Si le secteur culturel ne peut pas s’extraire d’une transition écologique nécessaire pour préserver de bonnes conditions de vie sur Terre, l’écologie a aussi besoin de la culture pour «susciter l’envie et le désir», soutiennent les auteur·ices de cette tribune. Le mouvement pour une écologie culturelle, le collectif de danse engagé pour le climat Minuit 12 et l’un des auteurs du rapport «Décarbonons la culture» du think tank The Shift project, en appellent à une véritable «transition culturelle» qui dépasserait largement le bilan carbone pour prendre en compte le vivant dans la création même.
«Crise climatique et inflation, manifestations, pénuries d’énergie et guerre en Ukraine : depuis Nuit Debout, les Gilets Jaunes et le Covid nous vivons un régime d’exception permanent. Prisonniers d’une surenchère d’événements plus ou moins lourds, le pire serait-il devant nous ? Quand le climat et la société font leur révolution, la culture ne doit pas s’abriter ou rester muette, mais au contraire nous inspirer. C’est un enjeu essentiel, car ignorer le champ de l’écologie et du vivant, ce serait y perdre son âme et renoncer à construire la culture d’après.
Ces crises physiques s’accompagnent aussi d’un déficit psychologique : la perte de confiance en soi et en l’avenir génèrent désespoir, révolte et violences. La culture est un débouché utile et alternatif à la violence sociale, sans l’ignorer. Créer c’est se projeter vers l’avenir, transformer ses frustrations, ses peurs et ses colères en pulsion de vie, ce qui nécessite une confiance dans le futur. Créer une œuvre -comme faire des enfants- est un pari positif sur l’avenir, et un acte de confiance. Créer, c’est aussi reconquérir un espace de liberté intérieure, pour ranimer la société. L’acte artistique nous permet alors de faire l’expérience de notre place sur terre, de notre capacité à l’habiter et à la transformer.
Conscientes de l’urgence, certaines institutions culturelles rentrent dans une dynamique écologique vertueuse. Quelques festivals réduisent leur taille, certaines tournées ralentissent, d’autres renoncent à l’avion, à l’achat de neuf tandis que certains ouvrent des ressourceries. Mais ce n’est pas la tendance principale. Au-delà de la sobriété choisie, il y a aussi un repli provoqué par la flambée des coûts de l’énergie : des programmations auxquelles il faut renoncer, des missions de service public amoindries. Ce n’est pas de la « sobriété », elle n’est pas organisée ; ce sont des mesures de pauvreté, elles sont subies. Elles génèrent du chômage, et privent parfois les collégiens et les lycéens de leurs premières sorties scolaires, elles empêchent de jeunes artistes de trouver leur voie.
On peut se féliciter que les choses évoluent aussi politiquement : les syndicats se structurent autour de ces questions, les bilans carbones se multiplient et deviennent parfois obligatoires. L’éco-conditionnalité des aides se met progressivement en place. Mais… quand nous aurons réalisé des centaines de bilans carbones et listé les mesures nécessaires à réduire l’empreinte de la culture, nous n’aurons pas encore rendu ces mesures désirables. Et la question reste entière de savoir quelle culture nous voulons ? Il faut désormais aller de l’avant, et faire que la culture participe à changer notre culture.
Ces réflexions sur l’écologie et l’art impliquent et convoquent notre corps, car il se trouve lui-même attaqué dans sa chair. Une question se pose alors : que peut la danse quand la vie s’éteint sous nos yeux et pire encore, sous nos mains ? Elle peut tout : elle a toujours accompagné ou précédé les mouvements sociaux d’ampleur. La danse est la mise en mouvement de nos idées, la mise en action de nos corps. C’est l’affirmation de notre combat : alerter pour préserver ce monde dans lequel notre corps s’inscrit et dialogue. Il nous faut mobiliser tous les styles de danse, conjuguer les esthétiques pour que ce message ne soit pas dit dans une langue unique, mais dans une multitude. Assembler nos voix et amplifier l’écho.
L’art est un cri inarticulé qui donne une voix à la lumière ! Si l’urgence n’est pas assez entendue, alors nous devons crier plus fort. Danser avec d’autant plus d’ardeur. Sortir des théâtres. Imaginer, chorégraphier, affirmer la victoire de la vie sur l’absurdité. Le secteur culturel doit permettre de faire émerger des créations qui documentent notre époque, l’accompagnent dans une transition nécessaire et l’inspirent pour bâtir un futur désirable.
Qu’il s’agisse de nos corps, de nouveaux outils d’expertise ou d’inventer la culture de demain, il faut maintenant passer de l’inspiration à la résolution. La transition écologique et énergétique ne peut advenir sans une « Transition culturelle » qui l’accompagne.
Chacun à notre niveau, nous posons les bases, les racine d’une culture écologique, comme un laboratoire pionnier de toutes les pratiques allant dans ce sens. Pour une reconquête d’un espace individuel et collectif de liberté et de plaisir partagé, qui donne du sens à notre quotidien.
Parce qu’elle nous invite à créer et à dessiner le futur, la méthode artistique est un exercice utile pour repenser notre rapport au vivant et à la société, et atteindre le Graal de l’écologie qui est de susciter l’envie et le désir pour convaincre.
Signataires :
Le mouvement de « L’Ecologie culturelle »
Patrick Scheyder, auteur et pianiste
Nicolas Escach, directeur du Campus des Transitions de Sciences Po Rennes-Caen
Samuel Valensi, Auteur et metteur en scène, pilote du rapport « décarbonons la culture » du think tank The Shift Project
Le collectif Minuit 12
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