«C’est la première fois que je signe un foulard de scout !» Valérie Masson-Delmotte était comme un poisson dans l’eau, le week-end dernier, sous le soleil de Jambville, dans les Yvelines. Venue en train et à vélo depuis l’Essonne, la climatologue et ancienne co-présidente du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a fait le déplacement pour un rendez-vous qui fera date.
Au cœur du domaine de Jambville – avec son château, ses multiples dépendances et ses 52 hectares de parc et de forêt -, les Scouts et guides de France ont lancé leurs «assises» de l’adaptation au changement climatique. L’écologie est une question centrale pour ce mouvement catholique d’éducation populaire plus que centenaire. Si son slogan «L’aventure par nature» fleure bon les veillées nocturnes en musique et les campements en pleine forêt, l’engagement de l’association est bien plus large, de l’organisation de camps low-tech à la surveillance de massifs forestiers pour la prévention des incendies.

De quoi faire des scouts et guides des témoins privilégié·es des changements en cours, auxquels elles et ils sont très exposé·es. Et d’amener le mouvement à se questionner sur sa nécessaire adaptation.
Sur la forme, ces assises sont inspirées de la Convention citoyenne pour le climat. Le principe : réunir 100 adhérent·es venu·es de toute la France, tiré·es au sort parmi les presque 100 000 que compte l’organisation, des «farfadets» (6-8 ans) aux adultes, pour inventer le scoutisme de demain, à l’aune du réchauffement climatique.
Deux week-ends d’apprentissage et de réflexion commune qui accoucheront d’une présentation en grande pompe le 30 octobre prochain au Conseil économique social et environnemental (CESE), à Paris. Quatre axes seront explorés : les activités et camps, l’engagement dans la société, la formation des bénévoles et la sensibilisation des jeunes, l’adaptation de la gouvernance et les investissements nécessaires.
Devant l’assemblée des 100 participant·es réuni·es dans l’orangerie, Marie-Hélène Lafage, du groupe Écologie du conseil d’administration des Scouts, pose les enjeux des débats : «À l’été 2022, des camps ont été annulés à cause de la canicule, on note le manque d’eau, les arbres qui fleurissent plus tôt. Quand il se passe des choses graves, les scouts se mobilisent, comme pour la catastrophe dans la vallée de la Roya en 2020. Les changements du climat sont déjà là et on le voit quand on fait du scoutisme, parce qu’on est dans la nature. Qu’est-ce qu’on va en faire ? Sur la question de l’adaptation, nous devons être des éclaireurs.»

Avant de lancer les hostilités, l’assemblée a statué sur les conditions de ce travail participatif. Modalités d’échanges (les jeunes de moins de 14 ans ont la parole en premier, par exemple), mode de délibération (décision par consensus, à la majorité ou par consentement), les contours de cet exercice démocratique ont été actés sous l’œil avisé de Valérie Masson-Delmotte, invitée d’honneur de l’évènement : «J’ai gardé un très bon souvenir de la Convention citoyenne pour le climat. Que des personnes d’horizons différents s’approprient ces éléments et délibèrent, c’est important, je suis très attachée à la démocratie de la science et des décisions. Être mieux capable de comprendre comment se projeter ensemble dans un avenir, comment limiter les risques climatiques pour bien vivre dans un climat futur… je vais observer tout ça avec beaucoup d’intérêt !»

Comprendre l’effet de serre en enfilant un duvet, la fonte de la banquise et des glaciers grâce à des glaçons, ou l’absorption des sols avec une serviette mouillée… Pendant que les plus grands commençaient à plancher sur les risques climatiques, les plus jeunes ont aiguisé leurs connaissances par l’expérience : «Quand le sol est sec et qu’il y a de grosses pluies, ça ne va pas bien absorber, et donc ça va couler et faire des inondations», comprend Octave en regardant l’eau ruisseler sur la table.

Par le jeu et l’échange, farfadets et louveteaux jeannettes (les 8-11 ans) ont également abordé des questions plus lourdes, comme celles des menaces climatiques ou des inégalités sociales face au dérèglement. Avec une célérité qui a bluffé Gurvan, du mouvement d’éducation populaire E-graine, venu animer un atelier : «En intégrant l’apprentissage par le jeu, on voit que les enfants les plus jeunes arrivent à retenir beaucoup de nouveaux éléments. Ils sont acteurs de leur apprentissage.»
Après les premiers débats des plus grands autour des effets du changement climatique sur le mouvement, Éloïse Dubois, 20 ans, est radieuse : «Il fait beau, on est chez les scouts et je suis passionnée d’environnement !» Cette inconditionnelle de Valérie Masson-Delmotte – la dédicace sur le foulard, c’était pour elle – espère que ce bel élan fera émerger des décisions majeures : «Je sais que nous aurons de bonnes idées, c’est la règle numéro un chez les scouts ! Dès que l’on devient adulte dans le mouvement, nous suivons des formations où l’on parle d’écologie. On a aussi adopté la démarche HALP (Habiter autrement la planète), que nous mettons en place dès que nous organisons des choses. Ça consiste par exemple à générer moins de déchets, réduire la consommation de viande ou développer les low-tech.» Le four solaire dans lequel cuit le goûter, un peu plus loin, en est une démonstration.

À l’issue de ce premier rendez-vous, plusieurs pistes sont déjà envisagées : changer les horaires des activités ou la saison à laquelle se déroulent les camps, créer des refuges pour permettre à la biodiversité de s’adapter, faire de la cuisson avec des fours solaires plutôt qu’au feu de bois, contribuer aux actions menées pour répondre aux enjeux des feux de forêt, être présent aux côtés de la société civile en cas de catastrophes… «On a aussi eu quelques idées un peu folles, des farfadets qui nous ont proposé un camp flottant ou dans des grottes pour avoir moins chaud, de faire des faux feux ou de faire du ski sur des chamallows pour éviter de le faire sur la neige. Il y a encore un peu de sensibilisation à faire chez les plus jeunes», sourit Gwenaëlle David, coordinatrice de ces assises.
Mais c’est lors de leur prochain week-end, du 8 au 11 mai au château du Breuil (Saône-et-Loire), qu’il s’agira d’élaborer les axes de transformation dans le détail. Avec une ligne directrice, résumée par Marie-Hélène Lafage : «Que l’on avance toutes et tous ensemble vers cet avenir sobre et joyeux.»
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