Grand entretien

Cécile Alduy, professeure à Stanford : face à Trump, «un mouvement de résistance s’organise»

Fac si minée. Professeure de littérature à l’université de Stanford (États-Unis) et chercheuse associée au Centre de recherches politiques de Sciences Po Paris, Cécile Alduy revient pour Vert sur le quotidien des campus américains, régulièrement ciblés par les menaces de Donald Trump.
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Il y a d’abord eu le choc, la sidération. Celle du retour au pouvoir de Donald Trump. Puis, la violence qui a suivi : licenciements massifs, arrestations d’étudiant·es, coupes financières, secteur de recherche ciblés… Mais, après l’apathie générale des premières semaines, les campus ont relevé la tête – dans le sillage d’Harvard, qui s’est opposé aux réformes exigées par le leader républicain.

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Plus ou moins suivi·es par leur administration, professeur·es et étudiant·es se sont organisés pour résister. C’est le cas à Stanford, prestigieuse université de la Silicon Valley, près de San Francisco, où Cécile Alduy enseigne la littérature et la culture française.

Comment vous sentez-vous après 100 jours de présidence Donald Trump ?

Les premières semaines ont été un coup de massue prévisible, avec une avalanche d’executive order, surtout sur l’immigration et l’économie. Depuis plus d’un mois, il y a une guerre de l’administration contre la science et l’enseignement supérieur, en plus de l’offensive que l’on pouvait imaginer sur l’immigration, les femmes, les trans et toutes les populations vulnérables.

Il y a une dizaine de jours, nous sommes entrés dans une nouvelle ère, où l’État de droit n’existe plus, puisque le pouvoir exécutif a décidé de passer outre les injonctions des juges ou de la Cour suprême, et de déporter illégalement des gens – y compris des citoyens américains – à l’étranger, dans des camps d’internement, sans autre forme de procès. Je me sens oppressée par cette angoisse d’un monde dans lequel une démocratie bascule dans autre chose.

Cécile Alduy, professeure de littérature et culture française à Stanford. © Astrid di Crollalanza

Ces trois premiers mois, Trump s’en est pris à la science, au vivant et à l’écologie. Est-ce que l’ampleur de ce «backlash» vous a surprise ?

Non. Ce qui m’a surprise, c’est de voir une violence massive, notamment contre l’écosystème entier des sciences, avec des injonctions à poursuivre uniquement les recherches adoubées par le pouvoir, et des punitions financières monumentales pour les autres. Il y a un obscurantisme revendiqué. Un rouleau compresseur qui écrase tout ce qui n’est pas dans la ligne politique. Une volonté de destruction et pas simplement de backlash.

Les projets de recherche sont passés au crible et ne sont presque plus financés pour ceux qui utilisent les mots «trans», «race», «discrimination», «genre», «climat», etc. Même le mot «femme» est devenu tabou.

Le ministère de l’éducation a publié une liste d’universités qui pourraient faire l’objet de sanctions «si elles ne remplissent pas leurs obligations pour protéger les étudiants juifs sur les campus». Stanford est dans cette liste…

La lutte contre l’antisémitisme est un prétexte hypocrite pour justifier une forme d’ingérence du pouvoir et faire peser une menace financière, voire juridique, sur les universités américaines. En aucun cas Trump n’est réellement inquiet du sort des étudiants ou des professeurs juifs. C’est ce qu’on appelle la rhétorique de rétorsion : prendre ce dont on est accusé pour le renvoyer en miroir à l’adversaire. C’est ce que fait cette administration – qui a en son sein quelqu’un comme Elon Musk, qui fait des saluts nazis en public – pour se laver de l’accusation d’antisémitisme attachée à l’extrême droite.

Nous, professeurs et étudiants de Stanford, nous demandons à notre université de refuser la définition de l’administration Trump, qui assimile à de l’antisémitisme tout discours critique de l’État d’Israël, ou d’une personnalité juive qui gouverne. Nous refusons de concéder le moindre centimètre sur ce terrain.

L’administration fédérale a gelé 2,2 milliards de dollars (1,94 milliard d’euros) de financements à l’université de Harvard, en réponse à son refus de mettre en œuvre les réformes voulues par Trump. Stanford peut-elle connaître le même sort ?

Comme toutes les universités américaines, Stanford subit déjà des coupes budgétaires dans ses cofinancements de la recherche avec l’État fédéral. C’est un manque à gagner de 160 millions de dollars par an – ce qui est énorme –, qui a pour conséquence la fermeture de laboratoires, le renvoi d’assistants, des coupes dans les bourses d’étudiants en thèse, etc. Mais, plus tard, le coût pourrait être aussi monumental que pour Harvard. C’est un peu le trou noir, au sens où nous peinons à l’évaluer.

Comment réagir face à cette menace ?

À chaque fois qu’il y a résistance, que ce soit par des moyens juridiques, avec des contre-procès, ou simplement en prenant la plume pour s’opposer à des injonctions illégales ou antidémocratiques, l’administration Trump recule – comme avec Harvard. Il semblerait que, s’il y a un coût potentiel à résister, il y a surtout un bénéfice énorme à refuser l’ingérence. À Stanford, il y a une volonté commune de résister, de faire front et de continuer à poursuivre notre mission éducative sans aucune censure.

Quelle est l’ambiance au sein de l’université ?

Tout le monde est très inquiet mais, dernièrement, nous avons été revigorés grâce à un sentiment de solidarité et de résistance qui s’organise de plus en plus. Nous sommes face à une guerre menée au bulldozer contre l’enseignement supérieur.

À Stanford, une quinzaine d’étudiants ont perdu leur visa. Ils ont été révoqués du jour au lendemain. Cela a été invalidé par un juge et l’administration Trump a fait marche arrière, mais cela a créé une instabilité et une vulnérabilité incroyable pour les étudiants. Stanford est une université dans laquelle il y a 30% d’élèves étrangers, probablement autant de professeurs étrangers, et c’est valable dans beaucoup d’universités. Il y a une sorte d’incertitude systémique qui vise à désorganiser toute l’infrastructure éducative.

Mais, après six semaines d’apathie et d’inertie, je pense qu’il y a un mouvement de résistance qui s’organise de façon extrêmement efficace, souterraine parfois, mais aussi au grand jour, et de façon vraiment active.

Quelle forme prend cette résistance sur le campus ?

Il y a de plus en plus d’actions en justice, de manifestations et de discours qui contestent ces injonctions fédérales. Avec d’autres professeurs, nous sommes en permanence en contact pour savoir comment agir, comment défendre les intérêts des uns et des autres, comment protéger nos étudiants.

Il y a une immense inquiétude, mais aussi un très grand réalisme, au sens où tout le monde a conscience que les enjeux dépassent très largement l’enseignement supérieur pour toucher les libertés fondamentales, la démocratie et la société entière. Si nous abandonnons nos recherches en médecine et sciences sociales, ce sont les découvertes de demain et d’aujourd’hui qui sont menacées. Ce sont les traitements contre le cancer, la survie dans un monde qui se réchauffe, la survie dans une Amérique qui n’est plus une démocratie. Il y a de l’inquiétude, du réalisme et une très grande combativité.

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