Le vert du faux

À quel point le déni climatique est-il répandu dans la population ?

Si de récentes enquêtes montrent qu’une part importante des Français·es n’est pas au clair avec le consensus scientifique sur le climat, ces chiffres masquent des réalités différentes. Une partie s’explique par des postures idéologiques, plus que par une réelle croyance.
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Qu’est-ce que le déni climatique ?

Il s’agit de nier la réalité du réchauffement climatique, son origine humaine ou l’ampleur des changements à amorcer pour préserver de bonnes conditions de vie sur Terre. Dans le journal du CNRS, le mathématicien David Chavalarias définit les climatosceptiques – aussi appelés climato-dénialistes – comme «des personnes qui rejettent les principales conclusions de la science du climat et des synthèses du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat]. En particulier, ils nient le fait que le réchauffement climatique soit d’origine anthropique (humaine) et qu’il va causer des dégâts considérables».

Quelles sont les différentes formes de climatoscepticisme ?

La première forme, historique, est celle du déni pur et simple : il n’y aurait pas de réchauffement climatique. Assez visible il y a dix ou quinze ans alors qu’elle était portée par des figures telles que l’ancien ministre de l’éducation nationale Claude Allègre, elle ne concernerait plus qu’entre 1 et 6% de la population française, selon Lucas Francou, fondateur de Parlons climat, qui a publié un sondage sur l’opinion des Français·es sur le climat. En revanche, 20 à 25% de nos concitoyen·nes mettent en doute l’origine humaine du réchauffement. «Un chiffre stable depuis dix ans», souligne l’expert auprès de Vert. Avec un bémol : ce phénomène se renouvelle, il ne serait pas motivé par les mêmes ressorts et ne concernerait pas les mêmes gens. Un récent rapport de la fondation Jean Jaurès avance le chiffre de 37% de Français climatosceptiques. Il note que «ces postures traduisent une inquiétante défiance : d’une façon ou d’une autre, plus d’un tiers des Français rejettent la parole et l’expertise des autorités scientifiques».

Fondation Jean Jaurès à partir de ObsCOP 2022, Ipsos, EDF

Enfin, il existe un troisième type de déni, plus difficile à déceler dans les enquêtes et dont les contours sont flous. Celui-ci tend à relativiser les impacts de ces dérèglements sur les écosystèmes et les sociétés humaines, ou les efforts à accomplir en misant tout sur la technologie, et donc à conforter notre modèle de société. On l’appelle aussi le climatorassurisme.

Qui sont les climatosceptiques aujourd’hui ?

«En moyenne, ce sont des gens un peu plus âgés, un peu moins diplômés et un peu plus d’hommes que de femmes. Mais aussi 15% des 18-24 ans, 15% des diplômés du supérieur. Ça touche plein de catégories de population», détaille Lucas Francou. Il remarque aussi qu’il est plus répandu chez les électeur·ices de droite : 25% pensent que le réchauffement climatique est un phénomène naturel, contre 13% pour ceux de gauche. Cependant, l’expert met en avant une limite : «en sondage, on adore les questions binaires, donc on construit un peu nous-mêmes cette catégorie. Quelques enquêtes ont l’intelligence de poser la question de manière plus élaborée et ce qui en ressort, c’est que c’est un peu d’origine naturelle et un peu de responsabilité humaine». Il fait aussi l’hypothèse qu’à mesure que les institutions et l’État s’emparent de ces sujets, il pourrait exister une forme de rejet populiste.

La chercheuse en économie écologique et autrice principale du Giec, Julia Steinberger, explique à Vert : «il s’agit de moins en moins d’une croyance en soi, et de plus en plus d’un alignement idéologique néolibéral (pour le marché, contre la sphère publique), à droite (voire à l’extrême droite). Donc, en fait, d’une posture pour se démarquer du reste des citoyens». Dans tous les cas, l’objectif est le maintien du statu quo ; il se diffuse à travers moult techniques et arguments fallacieux qui ont été répertoriés et classifiés dans cette étude de John Cook, spécialiste de la communication sur le climat.

A partir de Cook, J. (2020). Deconstructing Climate Science Denial. In Holmes, D. & Richardson, L. M. (Eds.) Edward Elgar Research Handbook in Communicating Climate Change. / Traduction par Vert

Ce doute est parfois savamment organisé. Julia Steinberger pointe «une campagne de désinformation émanant des industries des énergies fossiles (gaz, pétrole, charbon)». Fin 2021, une étude avait révélé que TotalEnergies était informée des conséquences de la combustion d’énergies fossiles sur le climat dès le début des années 1970 (Vert). Pour continuer à vendre l’or noir et en s’inspirant de techniques éprouvées par l’industrie du tabac, les majors pétrolières ont financé des campagnes de désinformation massive, payé des scientifiques pour produire de faux rapports et orchestré sciemment le doute. Cela est habilement relaté dans le livre de Naomi Oreske et Erik Conway Les Marchands de doute et dans l’excellent documentaire d’Arte La fabrique de l’ignorance.

Le rôle des réseaux sociaux

Après la pandémie de covid-19, d’anciens influenceurs antivax se sont fait les apôtres du climatoscepticisme, raconte une vaste enquête du CNRS intitulée «Les nouveaux fronts du dénialisme et du climato-scepticisme». Quatre scientifiques ont étudié 400 millions de tweets sur le changement climatique entre 2021 et 2022. Ils ont constaté une augmentation des discours au niveau mondial remettant en cause le consensus scientifique sur le climat à partir de juillet 2022 (notre article). 10 000 comptes sont actifs en France avec un noyau dur d’environ 2 000 personnes, dont les opinions politiques penchent significativement vers l’extrême droite.

Publiée en janvier 2023 par la coalition d’ONG Climate action against disinformation (CAAD), une autre étude a montré que les multinationales de l’industrie fossile utilisaient abondamment les réseaux sociaux pour améliorer leur image en vantant leurs investissements dans les énergies vertes (notre article). Ainsi, 850 groupes liés à l’industrie du gaz, du pétrole et du charbon ont dépensé quatre millions de dollars en publicités sur les réseaux sociaux avant et pendant la 27ème conférence de l’ONU (COP27) sur le climat à Charm el-Cheikh (Egypte).

Le rôle des médias dans la propagation du déni

Si les médias traditionnels progressistes se tiennent globalement éloignés des faux experts climatosceptiques, sauf exception, il n’est pas rare de voir des journaux de droite extrême leur accorder une place dans leurs colonnes. Ce fut par exemple le cas de Valeurs actuelles dans un billet de blog de Gilles-William Goldnadel qui a chroniqué Les douze mensonges du Giec, un pamphlet du climato-dénialiste Christian Gerondeau.

Par ailleurs, de nombreux médias mettent en avant la technologie comme une solution quasi-miraculeuse au changement climatique. Ce travers fait partie des douze discours de l’inaction, décortiqués par une équipe de chercheurs (notre article).

La typologie des arguments employés par les tenants de l’inaction. © Lamb WF et al. (2020) Discourses of climate delay. Global
Sustainability / Traduction par Vert

Récemment, une étude suisse, notamment menée par Julia Steinberger, a montré que la couverture médiatique actuelle de la recherche scientifique était susceptible de provoquer du déni et la prostration, plutôt que des changements dans les comportements. «Les aspects sociaux, économiques, technologiques et énergétiques du changement climatique sont réduits par la médiatisation». Le Giec ne s’y est pas trompé ; dans son dernier rapport, il est rappelé que les médias «cadrent et transmettent les informations sur le changement climatique. Ils ont un rôle crucial dans la perception qu’en a le public, sa compréhension et sa volonté d’agir».

Peu importe la forme qu’il prend ; le déni climatique a une conséquence majeure : celle de retarder l’action urgente de nos sociétés face au bouleversement du climat.