Décryptage

Omnibus : la Commission européenne propose d’autoriser certains pesticides sans limite de temps

Épandre ou à laisser. Publié mardi, le paquet «Omnibus» sur la santé et l’alimentation prévoit de modifier en profondeur le système d’évaluation européen des produits phytosanitaires. Si le texte a été édulcoré par rapport à sa précédente version, il reste largement décrié par les associations de défense de l’environnement.
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Mardi, à Strasbourg, le commissaire hongrois Olivér Várhelyi a présenté son nouveau plan pour l’Europe : le paquet législatif «Omnibus» consacré à la sécurité alimentaire. Tout comme les précédents, ce dixième du nom est un paquet législatif destiné à amender des textes existants. Officiellement conçu pour «réduire les charges réglementaires inutiles», ce texte marque la réforme la plus profonde du cadre européen de régulation des pesticides depuis la directive de 2009. Sous couvert de «simplification», l’Omnibus prévoit notamment un assouplissement des procédures d’autorisation des produits phytosanitaires avant leur mise sur le marché.

La Commission européenne propose, avec ce dixième «Omnibus» dédié à la sécurité sanitaire et à l’alimentation, un assouplissement du processus d’homologation des pesticides. © Commission européenne

Adopté formellement par la Commission européenne mardi 16 décembre, cet Omnibus doit encore franchir plusieurs étapes avant d’entrer en vigueur. Il sera notamment examiné par le Conseil de l’Union européenne et par le Parlement, au terme d’un processus législatif qui s’annonce long.

Le texte suscite d’ores et déjà une vive opposition. Une première mouture, révélée à la mi-novembre par le média spécialisé Contexte, avait déclenché une levée de boucliers immédiate : 2 300 médecins avaient dénoncé le projet dans une tribune, avant d’être rejoint·es par plus d’une centaine d’organisations de protection de l’environnement dans un second texte collectif. Toutes et tous mettaient en garde, d’une même voix, contre une réforme qui «ferait reculer l’Europe de trente ans». Depuis la publication de la nouvelle version de l’Omnibus, certaines de ces organisations ont de nouveau pris la parole. Si le paquet législatif a été légèrement édulcoré, le verdict reste inchangé : il demeure «inacceptable», pour l’association Générations futures.

Argument administratif… et économique

Dans le détail, le texte vise à modifier en profondeur les règles d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux des substances actives qui entrent dans la composition des pesticides. Aujourd’hui, chaque substance fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché limitée dans le temps, généralement de dix à quinze ans. À l’issue de cette période, les industriels doivent déposer une nouvelle demande, accompagnée des données scientifiques les plus récentes. Ces dossiers sont examinés par les agences sanitaires européennes, dont l’avis sert ensuite de base aux autorités nationales pour autoriser, ou non, la commercialisation des produits concernés.

Le texte propose de rompre avec ce principe de réévaluation systématique et périodique des substances actives par l’Europe, en instaurant des autorisations de mise sur le marché valables sans limite de durée. Des renouvellements et des réévaluations ciblées pourront toujours être effectués après autorisation, mais «uniquement lorsqu’il existe des raisons scientifiques de le faire», détaille la Commission européenne.

L’argument avancé est avant tout administratif : l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) serait aujourd’hui submergée par le volume de dossiers à traiter, ce qui provoquerait engorgements et retards. Selon la Commission européenne, cette situation entraînerait une baisse du «nombre de substances actives chimiques autorisées dans les produits phytopharmaceutiques dans l’UE», laissant «très peu d’options aux agriculteurs pour protéger leurs cultures contre les ravageurs».

Il est aussi économique. Selon les estimations de la Commission, les économies cumulées pour les entreprises résultant des mesures proposées dans le paquet de simplification devraient s’élever à 428 millions d’euros par an. Les administrations nationales devraient «économiser 661 millions d’euros par an grâce à des procédures plus rationalisées et plus efficaces», conclut-elle.

«Un grand risque que les avancées de la science soient ignorées»

Les substances les plus dangereuses – celles classées comme «candidates à la substitution» – resteraient soumises à un réexamen périodique. Tout comme celles qui présentent «des incertitudes pertinentes». Pas de quoi rassurer les associations. «Les termes utilisés sont flous», souligne Pauline Cervan, toxicologue et membre de l’ONG anti-pesticides Générations Futures. «De manière générale, il demeure une incertitude totale sur les substances qui seront soumises ou non à un renouvellement systématique», abonde Salomé Roynel, du collectif PAN Europe.

Selon les associations, qui ont scruté en détail le nouveau projet d’Omnibus, le néonicotinoïde acétamipride (notre article) devrait ainsi toujours bénéficier d’une autorisation limitée, des «incertitudes» sur ses effets ayant déjà été identifiées. Mais plusieurs substances actives préoccupantes pourraient bénéficier d’une autorisation illimitée, selon Générations Futures, parmi lesquelles le glyphosate, ou encore la majorité des pesticides dits PFAS (qui contiennent des «polluants éternels» persistants dans l’environnement et le corps humain). «Sans révision systématique et périodique des substances, il y a un grand risque que les avancées de la science indépendante relatives à la toxicité des pesticides soient tout simplement ignorées», alertaient les 113 associations signataires de la tribune, il y a quelques jours.

Ce risque est loin d’être théorique. Ces dernières années, de nombreux pesticides dangereux ont été interdits précisément à l’issue de ces réexamens. Générations Futures en recense 23 depuis 2011, dont l’insecticide neurotoxique chlorpyrifos ou le fongicide mancozèbe, reconnu toxique pour la reproduction et perturbateur endocrinien. «Cela démontre toute l’utilité du processus de réexamen !», insiste auprès de Vert François Veillerette, président de l’association.

Nadine Lauverjat, porte-parole de Générations Futures, conclut : «Cette disposition est très préoccupante. C’est un recul inacceptable.» Si elle reconnaît que «les agences européennes manquent aujourd’hui de moyens», la solution ne réside pas, selon elle, dans l’affaiblissement des règles existantes. «Il suffirait que les moyens de l’EFSA soient augmentés pour résoudre le problème !»

Une réforme «demandée par personne»

Un garde-fou a tout de même été ajouté, par rapport au texte initial : les États membres seront tenus de réévaluer tous les quinze ans les produits commerciaux contenant des substances actives autorisées sans limite de temps. Cela «constitue une amélioration par rapport à la première version», note l’association Générations Futures. Problème : «Les États membres devront prendre en compte les données sur les substances disponibles au moment de leur dernière évaluation au niveau communautaire» – cela pourra remonter à plusieurs années si l’évaluation du produit arrive après l’évaluation de la substance active du médicament.

La réforme apparaît d’autant plus incompréhensible qu’elle «n’était demandée par personne : ni par le PPE, ni par les syndicats agricoles», soulignait en amont de la présentation du texte Pascal Canfin, eurodéputé Renew et président de la commission environnement du Parlement européen. «Elle n’a fait l’objet d’aucune demande publique», expliquait-il à Vert. Son groupe politique s’opposera au texte lors de son examen parlementaire. Car, «si la version présentée aujourd’hui est moins dangereuse que celle imaginée par le commissaire Várhelyi, notamment grâce à l’intervention d’autres commissaires européens, le principe d’une autorisation illimitée de certains pesticides demeure», ajoutait-il.

En outre, le projet introduit de nouvelles mesures de souplesse en faveur des agriculteur·ices. Il prévoit notamment d’allonger dans certains cas jusqu’à trois ans les «délais de grâce» accordés après une éventuelle interdiction de produits jugés dangereux, alors qu’elles sont aujourd’hui limitées à une durée deux fois inférieure. L’omnibus prévoit également un allègement du processus d’homologation des produits dit de «biocontrôle» (ces alternatives aux pesticides reposent sur une méthode naturelle et sont considérés comme nettement moins agressifs pour les écosystèmes que les pesticides chimiques). Enfin, la Commission envisage de réautoriser, sous certaines conditions, la pulvérisation aérienne de pesticides, interdite dans l’Union européenne depuis 2009. Elle prévoit pour cela de solliciter l’avis de l’EFSA sur l’utilisation possible de drones, à condition que ces technologies ne présentent pas de risques pour la santé humaine ni pour l’environnement.

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