28,90°C : c’est la température médiane brûlante atteinte par la mer Méditerranée le 15 août dernier. Le précédent record (28,71°C), établi en juillet 2023, est battu et de loin. Depuis début août 2024, des pics dépassant les 30°C ont été enregistrés à plusieurs reprises dans différentes zones, comme au large de Nice (Alpes-Maritimes) ou de Porto-Vecchio en Corse.
La mer Méditerranée est depuis longtemps reconnue comme un hotspot (un «point chaud») du dérèglement climatique : le réchauffement y est environ 20% plus rapide que la moyenne mondiale. «Cela s’explique par une combinaison de facteurs : les températures montent de façon critique dans le bassin méditerranéen en parallèle d’une réduction des précipitations et d’un plus grand risque de sécheresse, détaille à Vert Wolfgang Cramer, directeur de recherche au CNRS et professeur d’écologie globale à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE). On s’y rapproche des limites viables pour l’agriculture, la biodiversité ou le bien-être humain.»
Comme en 2023, les températures marines ont été particulièrement élevées cette année. Une situation que l’on doit au réchauffement climatique d’origine humaine, qui augmente la récurrence et l’intensité d’épisodes caniculaires, rappelle Wolfgang Cramer, mais également à la variabilité naturelle de la météo. «Toute la Méditerranée ne connaît pas des conditions records en ce moment, cela concerne plutôt le centre et l’est de la région pour le moment. Mais cela pourrait s’étendre vers l’ouest ou le nord dans deux semaines. Ou non. Ça reste un système dynamique et variable», note le scientifique.
Des écosystèmes chamboulés
S’il est trop tôt pour saisir leur impact à long terme, il est certain que ces anomalies thermiques récurrentes bouleversent une partie de la biodiversité de la grande bleue. «Le réchauffement et l’acidification des océans menacent des écosystèmes iconiques de la Méditerranée tels que les herbiers de posidonie ou le coralligène» (sorte de récif d’algues calcaires qui ressemble à du corail), alerte le CNRS.
Pour rappel, si la Méditerranée représente seulement 0,7% de la surface des mers et des océans du monde, elle abrite 18% de toutes les espèces marines — ce qui en fait une région particulièrement précieuse pour le vivant.
Ces températures records peuvent perturber les chaînes alimentaires, menacer des végétaux ou des animaux endémiques (qui ne vivent que dans une région donnée) ou favoriser l’apparition d’espèces tropicales et invasives, qui s’infiltrent dans le bassin méditerranéen via le canal de Suez et y trouvent des conditions désormais favorables à leur survie. C’est par exemple le cas du venimeux poisson-lion (ou rascasse volante), qui n’a pas de prédateur en Méditerranée et se nourrit d’un grand nombre de poissons locaux.
Outre les impacts sur la biodiversité, ces évolutions ont de quoi ébranler l’économie maritime du bassin méditerranéen : la pêche et l’aquaculture (dont les huîtres ou les moules) risquent grandement de souffrir de ces nouvelles conditions climatiques. Des études font notamment état d’une diminution de la taille de certaines espèces (dont la sardine) en Méditerranée à cause du changement climatique. En parallèle, les membres du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) estiment entre 20 et 24% la diminution du potentiel de capture de poissons à horizon 2100 dans le scénario de réchauffement climatique le plus pessimiste.
«La mer Méditerranée est en voie de tropicalisation»
Le mercure brûlant dans la Grande bleue a aussi des conséquences sur le climat de la région : «la Méditerranée constitue une masse d’eau qui permet en temps normal de modérer le climat régional, c’est-à-dire de limiter l’impact des canicules sur le littoral ou de réchauffer les températures froides. Avec les températures records enregistrées actuellement, l’atmosphère ne bénéficie plus de cet effet “amortissant” de la mer», prévient Wolfgang Cramer.
Ces anomalies thermiques contribuent également à des événements extrêmes : à l’arrivée de l’automne, les eaux chaudes peuvent intensifier les épisodes méditerranéens (un phénomène météorologique spécifique à la région, qui génère de forts orages) «en permettant à l’atmosphère de stocker plus d’humidité sur son trajet vers les côtes», décrit Météo-France.
On se souvient encore de la meurtrière tempête Daniel qui avait ravagé la Libye en septembre 2023 (notre article) ‑cette dépression avait été en partie alimentée par les eaux de la Méditerranée, encore particulièrement chaudes après un été caniculaire.
Aujourd’hui, les bouleversements qui traversent la région sont incontestables : «La mer Méditerranée est en voie de tropicalisation, au sens biologique et climatique», atteste Wolfgang Cramer. Cela signifie qu’elle adopte petit à petit les traits d’une mer tropicale — soit un changement majeur par rapport à son état d’origine. Si sur le littoral, beaucoup voient dans les chaudes baignades une nouvelle réjouissante, cela signe aussi l’arrêt de mort de nombreuses espèces et des impacts durables sur le climat, l’économie et l’habitabilité du bassin méditerranéen.