Analyse

Sur les réseaux sociaux, le climato-scepticisme « est en train de redevenir mainstream »

Fossilficateurs. Les multinationales de l’industrie fossile et les sites d’extrême droite peuvent remercier les patrons de Google, Twitter et de Meta pour la tribune exceptionnelle que ces derniers leur offrent sur leurs plateformes.
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Google est le plus gros pourvoyeur de publicité en ligne. En octobre 2021, le géant numérique américain avait promis de juguler la désinformation en interdisant la publicité sur les sites internet « contredisant le consensus scientifique autour de l’existence et des causes du changement climatique », les privant ainsi d’une source de revenus non négligeable. Près d’un an plus tard, force est de constater que Google n’a pas tenu ses promesses. Une ONG britannique, le Center for countering digital hate (CCDH), a récemment montré que 63 des 100 articles climato-sceptiques les plus partagés sur la Toile affichaient toujours des publicités Google. Parmi les sites les plus virulents qui bénéficient toujours de cette manne publicitaire : Breitbart News, le média ultraconservateur où officiait encore, il y a peu l’ancien bras droit de Donald Trump, Steve Bannon.

Outre les sites internet climato-sceptiques, les multinationales des fossiles utilisent, elles aussi, les GAFAM pour se refaire une beauté (verte). Jeudi 19 janvier, une étude rédigée par la coalition d’ONG Climate action against disinformation (CAAD) révélait que 850 groupes liés à l’industrie du gaz, du pétrole et du charbon avaient dépensé quatre millions de dollars en publicités sur les réseaux sociaux avant et pendant la 27ème conférence de l’ONU (COP27) sur le climat à Charm el-Cheikh (Egypte). Près de 3 700 encarts publicitaires ont été achetés sur Facebook et Instagram entre le 1er septembre 2022 et le 23 novembre 2022, soit peu après la clôture du sommet en Égypte.

Des chiffres qui représentent seulement le « haut de l’iceberg » estime Ben Dennes, chercheur sur la désinformation scientifique en ligne à l’université d’Exeter (Royaume-Uni), qui a participé à la rédaction de cette étude. Contacté par Vert, ce dernier souligne que « les données de Meta [qui détient Facebook et Instagram] demeurent toujours une boîte noire. Nous n’avons pas accès au nombre exact de publicités mensongères qui ont circulé sur ses réseaux sociaux ».

Même parcellaires, ces données ont néanmoins permis aux chercheurs de découvrir que « des géants pétroliers comme Shell, Chevron and ExxonMobil ont utilisé les publicités Facebook pendant la COP27 pour promouvoir leurs investissements dans les énergies ”vertes” alors que leur portfolio d’activités est dominé par les énergies fossiles », explique à Vert Cécile Simmons, chercheuse à l’Institute for strategic dialogue (ISD), un groupe de réflexion londonien qui lutte contre la désinformation. La stratégie de communication de l’industrie fossile autour de la crise environnementale semble donc avoir évolué. « Les discours ne sont plus les mêmes que dans les 1980 ou 1990 où ces entreprises niaient purement et simplement le changement climatique. Ils sont désormais plus sophistiqués et essaient maintenant de retarder la transition énergétique », indique à Vert Jennie King, autrice du rapport et directrice des recherches sur le climat à l’ISD.

L’un des comptes climatosceptiques les plus suivis sur Twitter, qui arrose le réseau de fausses informations pseudo-scientifiques avec des graphiques non-sourcés et de faux experts.

Le contexte géopolitique de la guerre en Ukraine leur offre ainsi une opportunité sans précédent de vanter les mérites des fossiles. « Le secteur peut faire valoir des arguments autour de la sécurité énergétique nationale ou encore le niveau de vie que le gaz et le pétrole permettent de conserver », pointe Jennie King. Ce point de vue est particulièrement bien relayé au sein d’importants quotidiens anglo-saxons de droite comme le Daily Mail, le Telegraph ou encore le Wall Street Journal. Des médias qui, souligne la chercheuse, dénoncent régulièrement dans leurs colonnes « le culte de la neutralité carbone » ou « l’agenda fanatique vert ».

Cette publicité offerte par les réseaux sociaux n’est pas forcément utilisée directement par les grands groupes pétroliers ou gaziers, qui préfèrent parfois recourir à des intermédiaires. « Ils peuvent passer par des faux influenceurs pour promouvoir les chaudières à gaz ou bien par des célébrités sur Instagram qui posent devant des stations essence. Dans d’autres cas, il s’agit de pseudos collectifs citoyens qui sont en réalité financés par l’industrie fossile. C’est une forme de lobbying moderne », souligne Jennie King. À cause de l’opacité des plateformes, la chercheuse reconnaît qu’il est cependant impossible de dire si les multinationales investissent de plus en plus dans cette forme de greenwashing.

Le rapport de la CAAD montre aussi que ces contenus désinformatifs sont particulièrement partagés sur Twitter, où le hashtag #ClimateScam (l’arnaque climatique) a été partagé des centaines de milliers de fois ces derniers mois, loin devant ceux #ClimateEmergency (urgence climatique) ou #ClimateCrisis (crise climatique). « Nous pensions que ce discours avait été relégué à la marge, observe la chercheuse. Mais en réalité, il est en train de redevenir mainstream ».