«Eau voleurs», «Micro puces mais giga rage», «Du contact mais pas des puces»… Dimanche, sous un soleil radieux, quelque 3 000 personnes ont répondu à l’appel du collectif STopMicro et des Soulèvements de la Terre pour protester contre l’industrie des puces électroniques dans la région de Grenoble (Isère). Dans un décor de carte postale, bordé de montagnes aux cimes encore enneigées, cette manifestation est venue conclure un long week-end de mobilisation, après deux jours de colloque sur l’impact de l’extractivisme et du secteur de la microélectronique.
L’objectif de ce week-end : rendre visible la lutte du collectif STopMicro et réclamer l’abandon de l’agrandissement de deux usines de puces électroniques, STMicroelectronics et Soitec, dans la zone d’activités qui jouxte les villes de Crolles et Bernin, en Isère (notre article). Les militant·es critiquent la consommation d’eau potable démesurée de cette industrie et les polluants qui sont relâchés dans les cours d’eau, ainsi que le projet de vie ultra-connectée promis par le développement des puces électroniques.

«Si les deux agrandissements se font, nous avons calculé que les usines utiliseront chaque seconde 300 litres d’eau potable qui descend directement des montagnes et qui seront pollués par l’azote, le cuivre ou les PFAS [ces substances chimiques qualifiées de «polluants éternels» en raison de leur dangerosité pour les sols, l’eau et l’air, NDLR] utilisés pour la production des puces», détaille Mathilde, porte-parole de STopMicro pour la journée.
«J’ai vu la vallée se bétonner»
Au-delà de cet impact en eau, l’extension de l’usine Soitec – temporairement suspendue – pourrait menacer onze hectares de terres agricoles (céréales, noix…). «Cet accaparement de la terre n’est plus supportable. On ne peut pas parler de souveraineté alimentaire et mener en parallèle ces projets qui s’attaquent à nos terres», insiste Hugo, de l’Atelier paysan, une coopérative nationale qui aide les agriculteur·ices à construire leurs propres équipements, venue appuyer la manifestation de dimanche.
Les résident·es du coin se sont largement mobilisé·es – en témoignent les nombreuses pancartes signées de noms de villes des environs. «Je suis un enfant de la vallée, et je l’ai vue se bétonner depuis 38 ans, raconte Simon, habitant de Bernin venu manifester avec sa compagne et ses deux enfants. C’est important de se mobiliser pour conserver notre cadre de vie et notre environnement, et arrêter cette fuite en avant inutile.» «Avec le réchauffement climatique, les réserves en eau diminuent. À qui va-t-on donner la priorité si on continue comme ça ?», s’inquiète Julie, qui vit elle aussi dans la vallée du Grésivaudan.
«Un système qui préfère les profits aux ressources naturelles»
«Ceci n’est pas une lutte locale, c’est un combat collectif contre un système qui préfère les profits aux ressources naturelles», pointe Thibault, venu du Tarn pour le week-end. Au fil de la journée, les comparaisons ont fleuri entre la lutte contre les mégabassines (ces grandes retenues d’eau très controversées) et celle contre les puces électroniques. «Ce que l’on voit, dans les deux cas, c’est que cet accaparement de l’eau est présenté comme une solution. Pour les mégabassines, c’est soi-disant contre les sécheresses. Et, pour les puces, ce serait pour permettre une transition numérique et énergétique, explique Marcelle, du mouvement national Les Soulèvements de la Terre. On dénonce cette instrumentalisation de l’écologie au profit de dynamiques d’accaparement de l’eau et de la terre.» Pour l’occasion, un convoi du collectif Bassines non merci (BNM), qui lutte contre le développement des mégabassines, a traversé la France depuis les Deux-Sèvres pour montrer son soutien à la lutte iséroise.

«Les usages de l’eau sont réglementés au niveau européen avec une hiérarchie : d’abord l’eau potable, puis l’eau pour les milieux naturels et enfin pour la vie économique. Ici, on a plutôt l’impression d’une inversion complète de la hiérarchie, souligne Julien Le Guet, porte-parole de BNM, qui lutte contre l’extension des mégabassines. Dans ces conditions, comment peut-on assurer l’approvisionnement en eau potable d’une ville comme Grenoble et de ses environs ?»
Fanfare et familles
Il n’y a pas eu de débordement au cours des plus de trois heures de déambulation dans le village de Bernin et devant les sites de STMicroelectronics et Soitec. Le cortège s’est longuement déplié dans les petites rues au rythme de la fanfare – pour le plus grand bonheur des nombreux enfants présent·es. Des activistes déguisé·es en clowns ont souvent diverti la foule avec des petites saynètes, entrecoupées de slogans et de chants militants.
Malgré cette ambiance festive, la manifestation a été marquée par une large présence policière. Aux abords du point de départ de la marche, un ballet incessant de fourgons de la gendarmerie et de nombreux barrages routiers ont retenu des participant·es. Un dispositif «démesuré» qu’a déploré Marcelle, des Soulèvements de la Terre, alors qu’un hélicoptère tournait sans relâche au-dessus de la foule avant le départ du cortège : «Je ne sais pas s’ils ont peur de nous, mais on observe qu’une méthode d’intimidation se met en place à chaque mobilisation soutenue par les Soulèvements, pour décourager les personnes de venir.»
«Faire régner un régime de terreur»
«C’est une manière de faire régner un régime de terreur qui est très claire. Ils déploient un dispositif similaire quel que soit le type d’action annoncé. Aujourd’hui, c’est une manifestation déclarée, autorisée, et familiale», fustige Julien Le Guet. Pas de quoi justifier un tel déploiement, d’après les collectifs à la manœuvre.

À la fin de la manifestation, le cortège s’est arrêté devant des champs de blé, face au site de Soitec. Cette parcelle fait partie des onze hectares agricoles menacés par l’extension de l’entreprise. Dominique est l’un des quatre exploitant·es concerné·es par le projet. «S’il aboutit, je ne sais même pas si je vais pouvoir rester sur ces terres», déplore-t-il. En l’état, le projet d’extension ne fait qu’entourer la parcelle où il cultive des noix, mais l’agriculteur craint qu’il ne finisse par croquer ses terres. «Je suis à six ou sept ans de la retraite. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y aura pas de succession possible : quel jeune aurait envie de venir s’installer ici, au milieu d’une usine ?», interroge le paysan.
Surveiller les industriels
Au bord de la parcelle, une dizaine de manifestant·es ont rapidement déployé une structure en bambous. Hissée au vent, une immense banderole rouge prévient : «Les puces ne se mangent pas. Soitec hors de nos champs !» «La construction de cette vigie informe les industriels qu’on les surveille attentivement et qu’ils ne peuvent plus faire ce qu’ils veulent», affirme Mathilde, de STopMicro.
À quelques kilomètres de là, à Saint-Égrève (Isère), d’autres manifestant·es s’en sont pris au site de l’entreprise Teledyne Technologies, partenaire de STMicroelectronics, a-t-on appris au même moment. Lors de cette action revendiquée par le «Comité essentiellement antipuces», des militant·es ont repeint la façade du site et coupé les grilles et certains tuyaux pour le mettre «hors d’état de nuire». Il n’y a pas eu d’interruption d’activité et une plainte va être déposée, a confirmé l’entreprise à Vert.
Pour le collectif STopMicro, cette journée est un franc succès : «Depuis le début de nos manifestations, en 2023, nous voyons que la fréquentation grossit chaque année, avec de nouvelles thématiques qui sont abordées, comme les enjeux liés à l’extractivisme, se réjouit Mathilde. Cela montre que les gens ne veulent plus se laisser faire face à ces entreprises.»
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