Qu’est-ce qui vous rend éco-anxieuse ?
C’est le constat quotidien de la destruction du vivant et le déni dans lequel nous vivons. Ce que je trouve très difficile, c’est l’écart entre les annonces politiques en faveur de l’écologie et les décisions prises. Cela crée une dissonance cognitive et un sentiment d’impuissance. On est beaucoup d’humains à chercher la logique des choses et quand la société va à l’encontre de la logique, c’est paralysant et déprimant.
Ce qui me rend aussi éco-anxieuse, c’est la différence de niveau de conscience entre les gens. Beaucoup n’ont pas les informations essentielles pour faire basculer notre civilisation dans une société plus juste et respectueuse du vivant. Quand je m’en rends compte, je peux me laisser submerger par l’émotion. Or, quand les émotions parlent, c’est difficile d’avoir un discours construit. On peut avoir l’impression de ne pas réussir à exprimer l’urgence.
À l’inverse, mon quotidien est teinté par le climat : je culpabilise si je ne mets pas le couvercle sur une casserole qui bout ou si je laisse couler le robinet une seconde de trop. Je me prends énormément la tête quand je dois voyager. L’inquiétude pour le climat se manifeste dans chacun des gestes quotidiens.
Faut-il combattre l’éco-anxiété ou vivre avec ?
Je ne veux pas soigner mon éco-anxiété, car je la trouve saine. Mais il ne faut pas que ça m’empêche de voir la beauté chez les gens et dans la nature. Je pense qu’il faut accueillir et accepter l’éco-anxiété. Faire le deuil de nos ancienne croyances et passer outre l’effet de sidération et la tristesse. C’est un processus de deuil.
«Il faut d’abord se réparer pour mieux prendre soin des autres et de son environnement»
Pour sortir de la dépression, rien de mieux que d’être dans l’action. Dès l’instant où j’ai commencé à publier des choses sur l’écologie sur les réseaux sociaux, à m’engager auprès d’associations, j’allais mieux. J’avais l’impression de moins subir, de ne pas être seule. En réalité, on est très nombreux et notre défi c’est de s’en sortir collectivement comme un seul corps. En plus, le collectif amène de la joie et du bonheur et ça nous permet de mieux apprécier la beauté du monde et de la défendre avec amour. Et quand il y a de l’amour, il y a beaucoup plus de force.
Avec mon conjoint et mes enfants, nous sommes partis vivre dans les Côtes d’Armor, dans un écolieu, il y a quatre ans. On s’est installés dans une grande maison en habitat partagé à 12. On vend nos légumes à la ferme, on a créé une boutique de producteurs locaux pour que ceux qui répondent à notre charte vendent leurs produits à la ferme. On construit un bar citoyen pour ouvrir le débat et donner accès aux informations dans une ambiance festive, joyeuse, conviviale. On veut sortir des clivages et rassembler au maximum.
«On paie des décennies où on a vu des actrices et acteurs, comme Emmanuelle Béart, se faire démolir en raison de leur engagement.»
L’écolieu est destiné à nous apprendre et à prendre soin de nous-mêmes. On évolue dans une société profondément maltraitante où règnent le patriarcat, les incestes, les violences sexistes et sexuelles, la précarité financière et la précarité au travail. On est tous abîmés et cassés : il faut d’abord se réparer pour mieux prendre soin des autres et de son environnement et apprendre à faire société dans une logique d’équité, de justice et d’harmonie.
Ces jours-ci, le festival de Cannes déroule son tapis rouge aux cinéastes du monde entier. Quel regard portez-vous sur le monde du cinéma ?
Je sens qu’il y a de vraies prises de conscience. Les comédiens sont des gens très sensibles, qui ont l’habitude d’être en marge et regardent la vie d’une autre façon. Par contre, c’est très difficile de passer le cap de s’exprimer publiquement. On paie des décennies où on a vu des actrices et acteurs, comme Emmanuelle Béart, se faire démolir en raison de leur engagement. La peur est inscrite en nous. C’est un métier précaire et pour gagner notre vie, nous sommes tributaires du désir des autres. Avec On est prêt, on réfléchit à la façon d’accompagner les artistes qui se sentent dépassés ou peu légitimes.
Le milieu de l’audiovisuel a un énorme rôle à jouer dans la transition. Les comédiens principaux ont du pouvoir sur un tournage et peuvent négocier des conditions plus écologiques. Il y a un créneau à prendre, car les producteurs et les distributeurs sont de plus en plus à l’écoute. Il faut se sentir légitime et aussi accepter que tout ne change pas d’un coup.
Comment faire en sorte que la télé et le cinéma soient plus écolos ?
Je pars du principe que mon travail doit servir au futur de mes enfants. On peut influer dans son environnement de travail avec plein de gestes et de débats pour faire grandir les consciences. Pour moi, ça s’est traduit par demander à la production de changer notre façon de faire pendant les tournages. Maintenant, on a une cantine et du maquillage bio, une vraie gestion des déchets, des vêtements seconde main ou éthique. On a abandonné les bouteilles d’eau, les véhicules à énergies fossiles et les générateurs. On essaie de diminuer notre empreinte écologique au maximum.
Ensuite, on peut faire évoluer les histoires. Clem [personnage principal de la série Clem sur TF1, incarné par Lucie Lucas] a changé de vie il y a sept ans et est partie faire du maraîchage bio. Puis, elle a rechangé de vie, mais elle a gardé certaines habitudes comme faire son compost, prendre son vélo au maximum et acheter en vrac. Ça paraît naturel dans la fiction et ça permet de normaliser certaines habitudes sans qu’on en fasse une intrigue à elle seule — même si les films plus engagés sont absolument nécessaires.
«Comment pourrais-je insuffler et participer à de nouveaux récits si je m’extrais complètement du système ?»
Pendant longtemps, j’étais gênée d’être comédienne. Pour moi, divertir n’était pas l’urgence. Mais j’ai réalisé que beaucoup de messages passent mieux au travers du divertissement : j’ai reçu des milliers de courriers de téléspectateurs qui me disaient qu’ils étaient heureux des changements opérés dans la série, ils étaient contents qu’on leur parle de leur quotidien. Cyril Dion dit depuis longtemps qu’il faut inventer de nouveaux récits. Je suis d’accord avec lui et on n’est pas obligés de le faire en se prenant la tête : on peut se divertir, regarder la télé, faire du sport et faire grandir notre conscience en même temps. C’est plus joyeux et plus fédérateur.
La fiction aussi peut créer de l’éco-anxiété. Faut-il se tenir éloignés des scénarios apocalyptiques ?
Les fictions sont fondamentalement indispensables. Il est important de visualiser les étapes vers lesquelles on va. Mais il est vrai qu’elles créent de l’éco-anxiété. Je regarde très peu de fictions car les dystopies ne font que confirmer mes peurs et ça ne m’aide pas à aller de l’avant. Les autres fictions parlent souvent d’un monde que je ne reconnais pas, où les personnages ne se posent pas de questions sur ces sujets et ça me gêne profondément.
Faut-il tourner le dos au cinéma au nom de l’écologie, comme Adèle Haenel l’a fait en dénonçant un système qui entretient la violence ?
Quand j’ai vu la nouvelle, je me suis dit : «elle l’a fait!». J’ai toujours eu envie de le faire. Je me pose la question en permanence mais, pour l’instant, je n’ai pas eu besoin d’être dans cette radicalité pour m’épanouir au travail.
Je comprends complètement qu’Adèle l’ait fait mais moi, comment pourrais-je insuffler et participer à de nouveaux récits si je m’extrais complètement du système ? Je pense qu’il faut aussi augmenter et maintenir la pression au sein des productions audiovisuelles. Je le répète, je suis peut-être rêveuse, je crois profondément à l’idée de faire et d’y arriver ensemble. L’audiovisuel est pour moi un levier capital pour la transition humaniste et écologique du monde. J’ai envie de rester en lien avec cette industrie car elle a un pouvoir incroyable sur la société. En revanche, je ne peux plus envisager de participer à une fiction qui ne parlerait ni de justice sociale ni d’écologie ou qui serait discriminante.
Le monde du cinéma est à la traîne, comme tous les milieux. Les choses bougent lentement. Il y a cinq ans, je montais les marches à Cannes pour l’écologie. J’étais émue de voir tous ces journalistes présents. La montagne est encore très haute, mais je vois que les choses bougent. Je suis frustrée de ne pas participer à plus de fictions engagées.
Quelles sont les premières étapes pour faire bouger le septième art ?
D’abord, il faut des productions 100% écoresponsables. Il y a aussi beaucoup de formation à faire auprès des scénaristes, des chaînes et des productions pour qu’ils se sentent légitimes à parler de ces sujets. Ils ont peur d’être mis face à leurs incohérences. Mais nous sommes tous incohérents : il faut avancer car on n’a plus le temps d’attendre. Il faut sortir du jugement.
J’aimerais que le public s’exprime plus sur ce qu’il a envie de voir. Je suis marraine de l’Assemblée citoyenne des imaginaires, cofinancée par TF1. C’est une grande consultation citoyenne pour demander aux gens ce qu’ils ont envie de voir développer dans les fictions. Des scénaristes travaillent avec des citoyens pour trouver des scénarios qui fassent consensus et qui soient novateurs dans les sujets et la façon dont ils sont traités.
Avez-vous un film préféré ?
Non, mais j’ai été marquée par Captain fantastic. Ce film présente une famille qui a décidé de vivre dans la forêt en marge de la société, et les limites de cette vie-là. On constate qu’à basculer dans les extrêmes, on peut se faire mal. L’enfer est pavé de bonnes intentions. D’ailleurs, on est beaucoup d’écolos à avoir des enfants adolescents qui sont en rejet de ce qu’on leur propose comme vie. Ils ont envie de se faire leur propre opinion : ça nous fait flipper, on se demande ce qu’on a raté. Alors qu’on devrait avoir confiance en eux et en les valeurs que nous leur proposons. Elles sont des bases solides sur lesquelles ils pourront s’appuyer pour s’épanouir dans le monde avec respect et discernement.
Pour se former à l’éco-anxiété et «transformer ces émotions en actions», On est prêt lance un défi gratuit de deux semaines à partir du 22 mai.
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