L’État français est bel et bien responsable de la «contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols» par les pesticides. La cour administrative d’appel de Paris l’a confirmé ce mercredi, deux ans après une condamnation en première instance, le 29 juin 2023. Elle donne ainsi raison aux cinq associations de protection de l’environnement qui demandaient «Justice pour le Vivant» – du nom de cette affaire : Pollinis, Notre affaire à tous, Biodiversité sous nos pieds, l’Association nationale de protection des eaux et rivières – Truite-Ombre-Saumon (Anper-Tos) et l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas).
Dans son arrêté du 3 septembre, la cour reconnaît l’existence d’un «préjudice écologique résultant de l’usage des produits phytopharmaceutiques», notamment pour «la santé humaine». Plus exactement, il est reproché aux services de l’État d’avoir méconnu les exigences du règlement européen qui encadre la commercialisation des pesticides, édicté en 2009. Ce texte oblige à ce que les pesticides n’aient pas «d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine ou animale» ni «d’effets inacceptables sur les végétaux ou sur l’environnement».
Réviser la manière dont sont évalués les effets des pesticides sur la biodiversité
À l’origine de ce préjudice : l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), chargée d’évaluer et d’autoriser la mise sur le marché des pesticides. Selon la cour, l’Anses a «commis une faute en ne procédant pas à l’évaluation des produits phytopharmaceutiques au vu du dernier état des connaissances scientifiques».
«La cour constate la défaillance des protocoles d’évaluation en ce qu’ils ne prennent pas en compte la toxicité chronique [l’exposition répétée à une petite dose sur le temps long, NDLR], les effets sublétaux [des dommages non mortels : problèmes de mobilité, de reproduction, de mémoire…] et les effets cocktails [par le mélange de plusieurs substances différentes]», complète auprès de Vert Dorian Guinard, maître en droit public à l’Université Grenoble-Alpes et membre de l’association Biodiversité sous nos pieds.
En guise de réparation, la cour ordonne «un réexamen des autorisations de mise sur le marché déjà délivrées pour lesquelles la méthodologie d’évaluation n’aurait pas été conforme à ces exigences», dans un délai de 24 mois. Elle enjoint par ailleurs l’État – et plus précisément l’Anses – de «mettre en œuvre une évaluation des risques présentés par les produits phytopharmaceutiques à la lumière du dernier état des connaissances scientifiques».
Selon Dorian Guinard, plus de 2 500 produits vont potentiellement devoir être réévalués en France : «Il va falloir s’assurer le plus rapidement possible qu’ils respectent bien le principe de précaution.»
Une victoire pour la biodiversité
La cour insiste par ailleurs sur l’importance de l’évaluation des effets des pesticides concernant les «espèces non ciblées, c’est-à-dire à celles qui ne sont pas visées par le produit». En début d’année, une vaste étude scientifique portant sur 471 pesticides a mis en lumière que ces derniers ont des effets négatifs sur 800 espèces qu’ils ne sont pas censés cibler (notre article).
«C’est une victoire judiciaire révolutionnaire pour la biodiversité, réagit auprès de Vert Mathis Buis, chargé de campagne de Pollinis. Elle va permettre à des centaines de pesticides d’être retirés du marché ou de ne jamais y entrer.» «Ce n’est pas un recours contre les agriculteurs, précise Dorian Guinard. Il s’agit de mettre le droit français en adéquation avec celui de l’Union européenne et de replacer la science dans les discours juridiques.»
En prenant cette décision, la cour d’appel va plus loin que le tribunal administratif qui, en première instance en 2023, avait seulement «enjoint au gouvernement de prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique» (notre article). Les associations, partiellement satisfaites, avaient alors fait appel en espérant «obliger l’État à combler les failles des méthodes d’évaluation des risques des pesticides» – ce qu’elles ont obtenu mercredi.
Les cinq associations appellent désormais le gouvernement à se plier à cette décision sans saisir la plus haute juridiction administrative, le Conseil d’État. Le ministère de la transition écologique n’a pour l’instant pas réagi à cette décision de justice et n’a pas indiqué si l’État compte se pourvoir en cassation.
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