Magali Payen est productrice et experte en mobilisation citoyenne. Elle a fondé l’ONG On est prêt et dirige Imagine 2050, une entreprise de formation des « leaders culturels ». Ce vendredi, elle annonce le lancement de « Newtopia », une société de production de nouveaux récits, aux côtés du réalisateur Cyril Dion et de l’actrice Marion Cotillard. Auprès de Vert, elle regrette que le festival de Cannes soit encore réticent à s’engager plus avant dans la prise en compte des limites planétaires, malgré la remise du premier prix « Ecoprod » – qui récompensera un film produit de façon écologique -, le 26 mai prochain.
Quel est l’objectif du nouveau prix « Ecoprod », qui récompense les films qui font de l’écoproduction ?
Ecoprod sensibilise les équipes de tournage et incite à leur faire prendre de nouvelles habitudes. Avec de la pédagogie, on arrive à les conscientiser. Le fait de remettre ce prix au festival permet de montrer qu’il n’y a pas d’antinomie entre excellence cinématographique et écoresponsabilité. Cela a valeur d’exemple pour le reste du cinéma. D’ailleurs, à partir de 2023, le CNC [Centre national du cinéma et de l’image animée, NDLR] exigera que tous les films qu’il soutient calculent leur bilan carbone.
Nous avons demandé aux films qui candidatent pour le prix Ecoprod s’ils avaient une stratégie pour réduire leurs émissions de carbone, si des efforts avaient eu lieu sur les transports, l’énergie, les décors, les lieux de location, etc. Nous regardons si des outils de mesure ont été utilisés.
Toutefois, parler d’écoproduction est largement insuffisant. Je rêve que l’on remette des prix « nouveau monde » au sein de la sélection. L’idéal serait que la sélection elle-même soit intégralement basée sur des critères de respect du vivant, mais on est très loin du compte.
« J’ai encore l’impression d’être dans Don’t look up »
Néanmoins, on pourrait avoir une sélection plus drastique. Cela implique de former celles et ceux qui sélectionnent. On a un enjeu de formation à tous les échelons de la société, auprès de l’ensemble des décideurs politiques, économiques, etc. Moi, je m’intéresse surtout aux décideurs et aux leaders culturels, notamment ceux qui font ce genre de programmation et qui ont un rayonnement immense. Le festival de Cannes, c’est l’événement culturel le plus médiatisé au monde.
Le festival a pris de premières petites mesures écologiques en 2021, comme la mise à disposition de véhicules électriques ou la diminution de moitié du volume de moquette utilisée pour le tapis rouge. L’organisation en fait-elle suffisamment ?
Absolument pas. J’ai l’impression qu’il y a un déficit de prise de conscience par l’organisation. S’ils avaient vraiment conscience de l’urgence climatique, de la crise de la biodiversité et des limites planétaires, les choses seraient différentes. Depuis 2021, l’entreprise Green events accompagne le festival pour diminuer son empreinte carbone, réduire les déchets et faire de la compensation carbone. Ils utilisent un outil pour calculer leur empreinte, mais c’est insuffisant. J’ai encore l’impression d’être dans Don’t look up.
En 2019, nous avions organisé un événement avec On est prêt et Cyril Dion. Nous avions invité les professionnels du cinéma à prendre leurs responsabilités d’artistes et à faire rêver d’un nouveau monde afin de commencer, dès aujourd’hui, à le créer. Nous avions fait venir cinq activistes. Cela avait donné lieu à une tribune, signée par 250 noms du cinéma. Certaines personnes étaient extrêmement bouleversées.
Pour l’édition 2021, le festival avait lancé une sélection éphémère de sept films sur le climat avec notamment le documentaire de Cyril Dion Animal, Bigger Than Us de Flore Vasseur, La croisade de Louis Garrel, etc. C’était un moment important, car le festival pouvait se rendre compte que lorsqu’il parlait de climat, c’était bien accueilli. Mais c’était une sélection éphémère et il faudrait maintenant pouvoir parler de « nouveau monde » au sens large, en incluant le vivant et les neuf limites planétaires.
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Ces jours-ci, vous lancez une société de production « Newtopia » avec Cyril Dion et Marion Cotillard. Quel sera son but ?
Avec « Newtopia », nous souhaitons sortir de la binarité qui existe entre utopie et dystopie pour explorer de nouveaux lieux – topia – d’imaginaires. Newtopia veut faire un pas de côté et s’appuie sur deux jambes : inventer et créer de nouveaux récits d’un côté, donner envie aux citoyens de se mobiliser de l’autre.
« Lorsqu’on émeut, on doit aussi donner des outils concrets pour que le spectateur agisse à son échelle »
Nous avons besoin de récits pour raconter une nouvelle manière de faire société qui respecterait les limites planétaires et la justice sociale. Pour cela, je m’inspire beaucoup de la théorie du donut de Kate Raworth (Vert). Il s’agit d’inventer un monde qui intègre les contraintes du réel et compose au mieux à l’intérieur de celles-ci. L’aspect mobilisation nous semble très important, car lorsqu’on émeut, on doit aussi donner des outils concrets pour que le spectateur agisse à son échelle.
Il y a une multitude de manières d’inventer ce réel et c’est là que réside la beauté de l’art. Ce sont aux artistes d’imaginer comment ce « nouveau monde » peut se décliner dans leurs œuvres et de donner aux spectateurs l’envie d’agir. Cela peut prendre des formes très variées : s’instiller dans le contexte, les modes de vie, les lieux de vie, mais aussi dans les valeurs des personnages, dans leurs comportements, ou bien au cœur même de l’intrigue.
Quels seront les premiers projets de Newtopia ?
Nous avons trois projets dans les tiroirs. Le grand vertige sera la première fiction de Cyril Dion, adaptée d’un livre de Pierre Ducrozet. C’est l’histoire d’un homme qui est nommé par des instances internationales pour mettre en place les grandes solutions aux problèmes climatiques et du vivant, et qui, en parallèle, crée un énorme réseau de désobéissance civile. On suit cet homme, et surtout sa fille, embarquée malgré elle dans cette aventure. L’intrigue interroge de nouvelles manières de faire de l’activisme et pose des questions d’éthique : jusqu’où peut-on aller pour suivre ses convictions ? Le projet en est au stade de l’écriture pour le cinéma.
« Newtopia intégrera de nouvelles méthodologies pour que le travail des artistes soit nourri par les connaissances des experts et des scientifiques. »
Le second que nous aurons plaisir à porter est une série courte en anglais sur la vie de Françoise d’Eaubonne. Cette immense intellectuelle est aussi une grande activiste des années 70. A l’époque, elle a une cinquantaine d’années quand elle décide de réinventer sa vie aussi bien au niveau intime qu’à travers son action dans le monde. Elle révolutionne sa manière de faire de l’activisme au sein du Mouvement de libération des femmes (MLF) et du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR). Elle formalise aussi l’écoféminisme dans l’ouvrage fondateur Le féminisme ou la mort. Par ailleurs, c’était un personnage très drôle et fantaisiste. Sa relation aux hommes évolue : déçue pendant des années par des hommes minables, elle décide de ne plus sortir qu’avec des bisexuels. Elle rencontre notamment un jeune de trente ans de moins qu’elle, qui va adoucir son rapport à l’amour. Il se trouve que je l’ai bien connue, car cet homme, c’était mon père.
Le troisième projet est d’accompagner Julie Gautier, une grande apnéiste qui a réalisé des courts métrages. On lui doit par exemple Ama, le clip Runnin de Beyoncé, des films sur Guillaume Néry, son ancien compagnon et binôme artistique. Nous produirons un court métrage qui sera une sorte de La belle et la bête sous-marin : une histoire d’amour entre une jeune nageuse et un géant de plastique. Le but sera de provoquer des actions pour lutter contre la pollution en mer. Ensuite, nous aimerions l’accompagner pour son premier long métrage.
Newtopia sera une entreprise à mission, et nous visons le B Corp [un label qui reconnaît les entreprises intégrant des paramètres sociaux et écologiques dans leurs activités, NDLR]. Nous souhaitons travailler avec un maximum de producteurs de l’écosystème à travers des coproductions afin de faire boule de neige. Nous organiserons aussi des résidences d’écriture et intégrerons de nouvelles méthodologies pour que le travail des artistes soit nourri par les connaissances des experts et des scientifiques. Imagine 2050 [la société de Magali Payen qui accompagne les leaders culturels, NDLR] va beaucoup aider. Pour l’impact, nous travaillerons avec Thomas Mignot de Parenthèse cinéma. Dans les partenaires stratégiques, nous pourrons aussi compter sur Kisskissbankbank afin de lancer des crowdfunding [financements participatifs auprès du grand public, NDLR] sur certains projets et générer des communautés autour des films.
Parmi les associés de Newtopia, on trouve le réaliseur et auteur Cyril Dion, l’actrice Marion Cotillard, le producteur Camille Trumer, les fondateurs de Kisskissbankbank Vincent Ricordeau et Ombline Le Lasseur, la boîte de production de Cyril Dion, ainsi que moi-même.