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Un oléoduc géant à travers la France ? Le canular de militants écologistes pour alerter sur le projet de TotalEnergies en Afrique

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Canul’Art. Le col­lec­tif d’activistes Le bruit qui court a fait croire à des mil­liers de per­son­nes qu’un pipeline tra­verserait leur rue pour trans­porter du pét­role du nord au sud de l’Europe. Une façon inédite d’attirer l’attention du pub­lic sur le pro­jet bien réel de Total­En­er­gies en Ougan­da.

«Non mais c’est de la folie, vous ne pou­vez pas faire ça chez moi !» Les appels de résident·es paniqué·es se suc­cè­dent au stan­dard de la com­pag­nie en charge du pro­jet «WeCop». Cette entre­prise fic­tive pro­jette de con­stru­ire un pipeline géant de plus de 1 000 kilo­mètres pour achem­iner du pét­role depuis la Mer du Nord jusqu’au sud de l’Europe, en pas­sant par les Pays-Bas, la Bel­gique et la France.

Dimanche soir, des pan­neaux annonçant le début des travaux et le futur tracé ont été plac­ardés à Paris, Rouen, Lyon, Greno­ble ou encore Mar­seille. Près de 3 000 per­son­nes ont égale­ment reçu un cour­ri­er les infor­mant d’une prochaine expul­sion, le temps de réalis­er l’aménagement. Tout était pour­tant faux… ou presque. En appelant un numéro indiqué sur les pan­neaux d’information, les par­ti­c­uliers sont tombés sur le stan­dard du col­lec­tif Le bruit qui court à l’origine du can­u­lar. Excédé·es, elles et ils n’ont pas vu le par­al­lèle avec le pro­jet géant d’oléoduc engagé par Total­En­er­gies en Afrique de l’Est.

Les militant·es ont tracé le pas­sage du pré­ten­du oléo­duc dans plusieurs grandes villes de France comme ici à Paris pour faire croire au début immi­nent des travaux. © Le Bruit Qui Court

Eacop (pour East african crude oil pipeline) prévoit la con­struc­tion du plus long oléo­duc chauf­fé au monde pour le trans­port de mil­liers de bar­ils de pét­role par jour entre l’Ouganda et la Tan­zanie (notre arti­cle). Il fait peser de sérieuses men­aces sur la bio­di­ver­sité et a con­duit à l’expropriation de dizaines de mil­liers de per­son­nes. «Impact posi­tif net» sur la bio­di­ver­sité avec la com­pen­sa­tion des ani­maux et végé­taux tués, indem­ni­sa­tion et rel­o­ge­ment promis aux per­son­nes impactées par un pro­jet jugé néces­saire face à la crise énergé­tique… les militant·es ont repris tous les élé­ments de lan­gage de la com­pag­nie pétrolière française pour les détourn­er.

«Vous savez bien que si on réduit la taille des pipelines, on évite les fuites. C’est pour ça qu’on le fait pass­er sous le cen­tre-ville de Lyon», affirme avec aplomb au télé­phone un stan­dard­iste de Wecop. «Mais vous ne pou­vez pas faire ça, c’est pire que l’invasion en Ukraine là, c’est pas pos­si­ble», s’énerve-t-on à l’autre bout du fil. «C’est à ce moment que c’est com­pliqué, on a envie de leur deman­der s’ils se ren­dent compte que cette sit­u­a­tion existe réelle­ment en Ougan­da», con­fesse le mil­i­tant après avoir rac­croché. Depuis cinq mois, près de 400 per­son­nes mobil­isées sur ce can­u­lar géant ont tenu leur langue pour tout dévoil­er ce mar­di matin.

«Mais vous pou­vez pas faire ça, c’est pire que l’invasion en Ukraine là c’est pas pos­si­ble». Au stan­dard fic­tif instal­lé à l’Académie du Cli­mat, les militant·es reçoivent énor­mé­ment d’appels d’inquiétudes. © Vert

Susciter l’émotion pour mobiliser

«Si un oléo­duc n’est pas pos­si­ble en France, pourquoi ça le serait en Ougan­da ?», inter­roge Ulysse, un des représen­tants du col­lec­tif Le bruit qui court. À tra­vers l’émotion sus­citée chez les per­son­nes piégées, le groupe d’«artivistes» (con­trac­tion d’artistes et activistes) entend faire con­naître le pro­jet con­tro­ver­sé d’Eacop hors des sphères mil­i­tantes et de Paris. «On a ciblé les quartiers les plus rich­es parce qu’on ne voulait pas faire pay­er les plus vul­nérables et notre objec­tif est d’être repris par la presse locale pour qu’elle par­le du pipeline en Afrique», explique Ulysse.

«Pour faire mon­ter la sauce», une équipe de bénév­oles con­tacte en par­al­lèle député·es et jour­nal­istes pour leur deman­der de se saisir du sujet. «Ça ne nous fait pas kif­fer, mais l’essentiel c’est que tout le monde fasse le lien avec Eacop après notre démen­ti offi­ciel», indique Julie, respon­s­able de la mobil­i­sa­tion. Lun­di soir, Eric Piolle, le maire de Greno­ble, est le pre­mier à avoir réa­gi, en dif­fu­sant une vidéo pour démen­tir l’existence d’un pipeline français tout en rap­pelant son engage­ment con­tre celui qui ver­ra peut-être le jour en Afrique de l’Est.