Entretien

Marine Tondelier : «Les Écologistes doivent apprendre à davantage donner envie»

Apporter demain. Candidate désignée à l’élection présidentielle et à une éventuelle primaire de la gauche, Marine Tondelier dévoile sa stratégie. À quelques semaines d’un scrutin municipal qui devrait donner le ton pour la présidentielle de 2027, la secrétaire nationale des Écologistes détaille un plan anti-défaite «qui donne envie».
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Les municipales approchent dans un contexte de défiance politique exceptionnel qui profite à l’extrême droite. Après la «vague verte» de 2020, la vague bleu Marine ?

C’est un danger, oui, avec la perspective ensuite que le Sénat vire aussi à l’extrême droite car il est élu notamment par les conseillers locaux. En ce moment, je me dis souvent : «Si un gouvernement voulait livrer le pays aux mains de l’extrême droite, il ne s’y prendrait pas autrement.» C’est simple : tout ce qui faisait du lien, tout ce qui donnait de l’espoir et de l’enthousiasme sur les territoires est en train d’être détruit, à gros coups de coupes budgétaires sur la tête.

Je ne prends qu’un exemple : il y a 800 radios associatives locales dans ce pays. Elles ont un rôle clé dans les territoires parce qu’elles font du lien, relaient les initiatives locales et mettent en avant des gens qui se disent : «On ne parle jamais de nous à la télé.» Eh bien le projet de budget divise par deux le fonds qui les finance et on nous dit qu’une radio associative sur deux va fermer en 2026. C’est dramatique. Tout ça pour des économies qui seront infimes [un amendement des Écologistes a permis le rétablissement des crédits au Sénat le 11 décembre, NDLR].

Marine Tondelier, mardi 10 décembre, à Paris. © Thibault Montamat/Vert

Aujourd’hui, le pays tient car des fonctionnaires, des professionnels de l’économie sociale et solidaire, des associatifs et des parents d’élèves le portent à bout de bras. Ma plus grande crainte, c’est la résignation générale ; c’est le moment où on aurait tous baissé les bras et où le RN gagnerait faute de combattants. C’est pour ça que je veux que cette campagne soit chaleureuse, qu’elle redonne de l’espoir.

Comment imaginer une campagne électorale «chaleureuse» ?

Je veux parler de la solitude, qui est un sujet qui me touche beaucoup et dont on ne parle jamais en politique. Aujourd’hui, un Français sur quatre se sent seul ! C’est terrible et ce n’est pas seulement quelque chose de profondément triste : ça a des conséquences très objectives sur la santé individuelle et collective.

Je veux dire aux gens que la solitude n’est pas une fatalité. C’est au contraire très politique. Ce qui crée la solitude, c’est la manière dont on aménage le territoire – en supprimant les bancs publics, par exemple ; c’est la manière dont on déshumanise les services publics – en remplaçant les guichetiers par des automates ; c’est la manière dont on organise le travail en laissant gagner l’uberisation, le télétravail, etc.

À la fin, ce dont on s’aperçoit, c’est que la solitude crée un rapport blessé à l’autre. Je n’ai pas de statistiques qui le démontrent, mais mon intuition est que ce rapport blessé à l’autre – ce sentiment de ne plus compter – conduit aussi au vote pour l’extrême droite.

L’écologie, c’est aussi ça. Plutôt que de parler des finitudes et de tétaniser les gens avec l’effondrement des espèces ou les limites planétaires, je veux rappeler que l’écologie est aussi la science des interdépendances. Plus un écosystème a d’interdépendances, plus il est riche.

Faire de l’écologie, c’est aussi parler de l’infini des relations et de l’infini des solutions. C’est comme ça qu’on donne envie et je pense que les Écologistes doivent apprendre à davantage donner envie.

Pourtant, il y a aussi un rejet de l’écologie et des écolos en ce moment, non ?

Ce que les gens rejettent, c’est l’écologie macroniste, pas la nôtre. Bien sûr qu’ils rejettent la soi-disant écologie de ceux qui n’ont pas compris que la transition sera juste ou ne sera pas ; de ceux qui culpabilisent comme si le problème c’était Jean-Michel avec son diesel en Picardie.

Ces personnes créent un sentiment d’injustice et de révolte très légitime chez les gens et, en plus, quand ça chauffe trop, ils prennent les Écologistes comme boucs émissaires et disent : «C’est eux qui nous ont dit de faire comme ça.» Je trouve ça déplorable.

Marine Tondelier dans les locaux de Vert, le 10 décembre, à Paris. © Thibault Montamat/Vert

En vérité, il est faux de dire que les Français n’ont plus envie d’écologie. Sur le terrain, on a des retours vraiment chaleureux, très enthousiastes.

Les enquêtes d’opinion le montrent aussi. Odoxa en septembre : 77% des personnes interrogées estiment que leur maire n’en fait pas assez pour lutter contre le dérèglement climatique. Ipsos en octobre : 68% estiment qu’Emmanuel Macron n’est pas allé assez loin en matière d’écologie.

Même quand on sonde les gens sur des dispositions précises telles que la limitation des pesticides, le développement de l’éolien ou les zones à faible émission, les taux d’approbation dépassent les 75%. Ce qui se passe, c’est qu’il y a une invisibilisation de l’écologie par les médias [du milliardaire d’extrême droite Vincent] Bolloré. Ce n’est pas la même chose.

Pourquoi l’écologie ne gagne que dans les grandes villes ?

C’est faux. Aujourd’hui, il y a 100 villes écologistes en France et elles ne sont pas toutes grandes comme Grenoble [Isère] ou Bordeaux [Gironde]. Vous connaissez les grandes villes écolos précisément parce que ce sont des grandes villes. Mais personne ne sait que Naves, en Corrèze, qu’Auray, dans le Morbihan, ou que Montigny-en-Arrouaise, dans l’Aisne, sont des villes écolos.

Vous contestez le fait que le vote écolo soit plus «bobo» ?

Je n’ai pas de statistiques sur nos électeurs. Par contre, on a fait une grande enquête sur nos adhérents et nos sympathisants et, ce que l’on constate, c’est qu’ils sont peut-être un peu plus diplômés mais qu’ils ne sont pas plus riches que la moyenne des Français. Beaucoup exercent des professions de la fonction publique et on a aussi beaucoup de jeunes et d’étudiants. Dommage pour nous ! On aurait eu plus de dons et aujourd’hui on pourrait peut-être racheter des réseaux sociaux pour faire la guerre à Elon Musk !

Pensez-vous que vous parlez suffisamment aux classes populaires, aux ruraux, aux électeurs du RN ?

Ça me semble indispensable de parler à tous les Français, même quand on part de loin et que les gens en veulent parfois à la gauche. Je dis souvent que je porte une écologie des 99% : toute la société – j’exclus ceux qui devront se passer de leurs jets privés et de leurs superyachts – a objectivement intérêt à ce que l’on propose.

Est-ce qu’on oublie les classes populaires ? Pas quand on met en place les premiers mètres cubes d’eau gratuits à la métropole de Lyon ; pas quand on rénove 100% des logements sociaux, comme à L’Île-Saint-Denis [Seine-Saint-Denis] ; pas quand on met en place des aides financières pour aider les 16-25 ans à partir en vacances, comme à Poitiers [dans la Vienne].

Marine Tondelier a répondu, en vidéo, aux questions de Vert. © Thibault Montamat/Vert

Est-ce qu’on oublie les personnes vulnérables ? Pas quand on offre des paniers bios aux femmes enceintes à Strasbourg [Bas-Rhin] ; pas quand on fait les rues aux écoles [où la circulation est fermée, NDLR] à Bordeaux ou que l’on met en place un service d’accompagnement gratuit pour lutter contre l’isolement des seniors à Tours [Indre-et-Loire].

Si les gens veulent de l’écologie, pourquoi est-ce le RN qui monte ?

Dans son livre Les irresponsables [Gallimard, 2025], l’historien Johann Chapoutot montre bien que, dans les années 1930, Hitler n’est pas arrivé au pouvoir parce que le peuple allemand le voulait absolument. Ça a été le résultat d’un travail de sape de la part des élites. Comme en France, elles ont estimé qu’il valait mieux «Hitler que le Front populaire», parce qu’elles avaient moins peur de l’extrême droite que des avancées sociales que le camp progressiste aurait pu mettre en place. J’ai quand même l’impression de vivre un mauvais remake de cette époque. Mais il y a aussi des sursauts collectifs tels que celui qu’on a connu en juin 2024 [lorsque la gauche réunie au sein du Nouveau Front populaire a obtenu le plus grand nombre de sièges aux élections législatives, NDLR].

Je ne veux pas de la gauche «ouin-ouin», qui se plaint toute la journée que l’extrême droite est méchante. Oui, l’extrême droite, c’est horrible, mais on ne va pas les battre juste en disant ça. Tout ce qu’on a à faire, c’est être meilleurs qu’eux. À l’été 2024 nous en avons été capables. Est-ce qu’on est meilleurs en ce moment ? Je ne pense pas et je le regrette.

Être meilleur, c’est s’unir à gauche ?

L’union ne suffit pas à gagner des élections. Par contre, on va être très clairs : sans union, il n’y a pas de second tour à l’élection présidentielle. Pour les municipales aussi, il faut un service public de la gauche, c’est-à-dire que, partout sur le territoire, on regarde quelle est la bonne décision à prendre pour l’intérêt général des électeurs qu’on est censés défendre.

Ça veut dire accepter de se ranger derrière la personne la mieux placée à gauche : à Amiens [Somme] et Saint-Étienne [Loire] ce sont des socialistes, à Nîmes [Gard] c’est un communiste. À Lorient [Morbihan] ou Metz [Moselle], c’est un écologiste et j’attends de nos partenaires qu’ils nous soutiennent. Oui, c’est de la tactique politique, mais s’il faut mettre les mains dans le cambouis pour permettre aux habitants d’avoir ou de garder une ville de gauche, ça ne me fait pas peur, je sais pourquoi je le fais.

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