Analyse

Canicules marines : de quoi s’agit-il ?

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Océan ébul­li­tion. Moins vis­i­ble que les grands incendies ter­restres, une impor­tante canicule marine frappe actuelle­ment l’océan Atlan­tique. La bio­di­ver­sité et la pêche risquent d’être totale­ment boulever­sées.

Il n’y a pas que la forêt qui brûle. La tem­péra­ture de l’océan nord Atlan­tique a atteint 23,05°C le 18 juin, soit 1,22°C de plus que la nor­male, selon l’A­gence améri­caine d’ob­ser­va­tion océanique et atmo­sphérique (NOAA). «C’est inédit, on a jamais vu des tem­péra­tures de sur­face aus­si élevées au mois de juin dans cette zone», s’alarme auprès de Vert Raphael Seguin, chercheur en écolo­gie marine à l’Université de Mont­pel­li­er.

En plus du réchauf­fe­ment cli­ma­tique, la zone pour­rait être en train de subir les effets d’une moin­dre dif­fu­sion des pous­sières du Sahara dans l’atmosphère ain­si qu’une réduc­tion des rejets de soufre par les bateaux. Deux élé­ments qui par­ticipent générale­ment à réfléchir les rayons du soleil dans l’atmosphère et ain­si con­tenir la tem­péra­ture à la sur­face de l’eau. «C’est l’exemple par­fait d’une com­bi­nai­son de fac­teurs qui risque de ren­dre la sit­u­a­tion encore plus com­pliquée à gér­er. On entre main­tenant dans l’inconnu», avance Raphael Seguin.

Les tem­péra­tures mesurées à la sur­face de l’eau dans l’At­lan­tique Nord en 2023 (courbe en rouge) sont bien supérieures aux tem­péra­tures moyenne de référence (1982–2011) © Serge Zaka à par­tir des don­nées de l’Agence améri­caine d’ob­ser­va­tion océanique et atmo­sphérique

«Ces vagues de chaleur agissent comme des incendies»

Jusque-là, l’océan agis­sait comme un cli­ma­tiseur géant pour la planète, absorbant près de 90% du réchauf­fe­ment cli­ma­tique glob­al. La fréquence des vagues de chaleur marine, moins vis­i­bles, a pour­tant déjà dou­blé depuis les années 1980, selon le Groupe d’experts inter­gou­verne­men­tal sur l’évolution du cli­mat (Giec). Et le rythme s’accélère : près de 40 % des océans à l’échelle mon­di­ale seraient actuelle­ment en sit­u­a­tion de canicule marine, selon la NOAA, c’est-à-dire avec des tem­péra­tures de sur­face plus élevée que 90% du temps, pen­dant au moins cinq jours con­sé­cu­tifs.

«Ces vagues de chaleur agis­sent comme des incendies, mais il n’y a pas de fumée pour nous alert­er», illus­tre Raphael Seguin. Dans l’incapacité de fuir ce stress ther­mique extrême, les végé­taux — comme les coraux, algues et éponges de mer — sont alors les pre­mières vic­times. Plus de 90% des coraux gor­gones rouges ont par exem­ple dis­paru dans la Méditer­ranée entre 10 et 30 mètres de pro­fondeur après une canicule marine l’année dernière.

«Le rythme de réchauf­fe­ment est si rapi­de que l’adaptation est très com­pliquée. Cela pour­rait pro­duire des effets cas­cades, puisque le planc­ton n’aura plus rien à manger, les invertébrés et les pois­sons non plus», explique Raphael Seguin. Au final, les zones de pêche risquent d’être totale­ment boulever­sées, ce qui pour­rait met­tre à mal l’équilibre ali­men­taire de cer­taines com­mu­nautés.

Le phénomène risque aus­si de provo­quer des tem­pêtes (ali­men­tées par des eaux plus chaudes) et des pluies plus impor­tantes, tout en réduisant les capac­ités de stock­age du car­bone de l’océan. «Per­son­ne ne con­nait vrai­ment bien l’océan, mais notre avenir et notre quo­ti­di­en en dépend», rap­pelle Raphael Seguin. Plus facile­ment prévis­i­bles que sur terre, les canicules marines pour­raient notam­ment être anticipées par des mesures d’ur­gence au secteur de la pêche afin d’éviter de trop lour­des pertes.