les premier·es intéressé·es et se structurer. On peut aussi se tourner vers des syndicats comme le Printemps écologique, voire se présenter aux élections professionnelles.
La transition est nécessaire dans chaque secteur d’activité. «Je pars du principe que mon travail doit servir au futur de mes enfants, témoigne la comédienne Lucie Lucas auprès de Vert. On peut influer dans son environnement de travail avec plein de gestes et de débats pour faire grandir les consciences. Pour moi, ça s’est traduit par demander à la production de changer notre façon de faire pendant les tournages. Maintenant, on a une cantine et du maquillage bio, une vraie gestion des déchets, des vêtements seconde main ou éthique. On a abandonné les bouteilles d’eau, les véhicules à énergies fossiles et les générateurs. On essaie de diminuer notre empreinte écologique au maximum. Ensuite, on peut faire évoluer les histoires.»
S’impliquer à l’école
On peut agir dès le plus jeune âge en devenant écodélégué·e, sensibiliser ses camarades aux écogestes et proposer des actions à mener dans son établissement scolaire. Durant les études, on peut rejoindre des organisations comme Pour un réveil écologique, qui demande davantage de cours sur les enjeux écologiques dans le supérieur ; ou les nombreuses associations du Réseau étudiant pour une société écologique et solidaire (Reses). Surtout, la transition écologique offre une foule d’emplois et de nouveaux métiers à avoir en tête pour ses choix d’orientation.
Vous êtes parent·e d’élève ? Les initiatives ne manquent pas non plus pour faire bouger les lignes, impulser des changements concrets dans le quotidien de ses enfants ou ceux des autres. Certain·es ont même vu les choses en grand. En 2016, à Sourcieux-les-Mines (Auvergne Rhône-Alpes), Patrice Michalon, cuisinier, et Virginie Siena, auxiliaire de vie scolaire, alors tous deux au chômage, décident de reprendre en autogestion la cantine de cette ville des environs de Lyon où sont scolarisé·es plus de 200 enfants. Ils cherchent avant tout à «s’approvisionner en produits issus de l’agriculture biologique ou tenant compte de la préservation de l’environnement», confie le duo au Monde lors de leur lancement. Sept ans plus tard, ils sont toujours aux manettes des assiettes.
S’engager près de chez soi
«L’apathie arrange les puissants, confiait récemment Camille Etienne dans une interview à Vert. L’activisme a un coût humain, financier parfois, corporel avec la répression, et il demande du travail. Les soulèvements que j’appelle peuvent être fastidieux. Mais l’idée que l’on serait dans une voiture sur le siège arrière, qu’on verrait le paysage défiler sans rien pouvoir y faire… ce n’est pas vrai.» Pour elle, il suffit de rejoindre une action collective près de chez soi, peu importe ses talents, car «on a besoin d’une société entière qui se soulève par une étincelle». On peut aussi s’engager sur le terrain politique local.
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Le tissu associatif français est particulièrement dynamique. Dans ce panorama foisonnant, les associations de défense et de protection de l’environnement occupent une place de choix, à l’image d’Agir pour l’environnement (APE), Les Amis de la Terre, Alternatiba, France nature environnement (FNE), Greenpeace France, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) ou encore le Réseau action climat (RAC), pour ne citer qu’elles. La liste 2023 des structures agréées comporte 57 associations, de quoi répondre à tous les centres d’intérêt.
En adhérant en 1983 à la LPO, Yves De Tonquedec voulait tout simplement «réparer un épisode d’enfance bouleversant», confie-t-il à Vert. À dix ans, il avait tué une mésange à coup de carabine à plomb. Animation de stands pour faire connaître l’association et ses actions, sorties sur les bords de Loire pour assister au retour des balbuzards pêcheurs ou dans la réserve naturelle nationale des Sept-Îles (Côtes d’Armor) pour observer les macareux et les fous de Bassan… «Toutes ces activités sont pour moi autant de bouffées d’oxygène. À voir toute cette vie, je me dis “Il y a encore tout ça !”. Faire partie de la LPO, c’est aussi discuter, rencontrer du monde. C’est une excellente manière de calmer sa colère, son découragement», constate-t-il.
Nourrir son imaginaire
Climat, biodiversité, pollutions : quand les catastrophes sont passées au tamis de l’imaginaire et de la création, les perceptions changent et s’enrichissent. À travers les films, les livres, les jeux vidéo, les arts plastiques, les artistes s’emparent chaque jour davantage des sujets écologiques, les abordant de façon singulière : en ayant recours au fantastique, comme récemment les réalisateurs Just Philippot (Acide) et Thomas Cailley (Le Règne animal), en immergeant les publics dans une forêt matricielle, à l’image du plasticien Fabrice Hyber et de sa Vallée, en proposant de restaurer la faune et la flore d’un territoire dans le jeu Terra Nil. «L’élan se nourrit aussi d’esthétique. Ce n’est ni un début de défaite, ni un aveu de faiblesse», confiait à Vert l’autrice Corinne Morel-Darleux. Et de poursuivre : «J’aime beaucoup cette phrase attribuée à Paul Virilio : “On peut s’émerveiller du monde tout en s’en inquiétant”».
Photo : Anthony Fomin / Unsplash
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