Juge est parti. Attaquée en justice par six associations qui lui reprochent de manquer à son devoir de vigilance, l’entreprise s’en tire sans jugement. Un point de procédure a empêché de juger le cœur du dossier.
[Ajout de réactions le 28 février]
Le 7 décembre dernier, le tribunal judiciaire de Paris examinait pour la première fois une affaire découlant de la loi sur le devoir de vigilance des multinationales (Vert y était). Adoptée en 2017, celle-ci impose aux grandes entreprises de prévenir les dommages potentiels causés par leurs activités sur la santé, les droits humains et l’environnement.
Au cœur de cette audience inédite figurait le méga-projet pétrolier de TotalEnergies en Tanzanie et en Ouganda baptisé Eacop (on vous en parlait ici ou là). Trois heures durant, le juge a entendu les avocats de deux associations — les Amis de la Terre et Survie — puis de TotalEnergies afin de déterminer si la conduite de ce projet, que les associations estiment nocif pour le climat et les droits humains, constituait une violation du droit français.
Dans son jugement très attendu, communiqué ce mardi aux requérants, le juge n’a finalement pas répondu à la question. Au lieu de cela, les demandes des ONG ont été déclarées «irrecevables». Le juge des référés, qui examine les procédures en urgence, a estimé qu’il n’était pas compétent pour juger si TotalEnergies respectait bien le devoir de vigilance, et qu’il faudrait «un examen en profondeur» sur le fond du dossier.
Le jugement ajoute que les ONG n’auraient pas respecté les étapes de la procédure, en présentant à l’audience des demandes et des griefs «substantiellement différents» de ceux pointés en 2019, lorsque la justice a été saisie. «Cela, pour nous, n’est pas vrai», rétorque Juliette Renaud, responsable de campagne aux Amis de la Terre, qui estime que les associations n’ont fait que «fait que préciser et consolider leur argumentaire» et que «les demandes faites en 2019», au lancement de la procédure, «restent les mêmes». Il s’agit notamment du versement immédiat de compensations pour les communautés affectées par le projet et la suspension des travaux le temps que le plan de vigilance de TotalEnergies soit correctement rédigé et mis en œuvre.
«Nous sommes extrêmement déçus de la décision, dit encore Juliette Renaud à Vert. Mais ce qu’il faut retenir c’est que les juges ne donnent pas raison à Total : ils n’ont pas voulu se prononcer sur le fond de l’affaire». Autorisées à faire appel, les associations se réservent encore sur les suites à donner.
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