Décryptage

Anne Hidalgo peut-elle convaincre que les socialistes se sont convertis à l’écologie ?

Les 70 mesures du programme de la candidate socialiste à l’élection présidentielle sont affichées comme une réponse aux crises sociale, écologique et démocratique. Hélas, pendant le quinquennat de François Hollande, avec lequel elle s’est affichée hier soir à Limoges (Haute-Vienne), l’écologie fut un non-sujet. Au-delà des promesses de campagne, Anne Hidalgo peut-elle convaincre de l’évolution idéologique de la social-démocratie ?
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Anne Hidal­go n’a pas besoin de faire ses preuves en matière d’écologie », martèle Serge Orru, ancien con­seiller auprès de la maire de Paris, aujourd’hui prési­dent du con­seil d’orientation de l’Académie du cli­mat – un lieu d’information sur les défis cli­ma­tiques, à Paris. « Elle a subi assez de rail­leries et de sar­casmes dans la cap­i­tale pour savoir com­ment ces sujets peu­vent être mis en pra­tique avec courage », ajoute-t-il.

L’an­cien prési­dent François Hol­lande et Anne Hidal­go lors de son meet­ing de Limo­ges, le 22 mars. © Pas­cal Lachenaud / AFP

Si ses actions en matière de mobil­ité douce et de réno­va­tion ther­mique des loge­ments ont été saluées, la maire de Paris a en revanche été cri­tiquée pour la béton­i­sa­tion et le manque de végé­tal­i­sa­tion de la cap­i­tale. Dans son pro­gramme, soutenu par le cli­ma­to­logue Jean Jouzel, l’écologie est présen­tée comme le « com­bat du siè­cle », à men­er aus­si bien sur le front de l’emploi, de la jus­tice sociale et des réformes insti­tu­tion­nelles. « Je ne veux pas juste de l’écologie, mais une écolo­gie juste », a résumé la can­di­date lors de la présen­ta­tion de son pro­gramme, le 13 jan­vi­er dernier.

Vers une social-écologie ?

Par­mi les mesures affichées, la mise en place d’un impôt sur la for­tune (ISF) cli­ma­tique (notre arti­cle sur ce sujet) qui per­me­t­trait de récolter qua­tre mil­liards d’eu­ros par an ; la baisse de la TVA pour les par­ti­c­uliers sur leur fac­ture de gaz naturel et d’électricité (et « tran­si­toire­ment » pour les car­bu­rants en cas de flam­bée des prix), sur les pro­duits « verts » (réem­ploi, recy­clage, agri­cul­ture bio, etc.) et sur les déplace­ments en train.

Pour reval­oris­er le tra­vail, le Smic serait aug­men­té de 200 euros nets par mois et la baisse du temps de tra­vail encour­agée – sans agir pour autant sur sa durée légale. Un fonds de trois mil­liards d’eu­ros serait dédié à la réin­dus­tri­al­i­sa­tion et à l’emploi local.

Côté trans­ports, la can­di­date social­iste veut un investisse­ment mas­sif dans les petites lignes et les trains de nuit, et souhaite dou­bler le fret fer­rovi­aire d’i­ci à 2030 tout en facil­i­tant l’accès aux véhicules élec­triques. Cepen­dant, elle ne prend pas posi­tion sur la décrue du secteur aérien, ou la fin de la vente de véhicules neufs à essence ou à moteur Diesel.

Futur numéro deux de son éventuel gou­verne­ment : un·e min­istre du cli­mat, de la bio­di­ver­sité et de l’économie. Ses chantiers iraient de la baisse de moitié des émis­sions de CO2 du secteur indus­triel d’ici à 2035 à l’usage du nucléaire comme « énergie de tran­si­tion » – c’est-à-dire à sa diminu­tion pro­gres­sive – jusqu’en 2050. En par­al­lèle, un « pacte énergé­tique » serait ini­tié pour attein­dre « aus­si rapi­de­ment que pos­si­ble 100 % d’énergies renou­ve­lables ».

Le Réseau action cli­mat, qui fédère une trentaine d’associations, est plutôt mit­igé quant au pro­gramme d’Anne Hildal­go, qual­i­fié à plusieurs repris­es d’« impré­cis » sur la sor­tie des engrais azotés ou de l’élevage indus­triel, la décar­bon­a­tion de l’industrie, ou le pas­sage à une énergie 100% renou­ve­lable en 2050. © Réseau action cli­mat

Sur le front de l’agriculture, Anne Hidal­go a pour « pri­or­ité absolue » de faciliter l’in­stal­la­tion de jeunes agriculteur·rices. Elle veut faire vot­er une loi pour pro­téger le fonci­er agri­cole et met­tre en place un plan décen­nal de renou­velle­ment des généra­tions. La sor­tie des engrais de syn­thèse et des pes­ti­cides les plus tox­iques est envis­agée, « rapi­de­ment » pour le glyphosate, et dans les 100 jours qui suiv­raient sa prise de fonc­tions pour les néon­i­coti­noïdes – ces pes­ti­cides « tueurs d’abeilles » inter­dits en 2018 et réin­tro­duits par l’actuel gou­verne­ment en 2021 (Vert). Elle prévoit aus­si de lancer les « assis­es du bien-être ani­mal » avec l’ensemble des fil­ières d’élevage.

La can­di­date pro­pose aus­si cer­taines mesures pour pro­téger les forêts français­es et veut recon­naître dans la loi le « crime d’é­co­cide », accom­pa­g­né de la créa­tion d’un Tri­bunal pénal inter­na­tion­al de l’environnement au sein de l’ONU.

Un problème de logiciel

Pour Jean-Marc Ger­main, con­seiller région­al d’Île-de-France, proche de la can­di­date, « Anne Hidal­go porte un pro­jet d’écologie con­crète : sa prési­dence du Cities cli­mate lead­er­ship group [qui réu­nit 96 méga­lopoles engagées à réduire de moitié leurs émis­sions d’i­ci à dix ans, NDLR] entre 2016 et 2019, lui vaut une bonne répu­ta­tion à l’international ».

Dans les sondages, pour­tant, Anne Hidal­go végète entre 2 et 3 % d’intentions de vote. Ancien mem­bre du PS, aujourd’hui prési­dent du think tank La fab­rique écologique, Géraud Guib­ert estime que les électeur·rices ne sont plus dupes : « le quin­quen­nat Hol­lande a été une cat­a­stro­phe sur le front de l’écologie : sa ges­tion au jour le jour, sans per­spec­tive de long terme ni com­préhen­sion des enjeux, fut une démon­stra­tion fla­grante de l’absence de prise en charge pri­or­i­taire de l’écologie au PS ».

« Le souci n’est pas tant lié à ce qui est dans le pro­gramme qu’à ce qui n’y est pas : les mesures sont vagues et impré­cis­es dans le temps alors qu’il y a urgence », con­fie une anci­enne élue, déçue du PS et de ses ambiva­lences. Pour Géraud Guib­ert, c’est une ques­tion de logi­ciel : « cette vieille gauche voit ces enjeux comme un motif d’investissement et un relais de crois­sance. Mais la social-démoc­ra­tie n’est plus un hori­zon his­torique : elle n’a pas changé son rap­port au pro­duc­tivisme ni réfléchi aux modal­ités de créa­tion de richesse ».