Glace de pique. En cette fin avril, après un hiver très doux, les températures baissent dangereusement. Dans les vignes et les vergers, on cherche à limiter les dommages. Et on croise les doigts.
«Ici, tout le monde attend. Il n’y a pas de miracle, on espère passer entre les mailles du filet», résume, fataliste, Alain Renou, directeur des vignerons indépendants d’Alsace.
Depuis lundi, dans le nord-est du pays, les températures oscillent la nuit entre zéro et un degré. Les professionnel·les du vin redoutent l’impact sur la production de raisins. «L’hiver s’est bien passé, il y a de l’eau dans les sols, contrairement à d’autres régions. Il n’y a rien d’anormal à voir du gel en avril. Mais le débourrement, la sortie des bourgeons, a 20 jours d’avance par rapport à une année normale. Alors maintenant, on est à un degré près : s’il fait -1°C, ça craint», poursuit-il.
Les vignes ne sont pas les seuls végétaux placés sous haute surveillance. Tous les arbres fruitiers sont scrutés. «Plus c’est humide, plus les petits fruits, gorgés d’eau, sont sensibles, décrit Hervé Bentz, de la Fédération des arboriculteurs du Bas-Rhin. Si l’arbre sort d’une année compliquée, les fruits seront plus fragiles au démarrage. À température équivalente, on peut donc avoir de gros dégâts ou pas. On est un peu démunis. Dans le sud de la France, ils ont les mêmes problèmes. Ils sont en train de trembler pour leurs abricots et leurs pêches» (notre article).
Impossible de prévoir avec certitude si les degrés vont chuter dans le négatif, ni où. La situation est semblable dans le centre de la France, le sud-ouest, la Bourgogne…
La semaine dernière, c’est dans le Var qu’un gros épisode de gel a fait de la casse. Alors certain·es installent sur leurs parcelles de quoi produire de la chaleur : feux, bougies, chaufferettes, brûlots.
D’autres optent pour l’aspersion d’eau qui permet à la fois de réchauffer l’air et de créer une capsule de gel qui protègera les végétaux s’il fait trop froid. Plus perfectionnées, plus onéreuses aussi, les éoliennes ou les tours antigel rabattent l’air chaud et font remonter l’air froid.
«Ces interventions sont généralement efficaces entre -1 et -4°C», mais pas au-delà, estime Jean-Marc Touzard, directeur de l’unité Innovation à l’Institut national de recherche pour l’agriculture (Inrae).
Le dérèglement climatique ne mettra vraisemblablement pas fin à ces inquiétudes printanières : avec des hivers plus doux, la période végétative a lieu plus tôt. «La vigne peut résister à -15°C quand elle est en dormance, l’hiver. En phase de débourrement, elle va être sensible à -8, -4 puis -2 et enfin à peine en dessous de 0 lorsque les feuilles sont bien sorties. En ce moment, la vigne s’est déjà développée et a atteint ce niveau de sensibilité dans beaucoup de vignobles alors qu’il y a un mois, elle pouvait encore résister à – 8 ou -4.», illustre le co-auteur de Vigne, vin et changement climatique. «Même si le nombre de gelées va globalement baisser, ce n’est pas pour autant que la probabilité d’en avoir au mois d’avril disparaît. Comme les vignobles risquent de se déplacer vers le nord, ce risque sera une question qui perdurera dans le temps». L’avenir nous réserve sans doute «une instabilité climatique plus grande», résume Jean-Marc Touzard.
Alertés de plus en plus tôt et de plus en plus précisément, les agriculteurs et agricultrices disposent néanmoins de plusieurs leviers d’action, comme le choix de variétés tardives, ou la diversité des localisations des plantations.
«En Alsace, on a depuis toujours une viticulture adaptée au climat du nord : des cépages moins sensibles qui démarrent tard, comme le Riesling ou le Sylvaner, plutôt dans les coteaux parce que le froid touche davantage les bas-fonds. Les ceps sont plutôt hauts, donc moins proches du sol», liste Alain Renou.
«On peut essayer de se protéger, mais ce que la nature apporte ou reprend est hors de l’échelle humaine. Face à cela, nous, pauvres humains, sommes des fourmis qui s’agitent dans tous les sens», philosophe Hervé Bentz qui égrène les autres dangers qui peuvent survenir d’une année sur l’autre, voire la même année – printemps maussade et froid, fortes chaleurs, grêle, pluies diluviennes…
«L’agriculture est un métier à risque, il faut avoir les nerfs solides et la foi chevillée au corps, sourit-il. Quand c’est de temps à autre, ce n’est pas très grave, c’est une mauvaise année et on arrive à se refaire une santé. Le grand problème du dérèglement climatique, c’est la répétition d’événements extrêmes». Alain Renou abonde : «Un vigneron ne récolte qu’une fois par an, cela veut dire qu’il faut que cela se passe bien pour lui pendant douze mois».
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