Décryptage

Tempête Boris : la faute à la crise climatique ?

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On n’en peut pluie. Des mil­liers de per­son­nes évac­uées, au moins dix-huit morts et de très lourds dégâts matériels… La tem­pête Boris, qui rav­age l’Europe cen­trale depuis le 13 sep­tem­bre, doit en grande par­tie son inten­sité au change­ment cli­ma­tique. Expli­ca­tions.

Lun­di 16 sep­tem­bre, l’équipe de sci­en­tifiques du lab­o­ra­toire des sci­ences du cli­mat et de l’environnement de l’université Paris-Saclay, a pub­lié une pre­mière étude d’attribution sur la tem­pête Boris. Ce type d’analyse cherche à déter­min­er les liens entre les évène­ments météorologiques extrêmes et le change­ment cli­ma­tique.

«Les émis­sions de gaz à effet de serre sont respon­s­ables de l’in­ten­si­fi­ca­tion de la tem­pête Boris, mais l’analyse n’ex­clut pas que la for­ma­tion de la tem­pête soit due à la vari­abil­ité du cli­mat», rap­porte auprès de Vert Davide Faran­da, directeur de recherche en sci­ences du cli­mat au CNRS qui a par­ticipé à l’é­tude. Autrement dit, la dépres­sion qui sévit entre la Roumanie, l’Autriche, la Pologne, la Slo­vaquie et la République Tchèque est peut-être d’origine naturelle, mais sa grav­ité, avec la quan­tité d’eau excep­tion­nelle qui s’est abattue sur la zone ces derniers jours, s’explique bien par le change­ment cli­ma­tique dû à nos rejets de CO2 et de méthane.

Un homme marche avec son chien dans une zone inondée à Jesenik, en République tchèque, le 15 octo­bre 2024. ©  Lukas Kabon / Anadolu via AFP

Selon l’équipe de Davide Faran­da, Boris représente bel et bien un évène­ment excep­tion­nel par l’intensité de ses pluies. Par rap­port aux épisodes plu­vieux des décen­nies précé­dentes, les pré­cip­i­ta­tions ont aug­men­té de 20 %, soit 4 à 8 mm par jour, sur l’Europe de l’Est.

Des mers en surchauffe et une masse d’air polaire

Le réchauf­fe­ment cli­ma­tique d’origine humaine «inten­si­fie les pré­cip­i­ta­tions en aug­men­tant l’ef­fet de serre, ce qui réchauffe l’at­mo­sphère et per­met à celle-ci de retenir plus de vapeur d’eau», explique Davide Faran­da. La vapeur d’eau est ensuite trans­for­mée en pluie à l’occasion d’épisodes plus intens­es.

Le boule­verse­ment du cli­mat a aus­si pour effet de «per­turber les régimes météorologiques, mod­i­fi­ant les courants-jets et les sys­tèmes de pres­sion». Le courant-jet con­stitue ce mou­ve­ment général de l’atmosphère qui prend l’allure d’un «tube de vent». Il joue un rôle impor­tant dans la tra­jec­toire et l’activité des dépres­sions, comme la tem­pête Boris. Cette per­tur­ba­tion des régimes météorologiques «affecte la répar­ti­tion des pré­cip­i­ta­tions, comme dans ce cas, où l’hu­mid­ité est trans­portée sur l’Eu­rope cen­trale depuis la mer Méditer­ranéenne et la mer Noire», détaille le sci­en­tifique.

© Météo-France

Comme Vert vous l’avait racon­té, la mer Méditer­ranée a con­nu des tem­péra­tures par­ti­c­ulière­ment élevées ces derniers mois. Il en est de même pour la mer Noire, située à l’est de la Roumanie et au nord de la Turquie. Or, une vague de fraîcheur causée par une «masse d’air polaire» a saisi l’Europe ces derniers jours.

Le dif­féren­tiel entre cet air froid et la chaleur de la mer Méditer­ranée favorise la for­ma­tion de pluies.

Une dépression qui persiste sur une même zone

Les pluies tor­ren­tielles de la tem­pête restent can­ton­nées à une zone rel­a­tive­ment éten­due, frap­pant à la fois la Pologne, la Roumanie, la République Tchèque, la Slo­vaquie, l’Autriche et la Hon­grie. Elles ne se dépla­cent pas.

Résul­tat : les pluies ont des con­séquences d’autant plus lour­des que les sols sont déjà gorgés d’eau, ce qui engen­dre des inon­da­tions et des crues du Danube, au Sud, à l’Oder, plus au Nord. Ces intem­péries «insis­tent sur la zone à cause de l’an­ti­cy­clone présent sur la Russie», éclaire Davide Faran­da. L’anticyclone désigne une zone de haute pres­sion atmo­sphérique qui assèche l’air et repousse les pré­cip­i­ta­tions.

Les experts en sci­ences du cli­mat n’excluent pas que le sta­tion­nement de la tem­pête sur une même zone soit en par­tie provo­qué par le réchauf­fe­ment cli­ma­tique. En effet, celui-ci «favorise les con­di­tions qui causent le sta­tion­nement des tem­pêtes aux moyennes lat­i­tudes», explique le sci­en­tifique.

Une étude parue en mars 2023, mon­tre que les change­ments de cir­cu­la­tions atmo­sphériques provo­quent de pro­fondes mod­i­fi­ca­tions régionales et saison­nières dans les pré­cip­i­ta­tions. En été, «les courants-jets ont davan­tage de méan­dres à cause du change­ment cli­ma­tique, ce qui bloque les tem­pêtes dans les mêmes posi­tions», détaille Davide Faran­da. En hiv­er, c’est le con­traire et les tem­pêtes sont trans­portées plus rapi­de­ment.

Le réchauffement climatique accroît le risque de précipitations extrêmes

Dans son 6ème rap­port, le Groupe d’experts inter­gou­verne­men­tal sur l’évolution du cli­mat (le Giec) rel­e­vait déjà que l’Europe fai­sait par­tie des zones les plus con­cernées par l’augmentation des pré­cip­i­ta­tions extrêmes. Il y démon­tre égale­ment que les épisodes plu­vieux sont provo­qués par les activ­ités humaines. Le doc­u­ment souligne que chaque dix­ième de degré de réchauf­fe­ment aug­mente les risques de pré­cip­i­ta­tions extrêmes.

Les prochains jours per­me­t­tront de faire un bilan défini­tif de la tem­pête Boris. Une étude du con­sor­tium inter­na­tion­al de sci­en­tifiques World weath­er attri­bu­tion est prévue afin de pré­cis­er les liens entre cet évène­ment cli­ma­tique extrême et le réchauf­fe­ment cli­ma­tique glob­al.