Entre deux rangs de maïs à hauteur d’adulte, Stéphane Mojon se laisser aller à la satisfaction. «Ils ne sont pas vilains cette année, avec l’été qu’on a eu», savoure cet agriculteur, peu loquace, tout en glissant une belle panouille – un épi de maïs – dans sa poche. En cette matinée de septembre, cet exploitant installé à Villette-d’Anthon, à la frontière entre le Rhône et l’Isère, inspecte une parcelle sur laquelle un test de désherbage mécanique a été effectué au printemps par une entreprise de travaux agricoles.
À l’aide d’une houe rotative, les adventices – des «mauvaises herbes» – ont été retirées tout en épargnant les semis de maïs. L’objectif était d’utiliser une machine plutôt qu’un herbicide afin de voir s’il était possible de réduire l’usage de produits chimiques. Une première aux résultats mitigés : si les semis ont tenu bon, le paysan a dû repasser par du chimique au désherbage suivant. Mais une première quand même, pour celui qui a repris la ferme familiale de 50 hectares en polyculture-élevage en 2008.
L’initiative ne vient pas de lui, reconnaît-il volontiers : c’est Eau du Grand Lyon qui l’a contacté pour lui proposer ce test. La régie publique (notre article), en charge de la production et de la distribution d’eau potable pour 1,4 million d’usager·es de la métropole de Lyon, tente depuis 2023 d’accompagner les agriculteur·ices volontaires de l’est lyonnais afin de diminuer leur recours aux pesticides. Pour cause, ce secteur est dominé par les grandes cultures en agriculture dite conventionnelle, gourmande en intrants. Or, son sous-sol abrite aussi la seconde ressource en eau potable de la métropole lyonnaise.
Grâce à un suivi technique fourni gratuitement aux exploitant·es, Eau du Grand Lyon espère ainsi réduire de 50% l’utilisation des pesticides sur les aires d’alimentation des captages (AAC) de l’est lyonnais d’ici à 2030. Une AAC désigne la surface sur laquelle l’eau qui s’infiltre alimente le captage. La nappe de l’est lyonnais compte sept captages dont quatre sont à l’arrêt, suspendus par principe de précaution. «Ils ne produisent plus à cause de problématiques de pollutions agricoles ou industrielles avec les PFAS», ces «polluants éternels», alerte Anne Grosperrin, présidente d’Eau du Grand Lyon et vice-présidente de la métropole de Lyon en charge du cycle de l’eau. Pour l’élue écologiste, il y a donc urgence à «reconquérir la qualité des aires de captage en travaillant avec les agriculteurs qui utilisent des intrants chimiques».
Une urgence nationale, alors qu’en France près d’un quart des captages d’eau potable ont dû être fermés en 40 ans. Pour 41% d’entre eux, la teneur excessive en nitrates – liée aux engrais – et en pesticides en était la cause. Mais sur le terrain, au cas par cas, les freins restent nombreux. Chez Stéphane Mojon, il suffit de baisser les yeux pour s’en apercevoir. Sa parcelle est très caillouteuse, un obstacle au désherbage mécanique une fois le maïs sorti de terre. Alors, après le premier passage de la houe rotative, il a été décidé de repasser au désherbage chimique. «L’enjeu principal reste la sécurisation de la production des agriculteurs, qui sont maîtres de leur parcelle», rappelle Céline Déprés, chargée de mission chez Agribio Rhône & Loire. Cette ingénieure agronome inspecte régulièrement les parcelles en test du secteur – avec David Stéphany, conseiller technique agricole indépendant.
Ce matin de septembre, le duo visite le champ boueux de Stéphane Mojon afin de tirer un premier bilan, bientôt rejoint par Nicolas Brunet, animateur agricole chez Eau du Grand Lyon. Le poste de ce dernier a été créé pour encadrer ce collectif mêlant agriculteur·ices volontaires, collectivités ou conseiller·es. Et, même si cette fois le test n’est pas concluant, puisque la quantité de pesticides pulvérisée n’a quasiment pas baissé, le dialogue avec l’agriculteur est établi. «Pourquoi ne pas essayer sur une autre parcelle, si prochaine fois il y a ?», s’aventure timidement Stéphane Mojon, bras croisés sur son t-shirt «Paysan 24h sur 24».
Lorsqu’il a été contacté pour cet essai, le quadragénaire s’est montré curieux. Aujourd’hui, il dit apprécier le suivi technique quasi quotidien proposé par ses trois visiteur·ses du jour. «Je ne me voyais pas investir dans une machine pour un essai sur quatre hectares mais, là, c’était gratuit. Et il faut rester ouvert : le monde agricole, c’est souvent chacun pour soi ; là, ça fait un peu de changement au milieu de journées très solitaires», développe-t-il. Quant à un horizon sans produits chimiques, il reste sceptique : «Sur des sols avec autant de cailloux, on n’aura pas d’autre choix que d’en utiliser.»
Néanmoins, le collectif agricole animé par Eau du Grand Lyon a obtenu de premières réussites. Chez un autre agriculteur volontaire, à trois kilomètres de là, l’indicateur de fréquence de traitements phytosanitaires (IFT) a baissé de 70% sur la parcelle testée. En clair, le désherbage mécanique s’est substitué au désherbage chimique avec efficacité. «Chez cet agriculteur, on a pu passer deux fois la houe et une fois la bineuse. Là-bas, il y avait moins de cailloux», résume Céline Déprés, qui rappelle que l’usage d’outils de désherbage mécanique n’est qu’une technique parmi d’autres.
L’année dernière, 21 agriculteur·ices de l’est lyonnais – la zone en compte environ 80 – ont essayé les cultures intermédiaires, financées là encore par Eau du Grand Lyon. Il s’agissait de planter des végétaux entre deux cultures, plutôt que de laisser le sol à nu. Ce tapis végétal permet de fertiliser la terre tout en limitant l’usage d’intrants chimiques. À la suite de ces essais, Eau du Grand Lyon se félicitait de premiers résultats «impressionnants» : 204 hectares de couverts intermédiaires plantés et près de huit tonnes d’engrais azotés économisés.
«Pour faire évoluer les pratiques, il faut proposer aux agriculteurs un accompagnement au changement», résume le conseiller agricole David Stéphany. Après avoir testé ces méthodes dans l’Ain, puis dans le Rhône, et observé des expériences menées en Bretagne, il en tire une conviction : «Les alternatives existent, mais ça demande du temps.» Il n’y a qu’à regarder du côté d’Eau de Paris, régie précurseure dans ce travail, pour s’en convaincre. Là-bas, 115 agriculteur·ices sont engagé·es dans un dispositif d’accompagnement lancé en 2020, détaille France info. Plus de 20 000 hectares appartenant aux zones de captage ont déjà été protégés.
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