Entretien exclusif

Zaho de Sagazan : «Tous les problèmes que nous traversons sont liés à un manque d’amour»

Zaho les cœurs. Née entre la mer et les jardins, la chanteuse Zaho de Sagazan puise son engagement écologique dans une sensibilité à fleur de peau. Fripes, végétarisme, poésie de Baudelaire et amour du vivant : elle nous parle d’un monde à sauver, avec des mots doux… et engagés.
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Difficile de passer à côté du phénomène Zaho de Sagazan. Révélée en 2023 avec son premier album La Symphonie des éclairs, la chanteuse a depuis cumulé les succès : quatre Victoires de la musique en 2024 («Révélation féminine» ; «Chanson originale» – avec La Symphonie des éclairs – ; «Meilleur album» ; «Révélation scène»), un album certifié disque d’or (50 000 exemplaires vendus en quelques mois) et des écoutes qui explosent sur les plateformes d’écoute…

Mais Zaho de Sagazan ne se résume pas aux textes empreints de poésie et aux concerts renversants. Elle est aussi une artiste engagée pour l’action climatique, qui a pris position l’année dernière contre l’extrême droite – ce qui lui a valu d’être censurée sur les radios du groupe Bolloré.

Vert l’a rencontrée à l’occasion du festival Solidays, à Paris, où elle s’est produite le 28 juin dernier. Dans cet entretien exclusif, elle revient sur les racines de son engagement politique, sa manière de concilier musique et conscience écologique, et la force de la sensibilité face à l’urgence climatique.

Zaho de Sagazan, le 28 juin 2025, à Paris. © Lisa Drian/Vert

L’an dernier, vous avez signé une tribune appelant Emmanuel Macron à agir face à l’urgence climatique. D’où vient votre engagement écologique ?

Je pense que, comme beaucoup de gens de ma génération, mon engagement vient d’un constat évident : les catastrophes sont là. Cela fait très longtemps que les scientifiques nous alertent, et c’est seulement depuis peu que les gens commencent vraiment à les écouter.

Cet engagement vient aussi sûrement de mes parents, eux-mêmes très écolos. C’est peut-être anecdotique, mais on s’est toujours habillés chez Emmaüs, on a toujours pris le train plutôt que l’avion… Je suis née à Saint-Nazaire [en Loire-Atlantique], j’ai toujours été proche de la mer, j’ai eu la chance de grandir avec un jardin, des animaux… Tout ça me rend naturellement sensible à ces questions.

Pourquoi avoir signé cette tribune ?

Prendre la parole, c’est pour moi l’une des responsabilités qui vient avec le fait d’être une personne publique. Signer une tribune, ça ne me coûtait pas grand-chose, c’était un petit geste – vraiment minime, on a mille choses à faire à côté – mais je crois que c’est ce genre d’engagement symbolique qui peut aussi faire bouger les choses. Montrer l’exemple, c’est l’un des gestes les plus simples que l’on puisse faire quand on est artiste.

Vous pensez que les artistes ont une responsabilité politique ?

Oui, bien sûr. La musique, comme n’importe quelle forme d’art – ou même comme une prof de lycée qui t’en parle un jour – peut avoir un impact. On peut sensibiliser en chantant, en dansant, sur les réseaux… Peu importe le moyen, tant qu’on communique.

«Si tout le monde était un peu plus sensible, le monde irait mieux.»

Quand quelqu’un comme Billie Eilish [chanteuse et compositrice américaine, NDLR] prend la parole sur un sujet, son message touche des millions de personnes qui l’aiment et l’écoutent. On a parfois plus de chances d’être entendus qu’un ou une spécialiste du climat – même si ces personnes font un travail fantastique. C’est ça, la force des artistes.

Vous avez l’habitude de porter des vêtements trouvés en friperie, pour vos tenues de scène. Est-ce lié à votre engagement écologique ?

Oui, complètement. D’ailleurs, la tenue que je porte en ce moment vient d’une friperie à Montréal. C’est l’un des gestes que je fais pour réduire ma consommation. Ce n’est pas une décision consciente que j’ai prise un jour, c’est quelque chose que j’ai toujours fait. J’ai grandi dans une famille où on s’habillait en fripes, d’abord par souci économique – on n’avait pas beaucoup de moyens – et puis parce que ma mère a su rendre ça cool.

Quand tu as 12 ans, tu veux t’habiller comme tout le monde. Ma mère nous a expliqué que la fripe, c’était être original, c’était écolo. Et c’est resté. Aujourd’hui, je préfère largement m’habiller comme ça. Quand on sait que l’industrie textile est l’une des plus polluantes, on ne peut plus faire comme si de rien n’était.

Zaho de Sagazan au festival Les Solidays (Paris), le 28 juin 2025. © Photo by Miki/Solidays 2025

Et franchement, ça ne change rien à notre vie, même quand on est artiste. C’est souvent de meilleure qualité, c’est économique, écologique… Il est temps de changer nos habitudes. On n’est plus «cool» quand on s’achète des fringues neuves toutes les deux semaines. Et puis un vêtement de seconde main a une histoire : tu te dis que, peut-être, une petite mamie l’a porté avant toi… J’adore cette idée.

Vous êtes végétarienne, aussi ?

Oui, je suis végétarienne : par amour des animaux et pour des raisons écologiques. Même si j’ai dû faire quelques entorses en tournée. Quand tu manges tous les midis dans des stations-service, que tu es végétarienne et que, comme moi, tu n’aimes pas le fromage… c’est compliqué !

Mais ce n’est pas grave. Mieux vaut être végétarienne la plupart du temps et faire dix exceptions dans l’année, que de ne rien changer du tout. Un plat en moins avec de la viande, ça reste un plat en moins avec de la viande !

Dans votre chanson «La Fontaine de sang», vous vous inspirez d’un poème de Charles Baudelaire pour aborder la question de la crise écologique. Que signifie ce texte pour vous ?

Oui, cette chanson est née de la lecture d’un poème de Baudelaire qui porte le même titre. Ce n’est pas un texte qui parle d’écologie à la base, mais il m’a inspiré des images très fortes. Je ne me souviens plus très bien du sens littéral du poème, mais je garde en tête cette image d’une fontaine de sang pillée par les hommes.

«Pleurer, c’est prendre conscience de ce qui arrive.»

J’avais envie de parler d’écologie de manière poétique, un peu métaphorique, comme je le fais souvent. Peu de gens comprennent cette chanson, je crois, c’est peut-être un peu trop imagé… Mais, pour moi, cette fontaine, c’est la Terre. Elle donne, elle nourrit, et puis, peu à peu, on commence à la piller. C’est l’arrivée du capitalisme, et la catastrophe que nous vivons aujourd’hui.

Écrire cette chanson m’a fait du bien, parce que j’ai compris que ce n’était pas la Terre qui était en danger, mais bien l’humanité. La nature est beaucoup plus forte qu’on ne le croit. Elle se régénérera après nous. Finalement, on est peut-être les méchants de l’histoire… et on en paiera le prix.

Vous dites souvent que vous pleurez, et que votre sensibilité fait votre force : la sensibilité est-elle ce qui nous manque pour nous reconnecter au vivant et agir pour l’écologie ?

Complètement. Le mot «sensibilisation» contient «sensibilité», et ce n’est pas un hasard. On vit dans un monde où tout nous coupe de notre humanité : les écrans, les réseaux… On s’émerveille de moins en moins. On voit tellement de choses extraordinaires sur Instagram que même un coucher de soleil nous paraît moins beau que celui qu’on a vu dans une story.

© Vert

La sensibilité est souvent perçue comme une faiblesse. Moi, je pense que c’est l’inverse. Si tout le monde était un peu plus sensible, le monde irait mieux. Pleurer, c’est prendre conscience de ce qui arrive.

Et c’est justement ce qui manque à ceux qui nous gouvernent : de la sensibilité. Le pouvoir et l’amour ne vont pas ensemble. Et c’est un vrai problème, car ce sont eux qui décident.

Au fond, tous les problèmes que nous traversons sont liés à un manque d’amour. Que ce soit l’écologie, l’antiracisme… C’est toujours une histoire d’amour : aimer l’autre, aimer la nature, et en prendre soin.

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