Si vous habitez à proximité de vignes, il est probable que votre corps soit plus imprégné de pesticides que celui des personnes éloignées de toute culture. La cause principale : les épandages agricoles. C’est l’un des principaux enseignements de l’étude nationale «PestiRiv» sur «l’exposition aux pesticides chez les riverains de zones viticoles et non viticoles», présentée ce mercredi par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et Santé publique France (SPF).
«Inédite» et «de grande ampleur», selon les deux agences publiques, l’enquête a été menée d’octobre 2021 à août 2022 auprès de près de 2 700 personnes (dont un quart d’enfants). Elles étaient réparties au sein de 265 zones, viticoles ou éloignées de toute culture (pour pouvoir comparer), dans six régions de France hexagonale*. «Les données produites sont très solides, a salué le directeur général de l’Anses, Benoît Vallet. Elles fournissent une photographie précise des expositions des personnes au-delà des champs et des moments de traitement.»
Des traces dans les urines, cheveux ou poussières
Si de très nombreuses cultures utilisent des pesticides, le choix de se concentrer sur celle du raisin «s’explique par le fait que la vigne est une culture pérenne, souvent implantée à proximité immédiate des habitations, et qui reçoit un nombre important de traitements phytosanitaires», précisent les deux agences. En France, 4% de la population vit à moins de 200 mètres d’une parcelle viticole.
Pour montrer l’exposition des riverain·es aux pesticides, différents prélèvements ont été menés auprès de chaque participant·e et dans leur logement : échantillons d’urine, de cheveux, de poussières, de l’air intérieur et même de quelques fruits et légumes du jardin. Le tout a été complété par des questionnaires sur les habitudes des personnes suivies (alimentation, activités à l’extérieur, utilisation de pesticides au domicile…), puis par des données sur les pratiques agricoles locales – notamment les quantités de pesticides utilisées.
La comparaison de ces échantillons prélevés dans les différentes zones étudiées révèle que «l’exposition aux pesticides est globalement plus importante pour les personnes vivant à proximité des vignes [à moins de 500 mètres, NDLR] que pour celles vivant loin de toute culture», à plus d’un kilomètre. Les niveaux de contamination dans les urines des riverain·es de vignes sont 15 à 45% plus élevés que pour les populations éloignées de toute culture – avec une imprégnation plus élevée chez les enfants de trois à six ans, notamment «de par leurs contacts avec le sol et main-bouche», explique Clémence Fillol, responsable de l’unité Surveillance des expositions à SPF.
Les pesticides recherchés sont également plus souvent retrouvés dans les cheveux, l’air intérieur ou encore l’air ambiant chez les riverain·es de vignes. L’étude démontre aussi que «l’exposition aux pesticides est globalement plus importante en période de traitement des vignes (mars à août) qu’en dehors». À ce moment de l’année, elle augmente de 60% pour l’imprégnation urinaire et peut croître jusqu’à 700% pour certaines substances dans les échantillons de poussières.
Les pratiques agricoles au cœur de l’exposition aux pesticides
Parmi les 56 substances recherchées dans les échantillons, plusieurs reviennent fréquemment : le folpel – très utilisé contre les attaques de champignons, comme le mildiou –, le glyphosate – fréquemment épinglé pour ses risques sur la santé humaine –, mais aussi des substances autorisées en agriculture biologique, comme le cuivre ou le soufre.
L’étude PestiRiv se concentre uniquement sur les contaminations aux pesticides, sans en déduire de liens avec la santé des personnes étudiées : «À ce stade, ce n’est pas une étude d’évaluation des risques sanitaires», rappelle Benoît Vallet, tout en précisant que des travaux futurs devront compléter ce volet.
«Ce qui influence le plus l’exposition aux pesticides en zone viticole, ce sont les pratiques agricoles.»
Dernier enseignement central de cette vaste étude : «L’analyse de l’ensemble de ces données nous amène à conclure que ce qui influence le plus l’exposition aux pesticides en zone viticole, ce sont les pratiques agricoles, dresse Ohri Yamada, chef de l’unité Pharmacovigilance à l’Anses. L’exposition augmente avec la quantité de pesticides utilisée sur les vignes, et également lorsque la distance entre le logement et les vignes diminue.»
D’autres facteurs entrent en compte dans une moindre mesure, à l’image de certaines habitudes comme le temps passé à l’extérieur ou l’aération du logement. Nettoyer son logement au moins une fois par semaine, utiliser une ventilation mécanique (VMC), faire sécher son linge à l’intérieur, éplucher les fruits du jardin… l’étude dresse une liste de gestes du quotidien qui permettent de diminuer son exposition aux pesticides.
Des résultats très attendus depuis plusieurs mois
«Pour nous, il s’agit en priorité de limiter l’utilisation des produits phytoparmaceutiques au strict nécessaire grâce à une mise en œuvre ambitieuse de la stratégie nationale Écophyto 2030», laquelle vise une réduction de l’utilisation des pesticides en France de 50%, précise Ohri Yamada. Comme l’ont noté plusieurs scientifiques et associations, le changement d’indicateur de suivi d’Écophyto – décidé par le gouvernement en 2024 à la suite de mobilisations agricoles – a conduit à atteindre artificiellement ces objectifs de réduction de pesticides.
Les résultats de l’étude PestiRiv étaient particulièrement attendus par la filière viticole, qui a aussitôt publié un communiqué pour défendre ses récents efforts : «La viticulture française est le secteur agricole le plus avancé en matière de transition écologique», y soutient Thiébault Huber, président de la Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne (CAVB). La filière met notamment en avant ses 20% de parcelles cultivées en agriculture biologique, ou encore une réduction de 38% de l’utilisation de produits de synthèse entre 2014 et 2023.
Du côté associatif, l’Association des médecins contre les pesticides et Générations futures avaient quant à elle saisi la justice pour obtenir la publication de l’étude dès juillet 2025, en plein débat sur la loi Duplomb – la requête avait été rejetée par le tribunal administratif de Paris, qui avait conclu que l’étude n’était pas encore achevée.
«On savait que les résultats scientifiques étaient validés depuis de nombreux mois, mais c’est du passé», tempère aujourd’hui François Veillerette, porte-parole de Générations futures. Ce dernier salue auprès de Vert une «étude en vraie grandeur réalisée par des scientifiques indépendants», dont les résultats «plaident pour un retrait accéléré des substances problématiques». Son association appelle notamment à «respecter les objectifs initiaux d’Ecophyto», à «instaurer des zones de traitement de 100 mètres minimum» ou encore à «systématiser les systèmes d’alerte 48 heures avant un épandage».
*L’étude PestiRiv a été menée dans six régions viticoles : Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté et Grand Est.
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