Décryptage

Le soja, c’est bon ou c’est mauvais pour la santé ? Ce qu’en disent les experts

Tofu le camp. L’Agence française de sécurité des aliments vient de recommander de bannir le soja de la restauration collective au motif qu’il serait nocif pour l’appareil reproducteur des humains. Un débat qui agite la communauté scientifique depuis de nombreuses années. Alors est-ce dangereux ou non de manger du soja ? Vert fait le point.
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Ce qu’il faut retenir
→ Les dernières revues systématiques d’études estiment le soja sans danger.

→ L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) applique un principe de précaution, estimant que les isoflavones contenues dans le soja peuvent agir sur l’appareil reproducteur.

→ La position de l’Anses apparaît isolée par rapport aux autres pays.


L’avis rendu le 24 mars dernier par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a fait grand bruit. L’établissement public, chargé d’évaluer les risques pour la santé humaine et animale dans le domaine de l’alimentation, recommande désormais de ne plus servir d’aliments à base de soja dans la restauration collective : cantines scolaires, Ehpad ou hôpitaux. L’Anses pointe les effets nocifs des isoflavones, des phyto-œstrogènes présents dans le soja, sur l’appareil reproducteur. Mais cette position est loin de faire consensus.

De nombreuses qualités nutritionnelles

Cultivé et consommé depuis des millénaires en Asie, le soja est arrivé en Europe dès la fin du 18ème siècle. Il s’est fait une vraie place dans nos assiettes à partir du 20ème et davantage encore ces dernières décennies. Cette légumineuse présente de nombreux intérêts nutritionnels. «C’est avant tout une très bonne source de protéines végétales, explique Marie-Gabrielle Domizi, diététicienne-nutritionniste et membre du conseil scientifique de l’Observatoire national des alimentations végétales (Onav) : cet organisme étudie les alimentations à dominante végétale et informe professionnel·les de santé et consommateur·ices sur ces questions. Les protéines sont composées d’acides aminés, et celles du soja sont bien équilibrées, elles se rapprochent des protéines animales.»

Les produits à base de soja existent sous de nombreuses formes : lait, tofu, fèves… © Diane Labombarbe/Getty images

La graine de soja renferme en effet près de 40 grammes (g) de protéines pour 100 g, ce qui en fait une bonne alternative à la viande pour les adeptes d’un régime végétarien (sans viande ni poisson) ou végétalien (sans aucun produit animal). Cette légumineuse est intéressante dans le cadre de n’importe quel régime alimentaire, car elle est une source d’acides gras polyinsaturés, dont des oméga 3 et 6 ; de potassium ; de vitamines du groupe B (B1,B2,B3) ; de fer et de magnésium.

Un aliment riche en isoflavones

L’autre grande particularité du soja est qu’il contient des taux élevés d’isoflavones, une molécule chimique présente dans toutes les plantes, et plus encore dans les légumineuses. Les isoflavones font partie des phyto-œstrogènes, c’est-à-dire qu’elles ont une structure proche des œstrogènes, des hormones sexuelles dites féminisantes, car présentes en plus grandes quantités chez les femmes.

S’il ne s’agit pas d’hormones à proprement parler, ces composés végétaux peuvent se lier aux récepteurs des œstrogènes et les moduler. C’est en raison de cette propriété que les compléments alimentaires aux isoflavones sont recommandés pour calmer certains symptômes de la ménopause, une période marquée par une chute des niveaux d’œstrogènes.

Pour l’Anses, c’est en raison de cette particularité que le soja devrait être évité en restauration collective ; selon elle, il existe «des risques d’effets toxiques sur le système reproducteur» des humains. «Depuis la loi Egalim [de 2018, NDLR], il y a désormais l’obligation de proposer un repas végétarien par semaine en restauration collective, et c’est parfois du soja qui est servi. Les directions générales de l’alimentation (DGAL) et de la santé (DGS) nous ont donc demandé de déterminer une valeur toxique de référence (VTR) pour les isoflavones», raconte Perrine Nadaud, adjointe au chef de l’Unité d’évaluation des risques liés à la nutrition de l’Anses.

Les VTR sont des indices qui permettent de déterminer un seuil au-dessous duquel il n’existe aucun risque pour la santé. D’ordinaire, ils sont utilisés pour des substances toxiques, comme les pesticides.

Valeur toxique de référence

Pour déterminer ces valeurs, l’Anses explique s’être appuyée sur les connaissances scientifiques disponibles à propos de l’être humain et de certains animaux – dont des études menées sur des rats, exposés pendant un temps donné à de fortes doses d’isoflavones.

L’une d’entre elles, citée dans l’avis final de l’Anses, fait état chez les rats mâles d’une diminution du poids des épididymes, un organe chargé de conserver et transporter les spermatozoïdes, et d’une diminution de la taille des portées. Une autre étude montre une augmentation du nombre de cellules dans les glandes mammaires des rats mâles.

À partir de ces données, le comité d’experts spécialisés de l’Anses a déterminé deux valeurs toxiques de référence : 0,02 milligramme (mg) d’isoflavones par kilogramme (kg) de masse corporelle et par jour pour la population générale (donc 1,4 mg pour une personne de 70 kilos), et 0,01 mg pour les femmes enceintes et en âge de procréer, ainsi que les enfants prépubères. «En nous basant sur une étude de consommation, nous avons constaté que de nombreuses personnes qui mangent du soja dépassent ces VTR : près de 47% des adultes, 53% des filles de 11 à 13 ans et même 76% des enfants de 3 à 5 ans», précise Perrine Nadaud.

Ce seuil est bien inférieur aux précédentes recommandations de l’Afssa, l’ancienne Anses, qui préconisait 1 mg d’isoflavone par kilogramme de masse corporelle, ce qui correspond, globalement, à une dose de soja quotidienne (un steak ou un yaourt par exemple).

Difficile toutefois d’établir une liste d’aliments à éviter, car les taux d’isoflavones varient énormément d’un aliment et d’une marque à l’autre. Les biscuits apéritifs soufflés au soja contiennent ainsi dix fois plus d’isoflavones qu’une soupe miso.

AlimentTeneur en isoflavones
(μg/100g)
Biscuit apéritif soufflé, à base de pomme de terre et de soja97 480
Soja, graine entière83 900
Tempeh43 235
Tofu nature36 890
Saucisse végétale au tofu17 182
Escalope végétale ou steak à base de soja12 791
Boisson au soja, nature, non enrichie11 650
Soupe miso, déshydratée reconstituée9 821
Dessert au soja, aromatisé, sucré, non enrichi6 809
Sauce soja1 035
© Avis de l’Anses du 8 janvier 2025.

Le soja, bon pour la santé, selon les études épidémiologiques

L’avis de l’Anses ne fait cependant pas l’unanimité. «L’Agence extrapole à partir d’études menées sur des rats, mais cela ne nous semble pas pertinent pour évaluer l’action des isoflavones du soja chez les humains. D’autant plus que les études épidémiologiques, qui analysent les problèmes de santé dans les populations humaines, soutiennent au contraire l’innocuité [l’absence de risque, NDLR] du soja», affirme Sébastien Demange, médecin spécialiste en médecine générale et membre de l’Onav.

Cet organisme, constitué de professionnel·les de santé (médecins, pharmaciens, diététiciens, gynécologues, sage-femmes et pédiatres) est financé par des dons et legs de particuliers ainsi que des subventions. Il vise à proposer une expertise médicale transparente et indépendante. En 2024, il a publié une position sur la consommation alimentaire du soja, validée par un comité composé de scientifiques et de professionnel·les. L’Onav s’est basé pour cela sur de nombreuses études internationales, qui rapportent une absence de risques liés à la consommation de soja chez les hommes, les femmes ou les enfants, quel que soit le contexte.

Parmi ces publications, on trouve notamment des revues systématiques et des méta-analyses, qui consistent à analyser et faire la synthèse de toutes les connaissances existantes sur une question donnée. Elles sont considérées comme ayant le degré de preuve le plus élevé dans la littérature scientifique.

Une revue systématique parue en 2022 dans le Journal of nutrition science affirme que «la consommation de soja et de ses composants ne semble pas perturber la fertilité des femmes en bonne santé et peut avoir un effet favorable chez les sujets en désir de grossesse». Une autre revue publiée la même année dans le Journal of agriculture and food research suggère que la consommation de soja pourrait avoir un effet positif dans la prévention de maladies cardiovasculaires et de certains cancers, même si davantage de recherches doivent être effectuées. Enfin, une méta-analyse de 2020 démontre que ni le soja ni les isoflavones n’ont d’effet sur les hormones reproductives mâles.

«Concernant le soja, la France applique un principe de précaution très fort. Mais c’est une position assez isolée, car la plupart des autres pays estiment que le soja n’a pas d’effets négatifs sur la santé», ajoute Sébastien Demange, qui s’interroge : «Est-ce pertinent de demander des VTR, plutôt utilisées pour les pesticides, par exemple, pour un aliment qui est consommé par une grande partie de la population depuis des millénaires ?»

Un aliment qui n’est pas obligatoire

Malgré cet isolement, l’Anses maintient son avis et son principe de précaution. Elle estime nécessaire de réduire les taux d’isoflavones dans les produits contenant du soja, qui peuvent varier en fonction de «la variété, des conditions de culture et du degré de maturité de la plante, ainsi que des procédés de fabrication ou de la formulation des recettes.» L’Agence recommande donc aux industriels de revoir leurs techniques agronomiques et leurs formules.

La diététicienne Marie-Gabrielle Domizi estime qu’il n’y a pas de danger avéré à consommer du soja, quelle que soit la population concernée, mais elle comprend les inquiétudes. «Si je n’arrive pas à rassurer un patient, je lui indique que, dans tous les cas, le soja n’est pas obligatoire. On peut le remplacer par de nombreuses autres légumineuses. Il ne faudrait pas que ces craintes empêchent les gens de végétaliser davantage leur alimentation.»

En plus de leur intérêt environnemental, les régimes végétariens et végétaliens ont en effet plusieurs conséquences bénéfiques sur la santé, comme une diminution des risques de développer du diabète ou certains cancers. Et ça, c’est l’Anses elle-même qui le dit.

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