Décryptage

Taxe «grands voyageurs», quotas, interdiction des jets privés : comment réduire le trafic aérien de façon juste ?

Ça en jet. Dans un nouveau rapport, le Réseau action climat propose neuf mesures pour limiter le trafic aérien à travers le prisme de la justice sociale.
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Après une brève accalmie liée au Covid-19, le trafic aérien est reparti de plus belle. L’Association internationale du transport aérien (Aita) prédit même un record pour l’année 2024, avec 4,96 milliards de passager·es attendu·es dans les aéroports du monde entier. Pire encore, l’organisation anticipe un doublement du nombre de voyageur·ses entre 2023 et 2043.

Or, les expert·es sont unanimes (ici, ici ou bien ) : le trafic doit diminuer si l’on veut respecter les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat et limiter le dérèglement climatique d’ici à 2100 à +2°C, voire +1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle.

«Aujourd’hui, le débat n’est plus tant de savoir s’il faut réduire le trafic aérien ou pas, mais plutôt comment on fait, avance auprès de Vert Alexis Chailloux, responsable aérien et ferroviaire au Réseau action climat et auteur d’un nouveau rapport paru jeudi. Le problème, c’est que c’est l’un des rares secteurs qui n’a pas commencé du tout à baisser ses émissions».

Un mode de transport inégalitaire et marqué socialement

Malgré de nombreuses allégations sur la démocratisation du trafic aérien au cours des dernières années, les chiffres dépeignent une toute autre réalité. Les passager·es sont indéniablement aisé·es, diplômé·es, urbain·es, plutôt jeunes et prennent l’avion pour partir en vacances.

Ainsi, les 20% des ménages français les plus aisés sont responsables de 42% des émissions de l’aérien, indique le rapport. Les cadres constituent 36,9% des passager·es pour seulement 14,1% de la population là où seul·es 8,3% des voyageur·ses sont ouvrier·es alors qu’ils représentent 21,3% de la population. Enfin, les vols de loisir sont à l’origine des trois quarts des émissions de CO2 des Français·es qui prennent l’avion – le dernier quart se répartissant entre les vols professionnels (13%) et familiaux (12%).

Dès lors, comment accompagner cette dynamique sans faire peser les efforts sur les plus précaires ? «La difficulté c’est de faire reposer la baisse du trafic sur ceux qui ont les moyens d’assumer ça, car si une mesure est injuste, elle aura du mal à être portée politiquement», détaille Alexis Chailloux.

Des mesures justes et efficaces

Le Réseau action climat a passé au crible neuf mesures présentes dans le débat public afin d’évaluer trois critères. Dans un premier temps, leur potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre – c’est-à-dire leur efficacité concrète. Ensuite, les recettes fiscales potentielles collectées par l’État pour investir dans des mobilités moins carbonées. Et, enfin, la répartition de l’effort, à savoir le type de population touchée par cette politique et ses caractéristiques sociales. Par exemple, l’interdiction des jets privés est qualifiée de mesure particulièrement juste puisqu’elle n’impacte qu’une infime minorité de Français·es : les plus riches.

Les mesures sont classées selon leur impact en matière d’émissions, les recettes fiscales potentielles et la juste répartition de l’effort (sur qui elles pèseront davantage). © Vert

Parmi les mesures évaluées, on retrouve l’instauration d’un quota d’un aller-retour par personne et par an, qui a le plus gros potentiel de baisse des émissions (-15,7%), le plafonnement du trafic ou encore la suppression des vols courts. Une mesure sort particulièrement du lot puisqu’elle satisfait l’ensemble des critères : la mise en place d’une «taxe grands voyageurs», qui viendrait faire grimper le prix des billets des passager·es en fonction du nombre de vols empruntés. «Selon notre modélisation, cette mesure permettrait de baisser les émissions du secteur aérien de 13,1 %, tout en faisant peser l’essentiel de l’effort sur les passagers les plus réguliers et en générant 2,5 milliards [d’euros] de recettes», précise le Réseau action climat.

Se mettre à la hauteur des voisins européens

Concrètement, cela nécessiterait la création d’un fichier qui centralise l’ensemble des billets achetés afin de référencer le nombre de trajets effectués par une même personne. «Ça demande de modifier le mécanisme actuel, mais ce n’est pas du tout insurmontable», avance Alexis Chailloux, qui reconnaît tout de même que cette mesure n’est pas la plus simple d’un point de vue logistique.

Plus réaliste : l’augmentation de la taxe sur les billets d’avion, qui est aujourd’hui quasi anecdotique en France par rapport à nos voisins. Pour un billet en classe économique, cette taxe française s’élève à 2,6€ sur un vol interne à l’Union européenne et 7,5€ pour les moyens et longs courriers. En Allemagne, c’est 16€ sur les vols européens, 39€ sur les moyen-courriers et 71€ sur les long-courriers, tandis que le Royaume-Uni impose 15€ sur les billets européens et plus de 100€ sur les autres. Une différence flagrante que l’on doit avant tout à «un manque d’ambition politique en France», analyse Alexis Chailloux, et qui serait facilement corrigible – dès le projet de loi de finances 2025, qui sera prochainement discuté à l’Assemblée nationale.

Un objectif : financer le développement du rail comme alternative

Il ne suffira jamais d’une mesure «miracle» pour décarboner efficacement et rapidement le secteur de l’aviation : «Si on veut réduire le trafic de manière efficace, il faudra absolument mettre en œuvre une combinaison de propositions, dont des mesures réglementaires strictes», abonde Alexis Chailloux. Bien qu’elles permettent des investissements dans la transition écologique, les simples mesures fiscales (les taxes) ne suffiront pas, puisque les voyageur·ses sont en moyenne des personnes aisées, en mesure «d’absorber» une hausse des prix.

Mais la fiscalité reste un volet essentiel de la décarbonation des transports, puisqu’elle peut permettre de financer le développement de mobilités moins polluantes, comme le train. En 2023, le gouvernement avait annoncé un vaste plan d’investissements de 100 milliards d’euros à horizon 2040 dans les infrastructures ferroviaires. «On n’en a pas trop vu la couleur pour l’instant», déplore Alexis Chailloux, qui prône l’utilisation des recettes fiscales de l’aérien pour financer le train en France.

Le Réseau action climat émet plusieurs recommandations pour démocratiser l’accès au rail, dont l’ouverture de nouvelles lignes de train de nuit, la mise en place d’un billet de congés annuels à petit prix, ou encore la baisse des péages ferroviaires – qui permettrait une diminution du coût des billets et une meilleure compétitivité du train face à l’avion. D’après Alexis Chailloux, il s’agit surtout d’une question de priorité politique : «Si on veut vraiment cet argent pour décarboner les transports en France, on sait où le trouver».

Photo d’illustration : Pexels