Le vert du faux

Que peut-on faire pour arrêter le glyphosate ?

Glypho s’y coller. La Commission européenne propose aux États membres de renouveler l’autorisation de mise sur le marché du glyphosate pour une durée de dix ans. Comment expliquer qu’un herbicide aussi controversé puisse continuer à être commercialisé en Europe ? Et que peut-on y faire ? Éléments de réponse.
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Sub­stance incon­tourn­able de la pro­duc­tion agri­cole depuis sa mise sur le marché en 1974, cet her­bi­cide s’est imposé presque partout sur la planète. Le glyphosate entre dans la com­po­si­tion du désherbant RoundUp, qui a valu à l’entreprise améri­caine Mon­san­to (désor­mais pro­priété de Bay­er) sa prospérité.

Quand, en 2015, le Cen­tre inter­na­tion­al de recherche sur le can­cer (CIRC) classe le pro­duit comme «can­cérogène prob­a­ble» pour l’être humain, le bel édi­fice agrochim­ique sem­ble vac­iller. Deux ans plus tard, la paru­tion des Mon­san­to Papers dévoile un sys­tème de «manip­u­la­tion de don­nées sci­en­tifiques, dis­sim­u­la­tion d’informations aux autorités, rémunéra­tion de spé­cial­istes pour rédi­ger des tri­bunes et études sci­en­tifiques favor­ables (ghost­writ­ing), opéra­tion de pro­pa­gande, men­aces et intim­i­da­tion de sci­en­tifiques et d’organisations publiques chargées d’étudier le can­cer», détaille le quo­ti­di­en le Monde, dont les jour­nal­istes Stéphane Fou­cart et Stéphane Horel ont été récompensé·es pour leur tra­vail d’enquête dans ce dossier explosif. De telles méth­odes font écho à celles des cig­a­ret­tiers et des pétroliers, dans cette capac­ité à instiller le doute pour ali­menter l’immobilisme.

Année de paru­tion des Mon­san­to Papers, 2017 cor­re­spond à une péri­ode de rého­molo­ga­tion du glyphosate au sein de l’Union européenne (UE). Comme chaque pro­duit phy­tophar­ma­ceu­tique, sa ou ses sub­stances actives doivent avoir été approu­vées au niveau européen. Mal­gré la polémique et les révéla­tions, le glyphosate est à nou­veau autorisé sur le Vieux Con­ti­nent pour une durée de 5 ans. Fin 2022, cette durée est pro­longée d’un an en rai­son de retards dans l’évaluation des risques, étape oblig­ée de tout proces­sus d’homologation.

Dif­fi­cile de com­pren­dre la propo­si­tion de la Com­mis­sion européenne en ce mois de sep­tem­bre 2023 de pro­longer l’autorisation du glyphosate pour une durée de 10 ans à par­tir de mi-décem­bre. Quels leviers pour­raient être mobil­isés pour invers­er la sit­u­a­tion et pass­er à autre chose ?

Réformer le système d’évaluation des agences de santé dans l’UE

Le glyphosate est-il, oui ou non, dan­gereux pour la san­té humaine et les écosys­tèmes ? Les pro­fondes diver­gences entre les répons­es apportées par les agences européennes – l’Autorité européenne de sécu­rité des ali­ments (EFSA), l’Agence européenne des pro­duits chim­iques (ECHA) – et celles que l’on trou­ve dans les études sci­en­tifiques, sèment la con­fu­sion et la défi­ance au sein des opin­ions publiques.

Six ans après la clas­si­fi­ca­tion de «can­cérogène prob­a­ble» par le Circ, l’Institut nation­al de la san­té et de la recherche médi­cale (Inserm) a pub­lié, en 2021, la mise à jour de son exper­tise col­lec­tive en matière de «pes­ti­cides et san­té». Celle-ci met en lumière cer­tains effets du glyphosate, notam­ment comme per­tur­ba­teur endocrinien. Mal­gré cela, la dernière éval­u­a­tion pub­liée à l’été 2023 par les instances europénnes en vue de la rého­molo­ga­tion affirme n’identifier «aucun élé­ment de préoc­cu­pa­tion cri­tique».

Com­ment expli­quer de telles diver­gences ? «Dans le cas du glyphosate, comme pour tous les autres pes­ti­cides, il faudrait rap­procher la sci­ence règle­men­taire de la sci­ence académique», plaide François Veillerette, porte-parole de l’association Généra­tions futures. «La grande majorité des études sci­en­tifiques sur les effets du glyphosate ne sont tout sim­ple­ment pas pris­es en compte dans les éval­u­a­tions d’homologation, notam­ment parce qu’elles ne suiv­ent pas les pra­tiques de lab­o­ra­toire jugées comme “fiables” au sein de l’UE. Ces pra­tiques con­cer­nent prin­ci­pale­ment l’enregistrement de don­nées», procé­dure trop coû­teuse pour les sci­en­tifiques et qui n’affecte en rien la qual­ité des pub­li­ca­tions. Les États mem­bres pour­raient exiger une telle réforme.

Réduire l’utilisation des pesticides

En finir avec le glyphosate, c’est com­pliqué… Alors pourquoi ne pas vis­er, comme étape inter­mé­di­aire, une réduc­tion dras­tique de l’usage des pes­ti­cides ? C’est le but affiché par les plans Eco­phy­to suc­ces­sifs mis en place en France à par­tir des années 2000.

«Avec la grande étude con­duite par l’In­sti­tut nation­al de recherche pour l’a­gri­cul­ture, l’al­i­men­ta­tion et l’en­vi­ron­nement (Inrae) en 2005, il y a eu une prise de con­science de la dif­fi­culté d’évaluer les risques liés aux pes­ti­cides, décrypte Alex­is Aulagnier, chercheur à Sci­ences Po qui a con­sacré sa thèse à la baisse de leur con­som­ma­tion. Face à ces incer­ti­tudes, la voie de la réduc­tion a émergé. Jusqu’alors, on s’occupait de définir des con­di­tions d’usage sans risque pour ces pro­duits. Cette prise de con­science explique en par­tie l’objectif très ambitieux des plans Eco­phy­to».

Sur le ter­rain, les résul­tats ne sont aujour­d’hui pas au ren­dez-vous : l’objectif du pre­mier plan Eco­phy­to (2009), qui visait à divis­er par deux l’utilisation de ces pro­duits en dix ans, a été repoussé à 2025 avec le plan Eco­phy­to II. Une nou­velle mou­ture est atten­due dans les prochains mois.

Mettre en balance les économies réalisées avec les coûts sanitaires et environnementaux du glyphosate

«Le glyphosate, c’est un peu comme la voiture. On con­nait tous ses effets délétères et on sait qu’il faudrait faire autrement, mais on n’y arrive pas, tant les choses se sont au fil du temps organ­isées autour», souligne Xavier Reboud, spé­cial­iste de l’agroécologie à l’In­sti­tut nation­al de recherche pour l’a­gri­cul­ture, l’al­i­men­ta­tion et l’en­vi­ron­nement (Inrae).

Le glyphosate est l’allié incon­tourn­able de la pro­duc­tion agri­cole inten­sive qui domine dans le monde. Peu cher, effi­cace… pourquoi faire sans ? «Chang­er les pra­tiques néces­site de ren­dre vis­i­ble le coût envi­ron­nemen­tal et san­i­taire de ce pro­duit», avance Xavier Reboud. En rap­pelant, par exem­ple, que le déclin des pollinisa­teurs va finir par peser lourd. Com­ment fera-t-on le jour où il n’y aura plus assez de ruch­es à louer pour assur­er la pollini­sa­tion des cul­tures ? Nom­bre d’études sci­en­tifiques n’ont cessé de tir­er la son­nette d’alarme con­cer­nant les effets dra­ma­tiques des pes­ti­cides sur la bio­di­ver­sité, plus par­ti­c­ulière­ment les insectes et les oiseaux. Il faut aus­si sans cesse informer sur l’augmentation du nom­bre de dossiers d’aide aux vic­times des pes­ti­cides.

Explorer les alternatives

En France comme en Europe, des mil­liers d’agriculteur·rices bio se passent quo­ti­di­en­nement du glyphosate. Des alter­na­tives exis­tent donc, y com­pris pour les grandes exploita­tions, et «se classent en trois grandes caté­gories», pré­cise Xavier Reboud. «Celle qui vise à détru­ire les plantes indésir­ables à tra­vers le désherbage mécanique. Celle qui con­siste à met­tre un obsta­cle physique, comme le pail­lage ou les films biodégrad­ables, que la plan­tule ne sait pas tra­vers­er. Celle, enfin, qui con­siste à occu­per la place des “mau­vais­es herbes” pour qu’elles ne puis­sent pas s’installer, comme ces prairies tem­po­raires dans les zones d’élevage ou l’entre-rang enher­bé dans les vignes et les verg­ers».

Faire pression sur le gouvernement français pour qu’il ne vote pas en faveur de la ré-homologation ou, a minima, s’abstienne

Des États mem­bres se sont déjà posi­tion­nés con­tre le renou­velle­ment de l’autorisation du glyphosate, à l’image de l’Allemagne et de l’Autriche. En France, le min­istère de l’Agriculture s’est d’abord dit «non sat­is­fait» de la propo­si­tion de la Com­mis­sion avant d’afficher une posi­tion mi-figue mi-raisin : «Sup­primer totale­ment le glyphosate n’est pas pos­si­ble partout à l’heure actuelle», déclarait Marc Fes­neau le 21 sep­tem­bre. Il suf­fi­rait que la France, compte tenu de son poids démo­graphique et agri­cole, s’abstienne lors du vote du 13 octo­bre prochain pour com­pro­met­tre le pro­longe­ment du glyphosate au sein de l’UE.

En 2017, le prési­dent français fraîche­ment élu avait promis d’interdire le glyphosate sous trois ans, mal­gré la réau­tori­sa­tion de l’UE. Avant de faire machine arrière en 2019. En cette fin sep­tem­bre, il reste deux semaines aux citoyen·nes français·es pour rap­pel­er Emmanuel Macron à sa promesse.

Cet arti­cle est issu de notre rubrique Le vert du faux. Idées reçues, ques­tions d’actualité, ordres de grandeur, véri­fi­ca­tion de chiffres : chaque jeu­di, nous répon­drons à une ques­tion choisie par les lecteur·rices de Vert. Si vous souhaitez vot­er pour la ques­tion de la semaine ou sug­gér­er vos pro­pres idées, vous pou­vez vous abon­ner à la newslet­ter juste ici.