Décryptage

Pourquoi la date des vendanges est un bon indicateur du réchauffement climatique

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Ceps chaud. À tra­vers les dates de récolte des raisins, la vigne est depuis longtemps un bon indi­ca­teur du cli­mat. C’est ce que nous explique en détail la géo­graphe Valérie Bon­nar­dot.

Selon un dic­ton du sud de l’Allemagne, «le cépage est la mère du vin, le sol est son père et le cli­mat est son des­tin». Quoi de plus juste ! Cepen­dant, pour com­pléter ce trip­tyque qui décrit en par­tie le «ter­roir» viti­cole, il faut ajouter un autre acteur : le vitic­ul­teur qui choisit les cépages, tra­vaille le sol et la vigne dans ses par­celles puis les raisins et le vin au chais.

Il faut con­sid­ér­er égale­ment l’homme en général qui, lui, détient les rênes du des­tin ; com­pren­dre celles du cli­mat et de son évo­lu­tion à moyen et long terme par le con­trôle (ou non) des émis­sions de gaz à effet de serre qui con­tribuent au change­ment cli­ma­tique.

Du fait du réchauf­fe­ment cli­ma­tique, les ven­dan­ges sont de plus en plus pré­co­ces. © Rober­ta San­t’An­na / Unsplash

Si la vigne est donc une con­struc­tion humaine, celle-ci a égale­ment con­tribué en retour à façon­ner l’imaginaire de l’homme, à ryth­mer sa vie et notam­ment sa façon de seg­menter le temps qui passe. Ain­si, à titre d’exemple, on peut rap­pel­er en France que le cal­en­dri­er révo­lu­tion­naire créé en 1792 a nom­mé Vendémi­aire (de latin vin­demia, sig­nifi­ant ven­dan­ge), le mois allant du 22 sep­tem­bre au 21 octo­bre. Dans la Rome Antique, la vigne et le vin fai­saient l’objet des fêtes romaines Vinil­ia, et Vinil­ia Rus­ti­ca plus par­ti­c­ulière­ment mar­quait le début des ven­dan­ges.

Les dates des vendanges, un bon indicateur climatique

La vigne, à tra­vers les dates de ven­dan­ges, est égale­ment depuis longtemps un bon indi­ca­teur du cli­mat. En effet, l’obligation anci­enne de pub­li­er un ban des ven­dan­ges pour com­mencer à ven­dan­ger nous per­met de dis­pos­er de longues séries de don­nées de dates de ven­dan­ges comme celle pub­liée dès le XIXème siè­cle par l’archiviste de la ville de Dijon Joseph Gar­nier et bien con­nue des his­to­riens, comme Emmanuel Le Roy Ladurie qui l’indique dans son livre sur l’His­toire du cli­mat depuis l’an mil.

Cette série, longue d’environ 130 ans (de l’an 1372 à l’an 1500 pour être pré­cis), indique une date moyenne de ven­dan­ge à la fin du mois de sep­tem­bre avec des vari­a­tions d’un mois traduisant la vari­abil­ité annuelle du cli­mat : les ven­dan­ges les plus pré­co­ces (début sep­tem­bre) étant asso­ciées aux années les plus chaudes et/ou sèch­es et les plus tar­dives (fin octo­bre) asso­ciées à des années fraich­es et/ou humides.

Cette même série a été util­isée depuis pour recon­stru­ire les vari­a­tions passées des tem­péra­tures de l’été. Plus évo­ca­teur, cette don­née fig­ure aus­si, aux côtés des dates de flo­rai­son du cerisi­er au Japon, dans le six­ième rap­port du GIEC par­mi les indi­ca­teurs de change­ments globaux que peut révéler la végé­ta­tion à l’échelle mon­di­ale.

Le risque climatique, la grande peur des viticulteurs

Les dates de ven­dan­ges ont avancé en moyenne de 2 à 3 semaines au cours des 40 dernières années. Mais le réchauf­fe­ment provoque une avancée de tous les stades de crois­sance de la vigne et de mat­u­ra­tion des raisins et non sans con­séquences. La sor­tie plus pré­coce des pre­miers bour­geons que génère le réchauf­fe­ment va aug­menter la vul­néra­bil­ité de la plante face au gel qui peut tou­jours inter­venir.

C’est d’ailleurs le risque cli­ma­tique qui génère le plus d’inquiétude chez les vitic­ul­teurs. La péri­ode de mat­u­ra­tion des raisins (qui cor­re­spond au mois qui précède les ven­dan­ges) qui, elle, est décalée sur une péri­ode plus chaude (août au lieu de sep­tem­bre) va entraîn­er une mod­i­fi­ca­tion de la com­po­si­tion des raisins et donc des vins. Ain­si, la teneur en alcool poten­tiel qui aug­mente et l’acidité qui baisse frag­ilisent la struc­ture, l’équilibre aro­ma­tique des vins et leur con­ser­va­tion.

Des straté­gies d’adaptation à des tem­péra­tures plus élevées exis­tent, mais jusqu’à un cer­tain niveau de réchauf­fe­ment. C’est par exem­ple le change­ment de matériel végé­tal (porte-greffes et cépages avec une matu­rité plus tar­dive, plus tolérants à la sécher­esse et la chaleur…), le change­ment de pra­tiques viti­coles pour favoris­er la résilience des vignes (enherbe­ment entre les rangs, allège­ment de la den­sité de plan­ta­tion, agroé­colo­gie…) ou encore l’ajustement de proces­sus œnologiques (choix des lev­ures de fer­men­ta­tion, util­i­sa­tion de tech­niques de désal­cooli­sa­tion ou d’acidification…).

L’évolution à tra­vers le temps de la date des ven­dan­ges et de la com­po­si­tion des raisins. Doc­u­ment extrait des résul­tats du pro­jet LACCAVE © Inrae

Une stratégie d’adaptation dite «nomade» fait aus­si évoluer les plan­ta­tions de vignes plus en alti­tude, sur les ver­sants nord (ou sud pour l’hémisphère sud) ou en direc­tion de la mer ou de l’océan pour trou­ver de la fraîcheur.

Selon les pro­jec­tions cli­ma­tiques (vari­ant selon les scé­nar­ios d’émissions de gaz à effet de serre et les hori­zons tem­porels), cer­taines régions seront par­ti­c­ulière­ment éprou­vées tan­dis que d’autres pour­raient émerg­er.

En France, cer­tains vig­no­bles du sud de la France enreg­istrent de plus en plus fréquem­ment des tem­péra­tures supérieures à 30°C voire 35°C qui con­stituent un seuil ther­mique de stress extrême pour la vigne per­tur­bant le bon fonc­tion­nement phys­i­ologique, en provo­quant notam­ment un blocage de matu­rité, comme ce fut le cas en 2022. Soulignons d’après les pro­jec­tions issues d’un scé­nario à «émis­sions inter­mé­di­aires», que l’année 2022 sera une année cli­ma­tique «moyenne» à l’horizon 2060.

En revanche le réchauf­fe­ment favorise une migra­tion des aires cli­ma­tiques prop­ices à la viti­cul­ture vers le nord dans l’hémisphère Nord ou vers le sud dans l’hémisphère Sud.

L’émergence des crus bretons

Dans ce con­texte, la région Bre­tagne, plus con­nue du grand pub­lic pour la pro­duc­tion de cidre, voit la cul­ture de la vigne se dévelop­per sur son ter­ri­toire. Et ce, avant tout, du fait d’un change­ment lég­is­latif avec un décret de 2015 mod­i­fi­ant le régime des droits de plan­ta­tion à l’échelle de l’Europe. Ce texte per­met de fait la plan­ta­tion de vignes à but com­mer­cial dans des régions his­torique­ment non viti­coles.

Mais le change­ment cli­ma­tique favorise égale­ment les con­di­tions ther­miques pour une pro­duc­tion de crus bre­tons. Même si on ne peut pas réduire les cli­mats de la Bre­tagne à celui de Rennes ou ceux du vig­no­ble bor­de­lais à celui de Bor­deaux, la com­para­i­son des con­di­tions ther­miques des deux villes depuis le milieu du siè­cle dernier peut être provo­quante dans ce con­texte, mais elle est élo­quente pour saisir l’ampleur du change­ment cli­ma­tique en Bre­tagne.

Le vig­no­ble du Clos de Garo, à Saint-Suli­ac dans le départe­ment d’Ille-et-Vilaine. © Emeltet / Wikipedia

La tem­péra­ture moyenne annuelle de Rennes sur la péri­ode 1991–2020 (12,4°C) est sim­i­laire à celle de Bor­deaux sur la péri­ode his­torique 1951–1980 (12,5°C). Les valeurs de Rennes en 2022 (13,8°C) et 2023 (13,4°C) n’ont pas été atteintes à Bor­deaux sur cette péri­ode his­torique. Dans le futur, si «les rênes du des­tin» (du cli­mat) ne sont pas tenues, «la moyenne annuelle à Rennes atteindrait 15,3 °C, celle qu’on ren­con­tre par exem­ple actuelle­ment à Coim­bra au cen­tre du Por­tu­gal», résumait le géo­graphe cli­ma­to­logue Vin­cent Dubreuil.

Ces con­di­tions ther­miques en Bre­tagne per­me­t­traient de ven­dan­ger le Chardon­nay avant le 7 sep­tem­bre et le Chenin avant le 30 sep­tem­bre avec un taux de sucre de 190g/L néces­saire à la pro­duc­tion de vins blancs de qual­ité.

En atten­dant, on a pu enreg­istr­er les pre­mières dates de ven­dan­ges à but com­mer­cial en Bre­tagne en 2022 et 2023, qui se sont étalées sur le mois de sep­tem­bre en fonc­tion des endroits et des cépages. Celles de 2024, comme c’est le cas ailleurs dans les régions viti­coles de France, s’annoncent légère­ment plus tar­dives… mais tou­jours dans la nor­male his­torique des régions viti­coles tra­di­tion­nelles.

Cet arti­cle est repub­lié à par­tir de The Con­ver­sa­tion, sous licence Cre­ative Com­mons. Il a été rédigé par Valérie Bon­nar­dot, maître de con­férences en géo­gra­phie envi­ron­nemen­tale à l’Uni­ver­sité Rennes 2 Vous pou­vez lire l’article orig­i­nal ici.

The Conversation

Pho­to de cou­ver­ture : Get­ty images / Unsplash