Le vert du faux

La voiture électrique est-elle vraiment écologique ?

À quelques jours du nouveau Mondial de l’auto, la voiture électrique apparaît comme la solution miracle pour alléger le lourd impact écologique des transports. Métaux rares, pollution de l’air et effets rebonds… cette technologie n’est pourtant pas toute verte sous le capot.
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« Les véhicules élec­triques ali­men­tés par de l’élec­tric­ité à faibles émis­sions offrent le plus grand poten­tiel de décar­bon­i­sa­tion pour le trans­port ter­restre, sur la base du cycle de vie. » À pre­mière vue, le Groupe d’ex­perts inter­gou­verne­men­tal sur l’évo­lu­tion du cli­mat (Giec) paraît embal­lé par l’électrification du parc auto­mo­bile, dans l’ultime opus de son dernier rap­port, con­sacré aux « solu­tions » con­tre le change­ment cli­ma­tique (Vert). Un bon remède à con­di­tion de respecter plusieurs con­di­tions, encore inat­teignables dans la plu­part des cas aujourd’hui, rap­pel­lent les expert·es du cli­mat.

© Inter­na­tion­al Coun­cil on Clean Trans­porta­tion (ICCT)

« Sur l’ensem­ble de sa durée de vie, une voiture élec­trique roulant en France a un impact car­bone 2 à 3 fois inférieur à la voiture ther­mique », a cal­culé l’Agence de la tran­si­tion écologique (Ademe) son dernier avis sur la ques­tion, paru ce mer­cre­di. L’établissement pub­lic s’empresse toute­fois de rap­pel­er que ce chiffre n’est val­able qu’en France, où l’énergie est moins car­bonée que dans d’autres pays — ailleurs, l’électricité est sou­vent pro­duite à par­tir de gaz ou de char­bon. Et ce, à con­di­tion que sa bat­terie soit de capac­ité « raisonnable » (au-delà de 60 kilo­wattheure (kWh) l’intérêt envi­ron­nemen­tal n’étant pas garan­ti) et que l’on prenne comme référence l’ensemble de la durée de vie du véhicule. Le dernier fer­mera la por­tière.

Une « dette carbone » à éponger

« Avant même d’avoir roulé un seul kilo­mètre, le véhicule élec­trique a des émis­sions près de deux fois supérieures à celles d’un véhicule ther­mique » ; autrement dit, il démarre avec une « dette car­bone », explique David Mar­chal, directeur exé­cu­tif adjoint des pro­grammes de l’Ademe.

© Agence inter­na­tionale de l’én­ergie (AIE)

Comp­tant pour moitié dans les besoins énergé­tiques néces­saires à leur fab­ri­ca­tion, les bat­ter­ies des véhicules élec­triques con­cen­trent la majorité des impacts négat­ifs sur l’environnement. Cobalt, lithi­um, cuiv­re… on trou­ve un peu de tout dans ces lour­des bat­ter­ies, qui comptent plus de 200 kilo­grammes de minéraux en moyenne, selon l’Agence inter­na­tionale de l’énergie (AIE). C’est six fois plus que pour un véhicule ter­mique. Une part impor­tante de ces minéraux est extraite en Russie ou en République démoc­ra­tique du Con­go, où la pro­tec­tion de l’environnement et des droits humains sont dif­fi­ciles à garan­tir. Pour la pre­mière fois de l’His­toire, une com­pag­nie a com­mencé à explor­er les fonds marins pour en piller les pré­cieuses ressources.

Le poids et la composition des batteries en question

Intox­i­ca­tion des réserves d’eau douce, arti­fi­cial­i­sa­tion et perte de bio­di­ver­sité, tox­i­c­ité pour les humains, pol­lu­tion radioac­tive, occu­pa­tion des ter­res agri­coles… L’extraction et la trans­for­ma­tion des matières pre­mières sont bien plus pol­lu­antes que pour la voiture fos­sile. Il y aurait assez de matières disponibles pour rem­plac­er les voiture ther­miques d’après les dernières pro­jec­tions de l’as­so­ci­a­tion Trans­port & Evi­ron­ment. Si le groupe éval­u­ait en mai dernier qu’il y aurait assez de min­erais pour pro­duire 14 mil­lions de voitures élec­triques dans le monde en 2023, soit près de 50 % de plus que les esti­ma­tions du marché, l’Eu­rope aurait pour­tant des dif­fi­cultés à accéder à ces ressources.

D’autant plus que le recy­clage des bat­ter­ies reste aujourd’hui lim­ité. Si le gou­verne­ment français se réjouit que « 80 % des com­posants des bat­ter­ies lithi­um sont déjà recy­clables », la part actuelle des bat­ter­ies réelle­ment recy­clées dans le monde avoi­sine dif­fi­cile­ment les 5%, alors même que presque toutes les bat­ter­ies au plomb des véhicules à moteur à com­bus­tion interne sont recy­clées.

Une fois sur les routes, c’est encore la bat­terie qui déter­mine si la voiture élec­trique va pou­voir rem­bours­er la dette car­bone accu­mulée pen­dant sa fab­ri­ca­tion. « C’est assez vite rem­boursé quand on par­le d’une cita­dine, alors que dans le cas d’un gros véhicule pro­duit pour mimer les véhicules ther­miques, il fau­dra beau­coup de kilo­mètres de roulage, ou cela pour­ra même être impos­si­ble », indique David Mar­chal.

© Alban Leduc / Vert

Pollution de l’air et nuisances sonores toujours au menu

La voiture élec­trique échoue pour l’instant à sup­primer les pol­lu­tions de l’air et sonores liées à l’automobile. À force de pro­grès sur la réduc­tion des par­tic­ules fines à l’échappement, la majorité de la pol­lu­tion de l’air provo­quée par les voitures provient désor­mais de l’usure des freins, du frot­te­ment des pneus sur la chaussée et de la remise en sus­pen­sion de par­tic­ules fines déjà présentes sur les routes. Grâce à une meilleure tech­nolo­gie, les véhicules élec­triques per­me­t­tent de réduire les émis­sions de par­tic­ules issues du freinage, mais aug­mentent les émis­sions issues des fric­tions pneus/chaussée de près de 14% et celles remis­es en sus­pen­sion de 8% (en ce qui con­cerne les PM10, par­tic­ules dont le diamètre est inférieur à 10 micromètres).

De même, une grande par­tie de la pol­lu­tion sonore d’une voiture provient du frot­te­ment des pneus sur la chaussée et non du moteur ther­mique. Au-delà de 40km/h, la réduc­tion de bruit émis par les voitures élec­triques n’excède pas 1.5 déci­bel (dB).

Émis­sion de par­tic­ules des véhicules routiers. © Ademe

Un prétexte pour ne pas changer nos mauvaises habitudes

« On savait qu’on allait devoir se pass­er des éner­gies fos­siles, et on a essayé de faire croire aux gens qu’on allait résoudre le prob­lème avec des métaux. C’est faux ! », enrage Aurore Stéphant, ingénieure en géolo­gie minière et mem­bre de l’association Sys­tExt. Les pre­mières obser­va­tions effec­tuées en Suède et Norvège, en avance sur ce marché, mon­trent effec­tive­ment que le développe­ment de l’électrique ne remet pas en cause nos habi­tudes de mobil­ité mais provo­quent plutôt un effet rebond. Les voitures élec­triques y sont d’abord achetées comme véhicule sup­plé­men­taire, et non en rem­place­ment d’une auto­mo­bile ther­mique. En Norvège, 10 à 20% des déplace­ments réal­isés à bord d’une voiture élec­trique rem­pla­cent même des tra­jets effec­tués au préal­able en trans­port publics ou non motorisés.

Parmi les solutions : réduire le nombre et la taille des voitures

« La voiture élec­trique ne change (qua­si­ment) rien sur la con­som­ma­tion d’espace, l’inactivité physique et ses impacts san­té et l’accidentologie », rap­pelle Aurélien Bigo, chercheur sur la tran­si­tion énergé­tique des trans­ports et auteur d’une thèse sur le sujet. « Une tran­si­tion focal­isée sur la tech­nolo­gie, très intense en énergie, est à l’opposé de ce qu’il faut faire en ter­mes de sobriété », explique-t-il à Vert. Il plaide en faveur de véhicules inter­mé­di­aires, plus effi­caces sur les petites dis­tances, comme les vélo-voitures, voiturettes ou autres engins hybrides à pédales.

Les modes de trans­port inter­mé­di­aires, autant d’alternatives à la voiture. © Frédéric Héran

« Il con­vient de choisir un mod­èle de véhicule le plus petit et léger pos­si­ble, adap­té aux tra­jets domi­cile-tra­vail », approu­ve l’Ademe dans son dernier avis sur la voiture élec­trique. Si l’on assiste aujourd’hui à un revire­ment du marché de l’électrique vers des mod­èles moins haut de gamme, il reste du chemin à par­courir pour con­va­in­cre les nou­veaux util­isa­teurs (en majorité aisés en rai­son d’un coût d’investissement élevé) d’acheter des voitures de taille réduite. Mais avant tout, prévient l’Ademe, il nous fau­dra « réin­ter­roger la place de l’au­to­mo­bile dans nos déplace­ments ».

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