Une petite foule d’un peu plus de 500 personnes s’avance derrière une banderole «Pour une véritable transition agricole», dans les rues de La Rochelle (Charente-Maritime), ce samedi 20 septembre. Dans l’ombre de ce cortège, ce sont les plus de deux millions de pétitionnaires anti-loi Duplomb que la manifestation souhaitait entraîner. Cette loi, promulguée le 11 août, favorise l’agriculture intensive. L’un de ces articles devait permettre la réintroduction de pesticides controversés, mais celui-ci a été censuré par le Conseil constitutionnel. Une victoire en demi-teinte pour celles et ceux qui se battent contre l’utilisation massive de pesticides.
«Nous sommes majoritaires dans la société française sur la bataille pour la santé environnementale, clame la députée (Génération écologie) Delphine Batho. Cette colère est majoritaire, on doit lui apporter un débouché.»
Réunissant citoyen·nes engagé·es, scientifiques, médecins et élu·es, les débats de la troisième édition de l’Appel de La Rochelle ont constaté la paralysie des institutions sous l’influence des lobbies et la nécessité d’une mobilisation partant des territoires en vue d’une convention citoyenne sur la transition agricole, proposée à cette occasion.
Ne pas accuser les agriculteurs
«2025 est un tournant : la société ne veut plus être spectatrice», lance Franck Rinchet-Girollet, porte-parole d’Avenir santé environnement 17, organisatrice de l’événement. Aux plus de deux millions de signataires de la pétition contre la loi Duplomb, il ajoute les résultats d’une étude menée par le laboratoire d’idées Think Project fin 2024, qui comptait 93% d’agriculteur·ices interrogé·es favorables à une transition écologique de leur ferme.
Sur le modèle déjà expérimenté avec le climat et la fin de vie, le projet de convention citoyenne sur la transition agricole propose de constituer une assemblée tirée au sort appelée à s’informer et à offrir des solutions concrètes face aux enjeux agricoles en lien avec la santé et l’alimentation. «Et cela avec une ligne claire : ne pas accuser les agriculteurs, insiste Franck Rinchet-Girollet. Ce sont les premiers exposés, il s’agit de combattre des méthodes. Les agriculteurs veulent bouger, mais ils ne peuvent pas le faire seuls.»
Un principe salué par nombre d’élu·es convié·es : «La politique agricole ne fait l’objet d’aucune démocratie en France, tance Delphine Batho. Une convention serait un point d’appui pour lever les blocages.»
Un enthousiasme tempéré par l’expérience malheureuse de la convention citoyenne sur le climat, dont le président de la République n’avait presque rien retenu. «Le succès de la convention repose sur la possibilité de créer du lien au politique, diagnostique Arthur Delaporte, député socialiste du Calvados. Nous ne devons pas aboutir à une loi déclarative, mais à une loi performative, une loi qui change les choses. Comme la loi Duplomb l’a fait… dans le mauvais sens.»
Défenseur de la loi sur la fin de vie ayant suivi les travaux de la convention sur le sujet, le député local Olivier Falorni (Les Démocrates) met en garde contre «le risque de pressions économiques». «Il y aurait besoin d’un garant, comme le Conseil économique social et environnemental», suggère le centriste.
Sciences participatives
Engagée dans l’étude de plusieurs territoires exposés aux pesticides où les cas de cancers se multiplient, la toxicologue Laurence Huc défend pour sa part la science participative : «L’idée, c’est de partir du territoire : on arrive par le développement des sciences participatives à identifier des pratiques anormales.»
Pour exemple, la chercheuse évoque l’étude Nexxt, menée par l’association Avenir santé environnement sur le territoire de La Rochelle : l’analyse d’échantillons prélevés auprès de 74 enfants volontaires avait permis en 2024 l’identification de 45 pesticides dans leurs cheveux et 14 dans leurs urines, dont plusieurs interdits. «Quand on trouve des pesticides interdits depuis plus de cinq ans dans les urines, ce n’est pas normal», dénonce-t-elle, un ruban doré sur le revers de son col.
Instituts écocitoyens
Symbole du «mois en or» dédié aux cancers des enfants, les boucles brillent dans la foule comme un rappel des origines de l’Appel de La Rochelle. Dans la périphérie de la cité maritime, c’est la multiplication des cas de cancers pédiatriques et la mort de la jeune Pauline Brio, 14 ans, qui a donné naissance à l’association Avenir santé environnement 17. Faute de réponse des autorités, l’association avait pointé la cause environnementale la plus probable : l’usage massif de pesticides par les exploitations céréalières de la plaine.
À travers la France, les mobilisations locales se sont multipliées pour dénoncer et documenter les faits, puis pour proposer des solutions face aux risques sanitaires liés aux pesticides. Dans le sud de la Loire-Atlantique, Marie Thibaud travaille depuis la découverte du cancer de son fils à un Institut écocitoyen réunissant citoyen·nes, scientifiques et acteurs économiques, jusqu’aux «pollueurs» eux-mêmes, selon ses mots.
«Nous avons eu l’accord de la Chambre d’agriculture pour faire analyser les enfants des exploitants agricoles en parallèle des sols, de l’eau et de l’eau, se félicite l’activiste. Ils ne pourront plus dire qu’ils ne savaient pas, ils devront agir.»
Système colonial
«Quand je vous entends parler, je dis bravo, mais je réalise à quel point nous sommes dans une société coloniale : tout ce que nous demandons, on nous le refuse, s’étrangle Lydie Rauld, du Collectif des ouvriers agricoles et de leurs ayants droit empoisonnés par les pesticides (COAADEP). Pour nous, le problème n’est pas de dire qu’on est exposés, c’est de voir que la monoculture de cannes à sucre continue.» Elle fait référence au système agricole en Martinique, quasi intégralement dédié à la production de bananes et cannes à sucre vouées à l’exportation vers l’Hexagone.
Lydie Rauld est mobilisée pour la reconnaissance du rôle de l’État dans le scandale du chlordécone aux Antilles. Ce pesticide dangereux pour la santé a été massivement utilisé dans les bananeraies et les champs de cannes à sucre à la fin de 20ème siècle, y compris après que l’État a été informé des conséquences sanitaires. Elle déplore le silence autour de cette lutte, alors que celle contre le loi Duplomb a fait grand bruit cet été. Un deux poids deux mesures qui souligne les inégalités entre les territoires ausquelles doit se confronter le mouvement anti-pesticides. «L’industrie agrochimique a un développement colonial : pour imposer la banane, ils ont imposé les pesticides, soutient auprès de Vert Fleur Breteau, fondatrice de l’association Cancer colère. Défendre nos droits sans défendre leurs droits, c’est céder.»
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