Grosso auto. La 90ème édition du Mondial de l’auto ouvre ses portes au public ce mardi à Paris, l’occasion pour les constructeurs de célébrer leurs nouveaux modèles, souvent volumineux et vendus à grands renforts de publicités. Mais d’autres voix se font timidement entendre, en faveur de voitures électriques plus petites, légères et faites en France. Reportage.
Il pèse plus de trois tonnes, mesure six mètres de long et passe de zéro à 100 kilomètres/heure en 2,7 secondes. Le Cybertruck – électrique – de Tesla, présenté comme «durable» sur le site du constructeur, ne laisse personne indifférent dans les allées du Mondial de l’auto, au parc des expositions de la porte de Versailles à Paris (15ème), qui ouvre ses portes au public ce mardi matin.
Ce pick-up XXL de la firme d’Elon Musk ne fait (presque) pas tache, garé à deux pas du «U8» de la marque Yangwang, autre mastodonte électrique de 5,3 mètres de long, 3,4 tonnes et 1 200 chevaux. Le thermique ne semble plus en odeur de sainteté à la grand-messe de l’automobile. Pour autant, la question écologique n’est pas, ou peu, évoquée sur les stands.
Twingo, R4, R5… le retour des petites voitures chez Renault ?
Slogan de cette édition 2024 : «Time to celebrate» («c’est l’heure de faire la fête»). Mais que célèbre-t-on au juste ? Peut-être le chiffre d’affaires et les bénéfices des principaux groupes automobiles mondiaux, qui ont atteint «de nouveaux niveaux records» en 2023, rappelle une analyse du cabinet d’audit financier EY. Une réussite portée notamment par l’essor des SUV, ces «véhicules utilitaires sportifs» qui pullulent en France comme ailleurs. Entre 2008 et 2023, la part de ventes de ces voitures plus lourdes et plus polluantes a été multipliée par dix en France, passant de 5 % à 49 % des ventes de véhicules neufs, selon un récent rapport du World Wildlife Fund (WWF) en partenariat avec l’UFC Que Choisir.
«On travaille à l’allègement de nos modèles, assure pourtant Jérôme Micheron, directeur du produit chez Peugeot. Mais les clients veulent des SUV, on répond à une demande», semble-t-il déplorer, adossé à un E-3008, l’un des plus gros modèles du groupe, équipé d’un moteur électrique. Rappelons qu’à poids égal, les voitures électriques sont bien moins émettrices de gaz à effet de serre que leur équivalent thermique (notre article). Mais un SUV électrique «a un bilan carbone deux fois supérieur» à celui d’une petite voiture électrique, précise le chercheur spécialisé sur la transition énergétique des transports Aurélien Bigo, en se basant sur une étude parue en 2021.
Un peu plus loin, dans une ambiance électro-chic, Renault présente en grande pompe ses nouveaux modèles – tous électriques là encore. Twingo, R4, R5, ces petites voitures du siècle dernier ont été remises au goût du jour. Une bonne nouvelle a priori, les voitures électriques légères émettent moins de CO2 (au moment de leur fabrication), et nécessitent moins de matériaux que les plus volumineuses.
Mais à y regarder de plus près, la Renault 4 E-Tech, présentée comme une citadine, est bien plus haute et large que son ancêtre, la fameuse 4L. Et plus lourde : plus de 1 400 kilogrammes contre moins de 600 kg pour la voiture mythique du siècle dernier. «Il y a une demande des clients pour les SUV», plaide également Laure Grégoire, cheffe de produit pour la marque au losange.
«Nous croyons à la micro-voiture»
Cet attrait des consommateurs pour des véhicules massifs n’est pas le fruit du hasard, estime l’association Résistance à l’agression publicitaire, dans un rapport publié ce mardi. «Le secteur automobile dépense environ 2,5 milliards par an en publicité dans les médias. Une pression sur les imaginaires qui perpétue des stéréotypes et une démesure automobile incompatibles avec la transition écologique», dénonce l’association. BMW en donne l’illustration en plein milieu du salon. L’un de ses SUV est présenté devant la photo envoutante d’un vaste espace montagneux, conjuguant idéal de liberté et grosse voiture.
Alors «faut-il encore écouter les constructeurs ?», s’interrogeaient le Réseau action climat, Transport & environment France et les syndicats CFDT et CGT de la métallurgie, le 9 octobre lors d’une conférence de presse commune. «Les personnes éloignées des transports publics veulent des voitures plus petites et surtout moins chères. Elles sont coincées dans le “système voiture”», analyse Thomas Uthayakumar, directeur du plaidoyer pour la Fondation pour la Nature et l’Homme. Les automobilistes sont également pris au piège de «la stratégie des constructeurs de fabriquer des voitures premium plus chères, plus massives et plus rentables», tance Jérôme Frignet, directeur des programmes de Greenpeace France. D’une même voix, ils appellent les constructeurs à produire, en France, «des petites voitures électriques à des prix accessibles». L’un des seuls moyens, selon eux, de lutter à la fois contre la précarité liée à la mobilité, les délocalisations et le réchauffement climatique.
Tout au fond du pavillon 5, un constructeur partage en partie cette vision. «Nous croyons à la micro-voiture. Une voiture de 500 kilos, avec deux places et un coffre, adaptée aux usages réels des gens et qui cohabite mieux avec les autres usagers de la route, vante Rémy Dumont, directeur pour la France de la marque suisse de minivoitures Microlino. Et, dans une vision idéale, on veut moins de voitures individuelles dans les rues». Mais à plus de 17 000 euros la micro-voiture, difficile d’imaginer à court terme une adoption en masse de ce type de véhicule. En attendant, la fête continue.
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