Entretien

Traité contre la pollution plastique : «Si on se contente d’interdire les touillettes, on aura échoué»

Plus de 170 pays négocient depuis le 5 août un traité mondial contre la pollution plastique, à Genève, en Suisse. Mais l’opposition des grands producteurs menace d’affaiblir l’accord. Jules Vagner, cofondateur de l’association Zéro Plastique, suit ces débats cruciaux et met en garde contre un texte sans réelle ambition.
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Depuis mardi 5 août et jusqu’à jeudi 14 août, les délégué·es diplomatiques de plus de 170 pays sont réuni·es à Genève (Suisse) et tentent de s’entendre sur un traité mondial pour mettre fin à la pollution plastique. L’objectif : parvenir à un accord juridiquement contraignant, et ambitieux. Mais depuis dix jours, les discussions patinent… L’opposition de certains pays producteurs de pétrole et de plastique freine toute tentative de réduction à la source.

Jules Vagner, co-fondateur d’Objectif Zéro Plastique, une initiative citoyenne de sensibilisation aux enjeux de la pollution plastique. © DR

S’il voit le jour, ce traité pourrait être une première historique dans la lutte contre la pollution plastique. Mais en cas d’échec, ce rendez-vous marquerait, une nouvelle fois, l’impuissance politique face à l’urgence écologique. Car la session de négociations qui s’est ouverte en Suisse mardi 5 août – baptisée du doux nom de «CIN5-2» – est la sixième du genre ; elle a été ajoutée après l’échec des discussions menées à Busan (Corée du Sud) fin 2024.

Jules Vagner suit ces négociations de près pour Objectif Zéro Plastique, une initiative citoyenne qui travaille à sensibiliser sur les enjeux de la pollution plastique. Il nous explique.

Vous êtes en ce moment à Genève. Où en sont les négociations ?

On entre dans la dernière ligne droite. Les ministres des différents pays sont arrivés hier [parmi elles et eux, Agnès Pannier-Runacher, la ministre française de la transition écologique, NDLR]. La pression est maximale. On attend un nouveau texte de compromis rédigé par le président du comité intersectoriel. Mais pour l’instant, impossible de savoir si cela va aboutir à un quelconque traité demain.

Pourquoi cela ?

Certains pays, souvent pétroliers ou producteurs de plastique, tentent de ralentir ou de vider le texte de son contenu. Arabie-Saoudite, Koweit, Irak, Qatar, Arabie du Nord, Russie… Ils ne veulent pas entendre parler de la réduction de la production. Ils poussent pour des solutions de remplacement comme le recyclage chimique (notre article) ou les bioplastiques, qui sont loin d’être durables.

Comment font ces pays pour ralentir les négociations ?

Pour freiner les débats, ils multiplient les prises de parole. Là où les pays ambitieux se contentent de parler une fois en tant que groupe, les pays peu ambitieux prennent la parole un par un… Et puis il y a aussi des jeux d’influence : certains États exercent des pressions financières ou diplomatiques sur des pays plus petits ou en développement, comme en Afrique, par exemple, afin qu’ils adoptent des positions moins ambitieuses.

Quel est l’enjeu principal de ce traité ?

Mettre fin à la pollution plastique. Aujourd’hui, la production mondiale de plastique atteint environ 460 millions de tonnes par an — soit l’équivalent du poids total de l’humanité. Autrement dit, chaque être humain produit chaque année son propre «jumeau en plastique». Et si la tendance se poursuit, chacun d’entre nous aura l’équivalent de trois jumeaux d’ici 2060. On ne peut pas mettre fin à ce problème sans réduire la production à la source. Toutes les solutions en aval – comme le recyclage – seront largement insuffisantes. Imaginez une baignoire qui déborde : avant d’aller chercher la serpillière, il faut d’abord couper le robinet !

Quels sont les impacts de la pollution plastique ?

Il s’agit déjà d’une question sanitaire : le plastique libère des substances chimiques toxiques à toutes les étapes de son cycle de vie : extraction, fabrication, usage, déchets. Des nanoparticules se retrouvent dans l’eau, l’air, les aliments. Les risques pour la santé humaine sont multiples, même s’ils restent mal connus. Et la biodiversité est tout autant exposée. Ce n’est pas seulement une question de tortues et d’océans : les oiseaux, les vers de terre, les animaux domestiques sont eux aussi affectés.

Dans les discussions, il est aussi question d’injustice environnementale ?

Oui tout à fait. Notamment parce que ce sont les pays en développement qui sont les plus impactés par cette pollution. Au Niger, au Cameroun ou au Congo, il y a des rivières où on ne voit même plus l’eau, tellement la pollution est importante.

À quoi peut-on s’attendre dans les prochaines heures ?

Il y a plusieurs scénarios. Soit un traité faible, adopté par consensus, mais vidé de toute ambition. Soit un vote – ce qui serait inédit – mais cela suppose qu’un pays ose le demander, et il faut beaucoup de courage pour ça car si le vote échoue, on vous en tient pour responsable. Troisième option : un report, avec une nouvelle session dans quelques mois.

Quel scénario redoutez-vous le plus ?

Un texte symbolique mais inefficace. Si on se contente d’interdire trois substances sur 4 000, ou les touillettes en plastique, on aura échoué. Le texte doit contenir, d’une manière ou d’une autre, un levier pour agir sur la production mondiale.

Ce traité est aussi un test pour le multilatéralisme. Beaucoup doutent de la capacité des grandes institutions à produire des accords ambitieux. Il y a un besoin de résultats concrets. Si on y parvient, ce sera un signal fort. Mais si c’est pour accoucher d’un texte creux, sans ambition ni mécanisme contraignant, on aura manqué une occasion historique.

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