Décryptage

Gelées tardives : «On est à un degré près, s’il fait ‑1°C, ça craint»

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Glace de pique. En cette fin avril, après un hiv­er très doux, les tem­péra­tures bais­sent dan­gereuse­ment. Dans les vignes et les verg­ers, on cherche à lim­iter les dom­mages. Et on croise les doigts.

«Ici, tout le monde attend. Il n’y a pas de mir­a­cle, on espère pass­er entre les mailles du filet», résume, fatal­iste, Alain Renou, directeur des vignerons indépen­dants d’Al­sace.

Depuis lun­di, dans le nord-est du pays, les tem­péra­tures oscil­lent la nuit entre zéro et un degré. Les professionnel·les du vin red­outent l’im­pact sur la pro­duc­tion de raisins. «L’hiv­er s’est bien passé, il y a de l’eau dans les sols, con­traire­ment à d’autres régions. Il n’y a rien d’anor­mal à voir du gel en avril. Mais le débour­re­ment, la sor­tie des bour­geons, a 20 jours d’a­vance par rap­port à une année nor­male. Alors main­tenant, on est à un degré près : s’il fait ‑1°C, ça craint», pour­suit-il.

De la paille brûlée est épan­due sur le sol d’un vig­no­ble, près de Saint-Emil­ion, le 23 avril 2024 © Christophe Archam­bault / AFP

Les vignes ne sont pas les seuls végé­taux placés sous haute sur­veil­lance. Tous les arbres fruitiers sont scrutés. «Plus c’est humide, plus les petits fruits, gorgés d’eau, sont sen­si­bles, décrit Hervé Bentz, de la Fédéra­tion des arboricul­teurs du Bas-Rhin. Si l’ar­bre sort d’une année com­pliquée, les fruits seront plus frag­iles au démar­rage. À tem­péra­ture équiv­a­lente, on peut donc avoir de gros dégâts ou pas. On est un peu dému­nis. Dans le sud de la France, ils ont les mêmes prob­lèmes. Ils sont en train de trem­bler pour leurs abri­cots et leurs pêch­es» (notre arti­cle).

Impos­si­ble de prévoir avec cer­ti­tude si les degrés vont chuter dans le négatif, ni où. La sit­u­a­tion est sem­blable dans le cen­tre de la France, le sud-ouest, la Bour­gogne…

La semaine dernière, c’est dans le Var qu’un gros épisode de gel a fait de la casse. Alors certain·es instal­lent sur leurs par­celles de quoi pro­duire de la chaleur : feux, bou­gies, chauf­fer­ettes, brûlots.

D’autres optent pour l’asper­sion d’eau qui per­met à la fois de réchauf­fer l’air et de créer une cap­sule de gel qui pro­tègera les végé­taux s’il fait trop froid. Plus per­fec­tion­nées, plus onéreuses aus­si, les éoli­ennes ou les tours antigel rabat­tent l’air chaud et font remon­ter l’air froid.

«Ces inter­ven­tions sont générale­ment effi­caces entre ‑1 et ‑4°C», mais pas au-delà, estime Jean-Marc Touzard, directeur de l’unité Inno­va­tion à l’Institut nation­al de recherche pour l’a­gri­cul­ture (Inrae).

Une éoli­enne antigel instal­lée dans le Loir-et-Cher. © David Jolivet / Flickr

Le dérè­gle­ment cli­ma­tique ne met­tra vraisem­blable­ment pas fin à ces inquié­tudes print­anières : avec des hivers plus doux, la péri­ode végé­ta­tive a lieu plus tôt. «La vigne peut résis­ter à ‑15°C quand elle est en dor­mance, l’hiv­er. En phase de débour­re­ment, elle va être sen­si­ble à ‑8, ‑4 puis ‑2 et enfin à peine en dessous de 0 lorsque les feuilles sont bien sor­ties. En ce moment, la vigne s’est déjà dévelop­pée et a atteint ce niveau de sen­si­bil­ité dans beau­coup de vig­no­bles alors qu’il y a un mois, elle pou­vait encore résis­ter à — 8 ou ‑4.», illus­tre le co-auteur de Vigne, vin et change­ment cli­ma­tique. «Même si le nom­bre de gelées va glob­ale­ment baiss­er, ce n’est pas pour autant que la prob­a­bil­ité d’en avoir au mois d’avril dis­paraît. Comme les vig­no­bles risquent de se déplac­er vers le nord, ce risque sera une ques­tion qui per­dur­era dans le temps». L’avenir nous réserve sans doute «une insta­bil­ité cli­ma­tique plus grande», résume Jean-Marc Touzard.

Alertés de plus en plus tôt et de plus en plus pré­cisé­ment, les agricul­teurs et agricul­tri­ces dis­posent néan­moins de plusieurs leviers d’ac­tion, comme le choix de var­iétés tar­dives, ou la diver­sité des local­i­sa­tions des plan­ta­tions.

«En Alsace, on a depuis tou­jours une viti­cul­ture adap­tée au cli­mat du nord : des cépages moins sen­si­bles qui démar­rent tard, comme le Ries­ling ou le Syl­van­er, plutôt dans les coteaux parce que le froid touche davan­tage les bas-fonds. Les ceps sont plutôt hauts, donc moins proches du sol», liste Alain Renou.

«On peut essay­er de se pro­téger, mais ce que la nature apporte ou reprend est hors de l’échelle humaine. Face à cela, nous, pau­vres humains, sommes des four­mis qui s’agi­tent dans tous les sens», philosophe Hervé Bentz qui égrène les autres dan­gers qui peu­vent sur­venir d’une année sur l’autre, voire la même année – print­emps maus­sade et froid, fortes chaleurs, grêle, pluies dilu­vi­ennes…

«L’a­gri­cul­ture est un méti­er à risque, il faut avoir les nerfs solides et la foi chevil­lée au corps, sourit-il. Quand c’est de temps à autre, ce n’est pas très grave, c’est une mau­vaise année et on arrive à se refaire une san­té. Le grand prob­lème du dérè­gle­ment cli­ma­tique, c’est la répéti­tion d’événe­ments extrêmes». Alain Renou abonde : «Un vigneron ne récolte qu’une fois par an, cela veut dire qu’il faut que cela se passe bien pour lui pen­dant douze mois».