100 grammes de tofu tous les deux mois. Voici la quantité maximale qu’une femme adulte pourrait consommer sans risque selon l’Anses, 40 fois moins que de viande rouge. Quant à la restauration collective, c’est la suppression pure et simple des produits à base de soja que recommande l’agence sanitaire. Une position faisant figure d’exception dans le monde, la France devenant ainsi l’un des rares pays à décourager la consommation de soja.
Tout en partageant l’objectif de prévention sanitaire défendu par l’Anses et l’importance de limiter une exposition excessive aux isoflavones, nous, artisanes et artisans du soja, entendons apporter des éléments critiques à ces recommandations.
Des recommandations en total décalage avec les habitudes de consommation
L’inquiétude des autorités françaises pour cette légumineuse qu’est le soja n’est pas nouvelle. En cause : les isoflavones, des substances dont le soja est la principale source dans l’alimentation, et soupçonnées d’être un perturbateur endocrinien. Chargée d’évaluer le risque lié à la consommation d’isoflavones, l’Anses a donc fixé des valeurs toxicologiques de référence (VTR), c’est-à-dire des seuils en dessous desquels il est possible de consommer du soja sans risque. Or, ces nouveaux seuils sont les plus conservateurs au monde. Jusqu’à 100 fois inférieurs aux précédentes VTR déterminées par ces mêmes autorités françaises en 2005, ils compromettent de facto toute consommation de soja. Ces seuils apparaissent en total décalage avec l’exposition actuelle des consommateur·ices de soja en France, et encore davantage en Asie où le soja est consommé depuis des millénaires. Des critiques partagées par deux membres du comité d’expert·es de l’Anses, ayant refusé de valider les conclusions de l’avis.
Pas de prise en compte des études menées sur les humains
Ces VTR sans précédent s’expliquent par le choix de l’Anses d’extrapoler ses conclusions à partir d’études exclusivement menées sur des rats, choisissant d’ignorer les nombreuses études épidémiologiques humaines. Or, les rongeurs métabolisent 20 à 100 fois plus efficacement les isoflavones que les humain·es. Se baser uniquement sur les valeurs issues de ces modèles animaux pour formuler des recommandations pour la consommation humaine est critiquable, dénonce l’Observatoire national des alimentations végétales (Onav).
Des bénéfices pour la santé passés sous silence
Les données épidémiologiques humaines démontrent non seulement l’innocuité du soja, mais concluent même à d’importants bénéfices pour la santé des adultes liés à une consommation d’isoflavones jusqu’à 50 milligrammes (mg) par jour – soit 70 fois plus que la limite fixée par l’Anses ! Moindre risque de développement et de récidive du cancer du sein, atténuation des bouffées de chaleur de la ménopause, et peut-être même diminution des risques cardiovasculaires : autant de vertus à mettre au crédit du soja, pourtant ignorées par l’agence sanitaire.
Des limites de consommation excessivement basses
L’Anses constate que le taux d’isoflavones varie fortement pour un même aliment à base de soja et relève des taux particulièrement élevés dans certains produits industriels. L’Agence recommande donc aux industriels et aux producteurs «de mettre en œuvre des techniques agronomiques et des procédés de fabrication permettant de produire des aliments en maîtrisant les teneurs en isoflavones».

Or, les techniques artisanales que nous utilisons dans la transformation du soja, notamment par des procédés de lavages et de trempages prolongés des graines, permettent de diminuer efficacement la concentration en isoflavones dans nos produits. Mais les VTR demeurent si basses que pour les respecter, une femme adulte ne devrait pas consommer plus d’un verre de lait de soja artisanal toutes les deux semaines. La teneur en isoflavones de 100 millilitres (mL) de lait de soja préparé selon le procédé traditionnel est d’environ 3,1 mg, soit 7,75 mg pour un verre de 250 mL. Or, la VTR fixée par l’Anses pour une femme entre 18 et 50 ans est de 0,68 mg d’isoflavones par jour.
En plaçant la VTR à un niveau excessivement bas et même si elle s’en défend, l’agence jette injustement l’opprobre sur le soja. À rebours d’un bannissement général des produits à base de soja en restauration collective, nous appelons donc l’Anses à adopter une approche nuancée vis-à-vis des isoflavones, à établir une VTR réaliste, et plus largement à prendre en compte les bénéfices liés à la consommation de soja.
Nous, artisanes et artisans, dont certain·es cultivent leur propre soja, sommes convaincu·es que l’avenir de l’alimentation végétale repose sur des pratiques maîtrisées et respectueuses des consommateur·ices. Rendons donc aux tofu, tempeh, miso, natto, boissons et desserts de soja la place qu’ils méritent dans nos cantines : celles de précieux alliés dans la lutte contre le dérèglement climatique, la sauvegarde des écosystèmes, la réduction de la souffrance animale et l’amélioration de la santé humaine.
Une tribune signée par :
- Tofu du Poitou – artisan de tofu à Poitiers (86)
- Chêne Grenouille – Molières (91)
- L’Atelier Tofu – Goult (84)
- La Dodue – Bar-le-Duc (55)
- Ferme Les Petits Evaurys – Allainville (78)
- Le Chat des Champs – Nouzilly (37)
- Le Bloc des Champs – producteur de soja et artisan de tofu à Jax (43)
- Kedelaï – fabricant tempeh à Paris (75)
- Tempeh Enak – Grenoble (38)
- Henricot – Tempeh frais et non pasteurisé (65)
- Sojaterie Gentil·le – Montreuil (93)
- Le Comptoir de Pyrène – Lasseube (64)
- Lady Tofu – Montpellier (34)
- Les 400 Graines – Annonay (07)
- Tofu des Alpes – Grenoble (38)
- Natto du Dragon – Draguignan (83)
- Maï Lam – Savignac-Lédrier (24)
- Tofu Hong – Schwindratzheim (67)
- Graines du Jour – Paris (75)
- Le Bloc des Champs – (43)
- Le Bon Tempeh (Lausanne – Suisse)
- Sanga Miso – Veigné (37)
- Zen Miso – Aups (83)
Note aux lecteur·ices :
Cette article est une tribune, rédigée par des personnes extérieures à la rédaction de Vert. Ce texte réflète un point de vue, qui ne saurait être considéré comme celui de notre média.
À lire aussi
-
Mélanie en Véganie, l’influenceuse qui veut rendre l’alimentation végétale sexy
Tempeh pour eux. Très suivie sur les réseaux sociaux, «Mélanie en Véganie» est créatrice de contenus spécialisée dans l’alimentation végétale. Elle vient de publier Ultra protéiné, un livre de recettes véganes aux éditions La Plage. Apports en protéines, impact sur la santé, produits transformés : dans cet entretien à Vert, elle explore les bienfaits de l’alimentation végétale et démonte les clichés. -
Comment se faire un bon barbecue sans griller la planète ?
La planète sur le grill. Sport national pendant les beaux jours, le barbecue a aussi un coût environnemental non négligeable. Quelques pistes pour profiter de ces moments conviviaux sans réchauffer le climat.