Comment expliquez-vous la montée des tensions entre automobilistes et cyclistes ? Est-ce un problème d’aménagement cyclable ?
La question de l’aménagement est secondaire. Je pense que le principal responsable de cette situation conflictuelle, c’est l’industrie automobile. Elle a créé un imaginaire de liberté autour de la voiture. Un «rêve auto», matraqué à grand renfort de publicités. Et cette vision fantasmée est mise à mal par le développement de la pratique du vélo, en ville surtout. Les cyclistes sont vus comme ceux qui contraignent cet idéal de liberté. Et c’est ça qui entraîne de la haine, parce qu’il faut bien qualifier ça de haine.
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Il faut renverser le discours des constructeurs. Certes, la voiture est une formidable machine, une belle invention, mais pas pour tous les usages. Elle prend beaucoup de place, elle ne permet pas une activité physique, elle cause des accidents et elle pollue. Elle coûte à la société.
Pourquoi est-ce qu’on voit plein de SUV [Sport utility vehicles, ou «véhicules utilitaires sportifs», en français, NDLR] dans les villes aujourd’hui ? Parce que l’industrie automobile a compris qu’elle allait gagner plus d’argent en les vendant. Elle a tout fait pour qu’on ait l’impression qu’on en a besoin. En réalité, ça n’est pas plus pratique que les gros véhicules d’avant, type mini-vans ou monospaces.
Pourquoi le partage de la route semble si compliqué ?
Certains conflits s’expliquent par des problèmes d’aménagement cyclable. Quand une piste pour vélo est mal pensée, le cycliste ne s’y sent pas en sécurité et préfère rouler sur le trottoir ou sur la route. Évidemment, ça irrite les automobilistes de voir une piste cyclable vide et un cycliste qui circule juste devant eux.
«On a donné l’image du cycliste anarchiste, qui fait n’importe quoi»
Ce qui peut expliquer les conflits, aussi, c’est qu’on a changé le code de la route, sans s’en donner les moyens en termes de communication. On n’a pas expliqué les nouvelles règles, on n’en a pas donné la raison. Les rues qui sont à double sens seulement pour les vélos, par exemple, sont là pour éviter aux cyclistes des détours inutiles. Ils n’ont pas à subir la contrainte liée aux rues à sens unique. Ces voies-là existent uniquement parce que les voitures prennent beaucoup de place.
Mais comme on n’a pas expliqué le pourquoi du comment, ça a donné l’image du cycliste anarchiste, qui fait n’importe quoi. Même chose pour le petit panneau M12 [en forme de triangle inversé, situé sous les feux tricolores, NDLR], qui permet aux cyclistes, dans certaines situations, de passer au feu rouge.
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Les feux de signalisation sont un outil d’optimisation des flux motorisés : s’il n’y avait pas de voitures, il n’y aurait pas de feux. Piétons et cyclistes subissent le fait que l’on a tout conditionné à la circulation motorisée.
Depuis quelques jours, des internautes brandissent le terme de «violences motorisées»…
Ce que subissent les cyclistes tous les jours, ce sont des violences volontaires, ordinaires, banalisées et qui ne font réagir personne. Il y a quelques années, le chanteur Michel Sardou a dit dans une émission télé [20h30 le dimanche, sur France 2, le 13 novembre 2022, NDLR] : «les vélos […], ils grillent tous les feux rouges, le prochain, je me le fais». Sans aucune réaction en plateau. Il y a quelque chose de systémique avec la violence motorisée. C’est tout un système médiatico-communicationnel qui est violent envers les non-motorisés.
«Quand un automobiliste respecte les limites de vitesse et laisse passer les piétons, il risque de se faire agresser verbalement»
Ce qui se passe, depuis une semaine, avec cette sorte de Metoo cycliste sur les réseaux sociaux, c’est que tout le monde dit «stop» à ces violences motorisées. Et, en réalité, tous les usagers de la route subissent des violences. Quand un automobiliste respecte les limites de vitesse et laisse passer les piétons, il risque de se faire agresser verbalement. La différence, c’est que le moindre geste d’humeur de quelqu’un derrière un volant, en direction d’un cycliste ou d’un piéton, peut mener à des blessures graves.
Qu’est-ce qui pourrait être amélioré pour limiter les conflits entre usagers de la route ?
Il y a plus d’un million de kilomètres de routes en France. On ne va pas pouvoir construire un million de kilomètres de pistes cyclables : ce n’est ni faisable, ni souhaitable d’un point de vue environnemental. Par contre, on peut identifier 10 à 15% de la voirie où il y a vraiment besoin d’une piste. Et, dans ce cas, l’important est d’avoir des réseaux cyclables, des voies interconnectées. Une piste toute seule, qui va de nulle part à nulle part, ça ne sert à rien. À part à énerver les automobilistes parce que ça va prendre de la place et qu’il n’y aura personne dessus…
Pour le reste, il y a deux facteurs sur lesquels peut jouer simultanément : réduire le trafic motorisé et abaisser la vitesse. Si l’on ne joue que sur l’un des deux, ça ne sert à rien. Si vous baissez le nombre de véhicules uniquement, ceux qui restent vont rouler très vite. Si vous baissez la vitesse seulement, il restera beaucoup de véhicules, et ce sera oppressant.
«La pratique du vélo doit se développer avec de nouveaux cyclistes : les femmes, les jeunes qui ne font pas assez de sport, les retraités, les personnes défavorisées»
Une autre solution, c’est de limiter le transit. En ville ou à la campagne, on a énormément de petites routes et de petites rues. Des applications comme comme Waze ou Google Maps font passer les voitures par des toutes petites voies, pour gagner un peu de temps. Si l’on arrête ça, qu’on réserve ces voies aux piétons, aux cyclistes, aux riverains ou aux taxis, alors on pourra se déplacer à vélo partout en France. C’est la façon la plus rapide et la moins chère de faire avancer les choses.
Surtout, la pratique du vélo doit se développer avec de nouveaux cyclistes, ceux ont le plus besoin de ce mode de transport : les femmes, les jeunes qui ne font pas assez de sport, les retraités, les personnes défavorisées. Si le développement du vélo sert uniquement à celles et ceux qui ont déjà accès au métro et aux jeunes qui aiment bien avoir un peu d’adrénaline… alors, on fait fausse route.
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