Le 4 octobre dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a retoqué l’interdiction de l’appellation «steak végétal» décrétée par la France, en réponse à une demande des lobbies de la viande. Qu’est-ce que ça t’inspire ?
C’est hilarant. On est le seul pays européen à avoir ce genre de combat, qui n’a pas de sens à mes yeux. C’est hyper important de pouvoir appeler un steak végétal un «steak», car cela donne un référentiel. Quand je cherche une recette de burger sur internet, je vais chercher quel type de steak pouvoir mettre dedans, pas quel type de galette de légumineuses ou je-ne-sais-quoi. Quand je suis dans un magasin et que je vois des lardons végétaux, je me dis que je vais pouvoir les utiliser dans des pâtes carbonara. Pour moi, ça permet vraiment de favoriser l’accès à ces produits pour tout le monde.
«J’ai commencé l’alimentation végétale pour les animaux, et j’ai continué pour l’environnement»
Qu’est-ce qui t’a poussé à t’intéresser à l’alimentation végétale ?
En 2017, j’étais en école de commerce et je suis partie en Erasmus au Pays de Galles, à Cardiff. Le Royaume-Uni était déjà beaucoup plus avancé que la France sur les questions d’alimentation végétale et dans les cantines universitaires, il y avait déjà le choix d’options végétariennes ou véganes au quotidien. Il se trouve qu’à cette même période, j’ai découvert les terribles vidéos de L214 dans les abattoirs.
Je me suis rapidement posé la question de réduire ma consommation de produits animaux parce que ces vidéos m’avaient vraiment bouleversée et que j’avais cette chance d’avoir des alternatives facilement accessibles. J’ai vraiment fait une transition hyper douce, item par item, sur plusieurs années. Les vidéos L214, c’était un premier doigt dans l’engrenage. Puis, je me suis renseignée en lisant des études et je me suis rendu compte que c’était une catastrophe pour l’environnement. J’ai commencé l’alimentation végétale pour les animaux, et j’ai continué pour l’environnement.
Tu cumules aujourd’hui 166 000 abonné·es sur Instagram… Pourquoi avoir décidé de te lancer sur les réseaux sociaux pour parler de ces sujets-là ?
Quand j’ai découvert l’impact de la consommation de viande sur le vivant et sur l’environnement, j’ai eu une sensation de colère et d’incompréhension hyper forte. J’essayais de partager ça autour de moi et je me suis sentie seule en voyant que les gens n’étaient pas forcément très réceptifs. Donc j’ai eu envie d’essayer de m’entourer de personnes qui étaient sensibles à ces sujets-là, et c’est un peu pour ça que j’ai commencé à partager des choses sur les réseaux en 2020.
Au début, c’étaient juste des photos de mes assiettes pour montrer ce que je mangeais. Je n’avais pas vraiment de skills en photo, ni en cuisine d’ailleurs. Tout était hyper artisanal. Puis, j’ai eu envie d’être légitime dans mon contenu, afin que l’on ne puisse pas me reprocher de divulguer de fausses informations. Je voulais pouvoir expliquer à mon public ce qui était équilibré sur le long terme sans inventer quoi que ce soit, et en ayant les mesures de précaution en tête.
J’avais envie d’être une bonne ambassadrice de l’alimentation végétale, parce que je sais que si je suis en bonne santé, active et que je montre des assiettes végétales saines, je peux aussi convaincre par mon propre exemple. C’est pour ça que j’ai suivi deux diplômes universitaires en ligne : l’un en «alimentations végétariennes» à la Sorbonne et l’autre à l’université de Stanford (États-Unis) en «Nutrition science» (science de la nutrition).
À lire aussi
Quel est ta meilleure astuce pour avoir une alimentation végétale riche en protéines ?
Le premier, c’est de s’intéresser au concept des «protéines végétales stratégiques» que je développe dans mon livre. Ce sont toutes les protéines qui vont avoir le profil nutritionnel qui se rapproche le plus de celui de la viande, c’est-à-dire qu’on va essayer de tendre vers minimum 15 grammes de protéines pour 100g d’aliments. C’est le cas du tofu, du tempeh, du seitan, des protéines végétales texturées, et de certains similis.
Le deuxième hack [astuce, NDLR], c’est d’adopter l’alimentation la plus variée possible et de ne pas hésiter à booster ses assiettes avec des graines de courges, de la levure maltée, une sauce à base de beurre de cacahuètes – qui sont tous des aliments protéinés. Il faut essayer d’avoir plein de nutriments, avec des aliments riches et variés, en puisant toutes les catégories, que ce soit les oléagineux, les graines, les légumineuses, la levure, les algues. En gros : piocher un peu partout.
Tu conseilles notamment de se tourner vers des similis-carnés, des imitations de viande ; des produits auxquels on reproche souvent d’être ultra-transformés. Pourquoi ce choix ?
Certes, ce sont des aliments transformés, mais on peut quand même choisir des produits avec une composition clean[propre, NDLR], une liste d’ingrédients très courte et pas d’additifs. De plus en plus de marques se positionnent là-dessus, parce qu’elles savent que c’est en ayant la composition la plus simple possible qu’elles vont pouvoir faire avancer la cause. Par exemple, les similis «poulet» sont faits avec une base de soja, d’eau, de quelques épices et de vitamine B12. On va avoir une composition assez saine avec de très bons apports en macronutriments. Ça reste transformé et, bien sûr, il vaut mieux manger des aliments entiers. Je ne conseille donc pas d’en manger tous les jours, mais ça peut être une bonne solution de temps en temps – quand on n’a pas le temps ou la flemme de cuisiner.
«En France, dans les cantines ou au restaurant, l’option végétale donne très rarement envie. J’ai vraiment la flemme de manger une assiette de légumes au restaurant»
Que penses-tu du cliché qui revient toujours, selon lequel les sportifs·ves ne peuvent pas être véganes en raison de leurs besoins importants en protéines ?
Les Jeux olympiques de cet été ont été exceptionnels à ce niveau, des dizaines d’athlètes véganes ont remporté des médailles, donc pour moi ça suffit comme argument pour montrer que c’est un raisonnement absurde.
À lire aussi
Quels sont les plus gros obstacles au développement du végétarisme ou du véganisme en France ?
C’est assez complexe. Je pense qu’il existe à la fois des freins sociétaux et des freins individuels. La France reste un pays hyper attaché à ses traditions culinaires : la plupart de nos recettes traditionnelles sont faites à base de viande.
Après, il existe encore un gros manque d’accessibilité. Quand j’étais au Royaume-Uni, c’était accessible dans les cantines, donc j’ai essayé, ça m’a plu et c’était terminé, je ne suis pas revenue en arrière. En France, dans les cantines ou au restaurant, l’option végétale donne très rarement envie. Souvent, ils te font une assiette de légumes, et j’ai vraiment la flemme de manger une assiette de légumes au restaurant. Donc je comprends que des gens n’aient pas envie de se lancer là-dedans.
«Il faut intégrer ce temps d’apprentissage, car il faut repenser tout ce qu’on met dans son caddie, dans ses placards, comment on cuisine, explorer de nouveaux goûts»
Ensuite, je pense qu’on ne communique pas assez sur tous les bienfaits que ça peut apporter. Il faut vraiment penser au triptyque : réduire l’impact sur les animaux, réduire l’impact sur l’environnement et optimiser sa santé, si c’est bien fait. L’alimentation végétale, qu’on se le dise, c’est clairement pas encore sexy. Personne n’en parle en disant que c’est une révolution géniale et qu’il faut qu’on s’y mette tous. C’est encore vu comme quelque chose de très fade, très chiant, l’homme-soja qui mange des cailloux. Les clichés persistent à fond et c’est très dur de s’en défaire.
«Si on n’est pas vigilant, on peut se mettre en danger par rapport à sa santé et c’est là qu’il y a de grands retours en arrière qui font les titres des journaux en affirmant que le véganisme n’est pas viable»
Sur tes réseaux, tu n’hésites pas à revenir sur tes erreurs passées dans ton parcours d’alimentation végétale. Pourquoi est-il important de partager ces réflexions ?
Je pense qu’il faut qu’on soit réaliste. À un moment, ceux qui faisaient la promotion de l’alimentation végétale et du véganisme [régime alimentaire qui consiste à ne consommer aucun produit d’origine animale, NDLR] voulaient convaincre un maximum de gens en disant «tout est parfait, tout est beau», et en réalité ce n’est pas le cas. Il y a des informations nutritionnelles à avoir en tête. Si on n’est pas vigilant, on peut se mettre en danger par rapport à sa santé et c’est là qu’il y a de grands retours en arrière qui font les titres des journaux, en affirmant que le véganisme n’est pas viable.
Ce n’est pas qu’il n’est pas viable, mais ça ne s’improvise pas. Effectivement, il faut faire attention à la B12 [vitamine essentielle au fonctionnement du système nerveux, principalement trouvable dans les produits d’origine animale, NDLR], à avoir suffisamment de fer, potentiellement faire des cures d’oméga-3, réfléchir à sa consommation de protéines. En France, on ne risque pas d’avoir des carences en protéines, mais pour avoir des apports optimisés ça se réfléchit. Et si on ne parle pas de tout ça, les gens peuvent se mettre en danger et faire une très mauvaise «pub» à l’alimentation végétale.
«C’est essentiel de déconstruire toutes ces idées reçues pour faciliter l’accès à l’alimentation végétale»
Il est aussi important de casser les mythes sur le sujet. L’exemple du soja est hyper parlant, car c’est vraiment l’alternative principale aux produits animaux, c’est-à-dire qu’on peut en faire des steaks, des aiguillettes, du yaourt, de la crème, du lait, etc. On peut quasi tout faire avec le soja et je vois beaucoup de gens s’en priver, car il y a des craintes par rapport à cet aliment [pour son impact présumé sur la déforestation, pour sa teneur en œstrogènes, etc., NDLR]. Se priver du soja, c’est se mettre des bâtons dans les roues. À part si on est intolérant ou allergique, il n’y a aucun risque à consommer du soja. C’est essentiel de déconstruire toutes ces idées reçues pour faciliter l’accès à l’alimentation végétale.
Quel message voudrais-tu faire passer à des gens qui aimeraient réduire leur alimentation carnée, mais qui n’arrivent pas à passer le cap ?
Si je reprends mon expérience personnelle, mon conseil serait d’y aller par étapes : on n’est pas obligé de tout arrêter d’un coup. Si, quand tu vas chez ta grand-mère le dimanche, tu n’arrives pas à renoncer au poulet rôti, mais que 95% de ton alimentation est végétale, c’est déjà très positif. Je risque de me faire des ennemis chez les véganes qui considèrent qu’il faut faire tout ou rien, mais de mon côté je prône plutôt le : «allons-y tous ensemble, de manière imparfaite, progressive, c’est pas grave». Plus on est nombreux à se lancer, plus on a un impact.
Il faut se laisser le temps de tester plein d’alternatives. Au début, le tofu c’est très fade, mais c’est parce qu’il faut apprendre à bien le cuisiner. Il faut intégrer ce temps d’apprentissage, car il faut repenser tout ce qu’on met dans son caddie, dans ses placards, comment on cuisine, explorer de nouveaux goûts. C’est une charge mentale conséquente, et ça peut demander des ressources financières au moment de la transition, donc c’est normal d’y aller petit à petit. Mais je remarque que, quand tu mets le doigt dans l’engrenage pour essayer, c’est rare de faire marche arrière, et le reste suit instinctivement.
À lire aussi
-
Et si on levait le pied sur la viande pour enrayer les crises écologiques ?
Au lendemain de la journée mondiale du végétarisme, et si on levait le pied sur la bidoche pour préserver le climat, la biodiversité, et notre propre santé ? Et par où commencer ? -
«Les régimes avec moins, voire pas de viande sont bénéfiques aux athlètes» : trois questions à un diététicien nutritionniste du sport sur le végétarisme dans le sport de haut niveau
Quand on est athlète de haut niveau, il n’est pas toujours évidemment de changer de régime alimentaire dans un quotidien très rythmé et contrôlé. Pourtant, beaucoup de sportifs et de sportives se dirigent vers des régimes de moins en moins carné, tout en maintenant de hauts niveaux de performance. Meilleure récupération, moins de blessures : Nicolas Aubineau, diététicien nutritionniste du sport au centre médicosportif de La Rochelle, explique à Vert les raisons de cette transition.