Ce vendredi 26 septembre, les agriculteur·ices des syndicats agricoles majoritaires FNSEA et Jeunes Agriculteurs (JA) ressortent les tracteurs et les drapeaux pour une «grande journée d’action». Outre l’opposition au traité de libre-échange du Mercosur (notre article) – qui fait craindre une concurrence déloyale –, et aux taxes douanières imposées par Donald Trump, la mobilisation dénoncera aussi «le flot des importations internationales qui ne respectent pas les normes qui sont les nôtres», a détaillé le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, dans un entretien au Journal du dimanche.
Une critique qui rejoint celle de nombre d’adhérent·es des deux syndicats majoritaires, qui se sont mobilisé·es localement en août dernier dans des supermarchés de Bourgogne, d’Alsace ou encore des Hauts-de-France. Lors de cette mobilisation, insecticides, pâtes à tartiner, biscuits, chocolats et autres produits à base de noisettes ou de sucre de betterave ont été symboliquement retirés des rayons. L’objectif : dénoncer les produits étrangers traités à base d’acétamipride – ce puissant pesticide interdit en France mais autorisé dans le reste de l’Union européenne. Il a failli être réintroduit sous conditions via un article de la loi Duplomb (adoptée en juillet et censée «lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur»). Mais l’article en question a finalement été censuré par le Conseil constitutionnel, en août.
Un consensus global chez les différents syndicats agricoles
Une action similaire a été menée le 17 septembre dans un supermarché de Charente par la branche locale de la Coordination rurale – syndicat créé en 1991 en opposition à la FNSEA et au libre-échange, aujourd’hui connu pour son opposition à de nombreuses normes environnementales. «On demande aux producteurs français de respecter des normes parmi les plus exigeantes au monde mais, dans le même temps, on autorise l’entrée de produits qui ne les respectent pas», a pointé son président départemental, Frank Olivier.
«Soit on autorise l’acétamipride en France, soit on interdit totalement les importations», résume auprès de Vert Quentin Le Guillous, secrétaire général des Jeunes agriculteurs. Céréalier dans l’Eure-et-Loir, il dénonce plus largement les «importations qui ne respectent pas les normes françaises», notamment dans le cadre de l’accord de libre-échange du Mercosur entre l’Union européenne et plusieurs pays d’Amérique du Sud : «Le Brésil autorise 178 molécules pour la culture du maïs, alors que 92 [d’entre elles] sont interdites dans l’Union européenne et 138 sur le territoire français.»
«La FNSEA et la Coordination rurale prônent un marché de compétitivité, c’est pour cela qu’ils ont poussé la loi Duplomb», tance auprès de Vert Thomas Gibert, porte-parole de la Confédération paysanne – syndicat défenseur d’une agriculture paysanne respectueuse de l’environnement.
Ce dernier défend plus directement la mise en place d’une «clause de sauvegarde», un mécanisme européen visant à «interdire l’importation de produits traités avec de l’acétamipride» pour «protéger la production française et notre santé». «On ne sortira pas du modèle agrochimique sans une protection de nos productions, avertit Thomas Gibert. Pour cela, la clause de sauvegarde existe dans les traités européens et la France l’a déjà mobilisée par le passé, il suffit de la justifier sur le plan sanitaire.»
Plusieurs précédents pour les cerises traitées avec des pesticides interdits
Dans les faits, cette clause de sauvegarde repose principalement sur deux articles d’un texte juridique européen datant de 2002*, qui permettent à la Commission européenne ou à des États membres de prendre des «mesures d’urgence» concernant la mise sur le marché et l’importation de certains aliments. Principale condition : il faut prouver que ces denrées «sont susceptibles de constituer un risque sérieux pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement».
La France a déjà utilisé cette clause de sauvegarde entre 2016 et 2019 pour bloquer les importations de cerises fraîches traitées au diméthoate – un insecticide interdit dans l’Hexagone pour ses «risques inacceptables» pour l’humain et les animaux. Elle a aussi été activée en 2023 contre les cerises utilisant du phosmet (un autre insecticide interdit, cette fois par l’Union européenne) ou encore en 2024 contre les fruits et légumes traités au thiaclopride (un membre de la famille des néonicotinoïdes – dont fait partie l’acétamipride – lui-aussi interdit dans l’Union européenne).
«La seule façon de perdre, c’est de ne pas tenter.»
Concernant l’acétamipride, les autorités sanitaires européennes comme françaises ne se sont jamais prononcées pour son interdiction – la décision française sur la fin de l’utilisation des néonicotinoïdes vient d’un vote de l’Assemblée nationale en 2016. Pour que l’activation de la clause de sauvegarde soit acceptée sans être attaquée par les autres États membres, il faudrait alors une «démonstration scientifique du danger d’une substance pour la santé humaine et l’environnement», explique Philippe Billet, directeur de l’Institut du droit de l’environnement de l’université Lyon 3, dans les colonnes de La Croix.
Une telle évaluation n’est pas un problème, selon Dorian Guinard, maître en droit public à l’Université Grenoble-Alpes : «On peut raisonnablement penser qu’il y a des risques inacceptables à partir du moment où des scientifiques ont retrouvé cette substance dans le liquide céphalo-rachidiens [le fluide dans lequel baigne le cerveau, NDLR] d’enfants» en Suisse. «La seule façon de perdre, c’est de ne pas tenter, le rejoint François Veillerette, porte-parole de l’association de lutte contre les pesticides Générations futures. Il y a plus que de gros doutes sur les effets de l’acétamipride sur l’environnement et la santé.»
«Je mettrais quand même de grosses réserves, nuance Sébastien Mabile, avocat spécialisé en droit de l’environnement. Si le risque pour l’environnement est avéré, les dangers de la consommation de produits traités ne le sont pas encore.» Autrement dit : au niveau de connaissances actuelles, importer des noisettes traitées à l’acétamipride ne ferait pas peser de risque sérieux sur le territoire national, les épandages ayant été réalisés dans d’autres pays.
«Si le gouvernement voulait faire preuve de volonté politique, il mettrait en œuvre» cette clause de sauvegarde, pointe Dorian Guinard. «C’est un mécanisme important que le marché peut permettre, abonde Thomas Gibert. Mais pour cela, il faut du protectionnisme.» Le ministère de l’agriculture – qui est en attente de la formation d’un nouveau gouvernement – n’a pas répondu aux sollicitations de Vert.
«Doux rêve» ou «impact vertueux» ?
Une note de l’Institut Veblen sur l’acétamipride, publiée mercredi, apporte de l’eau au moulin. En partant du constat d’une concurrence déloyale «vis-à-vis des produits importés», le think tank propose lui-aussi d’activer une clause de sauvegarde, pour ensuite obtenir une interdiction au niveau européen. Chargée de plaidoyer à l’Institut Veblen et co-autrice de la note, Stéphanie Kpenou reprend l’exemple des cerises : «Après la mesure de sauvegarde de la France, l’Union européenne a décidé d’interdire elle-aussi le diméthoate en 2019.»
«Cette clause de sauvegarde a permis d’aller vers du mieux-disant sur les normes, se souvient Thomas Gibert. Les pays exportateurs ont arrêté de produire avec du diméthoate pour pouvoir continuer à fournir le marché français.» Une telle mesure pourrait avoir un «impact vertueux» en «accélérant la sortie de l’acétamipride dans d’autres États», estime aussi François Veillerette. «Cela aurait le mérite d’ouvrir des négociations pour amener l’Union européenne à stopper l’utilisation de l’acétamipride», appuie Quentin Le Guillous, des Jeunes Agriculteurs.
En cas d’interdiction au niveau européen, l’Institut Veblen imagine dans sa note une troisième étape : «appliquer cette interdiction aux produits importés depuis les pays tiers», hors Union européenne. «Cette mesure miroir ne serait pas limitée dans le temps et s’appliquerait à toute denrée alimentaire entrant sur le marché européen, pour conditionner les importations à certains standards», précise Stéphanie Kpenou.
Noisettes, betteraves, pommes, asperges… empêcher les importations de produits utilisant de l’acétamipride pose des questions de faisabilité en France. «OK, on arrête l’acétamipride, mais alors on interdit la vente du Nutella parce que 90% des noisettes sont importées, donc c’est dangereux d’en manger», avertit la présidente de la Coordination rurale, Véronique Le Floch, auprès de l’Agence France Presse (AFP).
Pour Maude Thomas, directrice de l’Association nationale des producteurs de noisettes (ANPN), favorable au retour de l’acétamipride : «La fermeture de nos frontières est un doux rêve qui n’arrivera jamais» : «Nos 10 000 tonnes de noisettes [produites chaque année] ne suffiront pas à alimenter les besoins du marché, et l’Europe risque de condamner la France pour entrave au libre-échange.» «Le sucre et la noisette sont très utilisés, c’est beaucoup plus ambitieux que les cerises», reconnaît Thomas Gibert. François Veillerette, quant à lui, ironise : «Je ne pense pas qu’il y aurait d’émeute populaire s’il y avait moins de Nutella disponible dans les rayons.»
*Les articles 53 et 54 du règlement européen 178/02 de 2002.
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