Le 27 novembre dernier, Vert a reçu Marine Tondelier à l’Académie du climat, à Paris, dans le cadre d’un Apéro du Club – ces grandes soirées qui réunissent les soutiens de notre média. 300 personnes étaient présentes pour cet entretien avec la Secrétaire nationale des Écologistes, qui a fait du combat contre l’extrême droite sa marque de fabrique. Paru en 2017 et réédité en 2024, son ouvrage Nouvelles du front livre le récit de sa vie de conseillère municipale à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) face au Front national.
Loup Espargilière : Marine Tondelier, est-ce que vous avez le sentiment que l’extrême droite française mène aujourd’hui une offensive contre le réel comme presque jamais auparavant ?
Marine Tondelier : Ça paraît assez manifeste. L’extrême droite, c’est un parti caméléon : ils essayent de prendre la couleur locale. C’est le propre du populisme et de la démagogie.
En 2014, quand ils ont pris la ville d’Hénin-Beaumont, François Hollande était au pouvoir et ce territoire – le bassin minier du Pas-de-Calais – avait toujours été socialiste. Il y avait un terreau fertile et une petite place à prendre : du coup, ils se revendiquaient… de Jean Jaurès. Ils disaient : «Jean Jaurès voterait pour nous, nous sommes les héritiers du socialisme». Ça, c’était en 2014, parce que leurs adversaires étaient socialistes.
En 2020, c’était moi la tête de liste. Et le Rassemblement national, c’était devenu Greta Thunberg. Ils assuraient : «L’écologie, vous en parlez : nous, on la fait.» Ces gens changent d’avis en fonction de ce qui les arrange électoralement.
On est aussi passé dans une ère de la post-vérité avec certains médias. Il y a Pascal Praud [journaliste vedette de CNews, NDLR], mais il n’est pas seul. On voit bien à qui appartiennent certaines chaînes et quels sont les intérêts qu’il y a derrière. On rentre dans une ère un peu compliquée, un petit côté winter is coming. Donc merci à tous les médias indépendants, comme Vert.
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Est-ce qu’on peut dire que l’extrême droite a un rapport extrêmement problématique au réel ?
Ce sont des gens qui ont du mal avec l’altérité et pour qui tous les coups sont permis. Au début, ils ont décidé qu’il fallait m’écraser, me faire partir [d’Hénin-Beaumont, NDLR]. Et quand ils ont compris que je n’allais pas m’en aller – parce que c’est chez moi -, ils se sont dit : «Il faut la diffamer». Quand on diffame, il en reste toujours quelque chose.
Alors, tous les mois, il y a une pleine page qui m’est consacrée dans le bulletin municipal. J’imagine le comité de rédaction qui se met autour de la table et se demande : «Qu’est-ce qu’on va pouvoir lui foutre dans la gueule ce mois-ci ?».
Ce qui est déroutant, c’est l’effet performatif ; les trois premières années du mandat [du maire RN, Steeve Briois, NDLR], ils écrivaient à chaque fois dans le bulletin : «Marine Tondelier, stérile et revancharde». Ils ont collé ça dans la tête des gens, cette musique. Et un jour, sur le marché, un mec – plutôt sympa au demeurant – m’interpelle : «C’est pas vrai, c’est vous ? Marine Tondelier ? Comment c’est ? Ah oui : frigide et revancharde !» Vous voyez, le cerveau humain, même s’il ne retient pas la phrase exacte, il se souvient de la petite musique.
«L’humour, la dérision, ça peut avoir plus de force que de crier et de rentrer dans le jeu du Rassemblement national.»
Pour autant, en termes de méthodes, je ne crois pas qu’il faille faire comme l’extrême droite. Si vous faites un combat de boue avec un cochon, même si vous devenez très fort, la différence entre vous et le cochon, c’est que le cochon, lui, il prend du plaisir. C’est à dire que vous ne gagnez jamais vraiment. Vous avez choisi le terrain de jeu de votre adversaire, ses méthodes et vous finissez couvert de boue.
Comment fait-on pour ne pas craquer et jeter l’éponge quand on subit moqueries, intimidations, etc. ?
Ils ont dû se dire que j’allais finir par craquer et partir faire autre chose. À la base, je n’étais pas forcément plus courageuse qu’une autre, ni extravertie. Mais un jour, lors d’un conseil municipal, il y a eu une bascule. J’ai demandé au maire pourquoi ses frais de représentation – les frais de bouche notamment – avaient autant augmenté. Il m’a hurlé dessus et a expliqué qu’il n’avait jamais quitté le territoire national – comme si on le soupçonnait de faire des grands voyages autour du monde. Sauf qu’à l’époque, il était aussi député européen…
Du coup, j’ai surenchéri : «Ah ! C’est pour ça qu’ils vous cherchent toujours à Bruxelles, il y a un siège qui vous attend là-bas, mais il est toujours vide». Là, toute la salle se marre – dont beaucoup de ses soutiens. Ce jour-là, je me suis dit : «On vient de déstabiliser pépère, juste avec une blague !» L’humour, la dérision, ça peut avoir plus de force que de crier et de rentrer dans leur jeu.
Autre anecdote : j’ai lu le livre de Jordan Bardella. Dedans, il dit croiser beaucoup de politiques sectaires, des gens qui sont désagréables avec lui. Sauf certains, qui sont plus sympas, et notamment «Marine Tondelier». Aux Rencontres de Saint-Denis [réunion des chef·fes des partis d’opposition, organisée par Emmanuel Macron en 2023, NDLR], il écrit : «Elle m’a lancé un sourire charmeur».
Il se peut qu’à un moment j’ai souri, car c’est mon naturel, figurez-vous ! Le pauvre, dans son parti, personne ne doit jamais lui sourire. Là, il a vu une personne joviale, donc il s’est fait un film. Ce qui est triste, c’est qu’il le raconte comme une conquête, dans son bouquin. J’étais vraiment déstabilisée… Mais vous voyez, l’humour, le sourire, la joie : ils ne sont vraiment pas prêts si on utilise ça contre eux !
Quand on vous hurle dessus, au conseil municipal, comment faites-vous pour rester calme ? Vous faites de la méditation ?
Le fait d’avoir écrit Nouvelles du front a contribué à lever l’emprise qu’ils pouvaient avoir sur moi. Quand tu écris, tu déposes les choses, tu les mets à distance. J’ai compris que ce n’était pas moi le problème – parce que des fois, je me mettais à douter.
Mon parti m’a aussi énormément soutenue. Quand j’ai commencé à monter les échelons chez les Verts, j’ai créé un groupe qui s’appelait «Militer dans l’adversité», pour rassembler des collègues qui bossaient eux aussi dans des villes compliquées. On formait un petit groupe de parole, avec un tour de table où tout le monde se présentait et racontait sa pire anecdote.
«L’écologie politique, dans ce qu’elle a toujours véhiculée, n’est pas compatible avec l’extrême droite.»
Ce qui m’intéresse, aussi, c’est d’apprendre des techniques. Celles de sportifs de haut niveau par exemple : des trucs sur la concentration, savoir faire la différence entre le terrain de jeu et ce qui se passe en dehors, etc. Et puis – ça les énerverait beaucoup s’ils m’entendaient -, je remercie ces élus RN. Si j’avais cherché un coach pour m’apprendre tout ce qu’ils m’ont appris, je n’en aurais jamais trouvé. Ou alors, ça m’aurait coûté très cher.
On entend de plus en plus qu’il faudrait parler d’écologie avec tout le monde. L’extrême droite doit-elle s’emparer de l’écologie ?
Tout le monde peut se prétendre écologiste. D’ailleurs, tout le monde le fait, y compris l’extrême droite. Mais ça ne colle pas. L’écologie, c’est ton rapport à l’écosystème. Quand tu veux protéger le vivant, tu ne peux pas protéger seulement le vivant vu par Brigitte Bardot.
Tu dois protéger tous les humains. Tu peux pas dire : «Tout ce qui est à Calais, je m’en fous complètement. Gaza, je m’en fiche.» Ça n’existe pas et ça ne peut pas exister. L’écologie d’extrême droite, l’écologie «intégrale», les pro-life… je vois toutes les dérives qu’il peut y avoir derrière ça.
L’écologie politique, dans ce qu’elle a toujours véhiculée, n’est pas compatible avec l’extrême droite. Je suis désolée pour eux, ça ne marche pas.
Serez-vous candidate aux prochaines élections municipales en 2026 à Hénin-Beaumont ?
J’étais tête de liste en 2020 et c’est le genre de trucs où tu mets au moins un an à t’en remettre ! C’est une aventure où il faut se donner pleinement. Alors, être tête de liste, je pense que je ne peux pas refaire ça, là, pour 2026.
Mais tous les copains avec qui je travaille depuis plusieurs années savent qu’ils peuvent compter sur mon soutien total. Ce que je fais tous les jours, en parlant d’Hénin-Beaumont, ça contribue au combat pour cette ville. Être de la bataille, oui ; être tête de liste, non. Je ne suis pas la mieux placée pour y consacrer l’énergie nécessaire.
En 2020, il y a eu un raz-de-marée électoral des écologistes aux municipales. Êtes-vous confiante pour le sort des villes écolos en 2026 ?
Il peut tout se passer, partout, tout le temps. Celui qui arrive à être confiant sur quoi que ce soit est quand même balèze. Mais je ne suis pas particulièrement inquiète pour les municipales dans les villes écologistes, parce que je vois bien le travail qui a été fait. Les bilans sont solides et bien identifiés par les habitants.
Cette réussite est aussi due au fait que, en tant qu’écolos, nous avons conscience que la richesse d’un écosystème est liée à sa diversité, alors nous savons faire fonctionner des équipes, des partenariats. Nous ne sommes pas dans une attitude ni hégémonique, ni de défiance, ni de brutalisation des autres.
«Dans un monde qui devient complètement incontrôlable, personne ne peut dire ce qui va se passer. On sait que tout va s’accélérer, c’est “voyage en terre écologique inconnue”.»
Ça, c’est ce que je pense pour les villes qui sont déjà écologistes. Après, il y a toutes les autres. Et là, tout peut se passer, donc affaire à suivre. Les mandats sont loin d’être finis. Ce qui me préoccupe, en ce moment, c’est la baisse des dotations des collectivités territoriales. Les maires nous disent à quel point ces coupes budgétaires les percutent. Et, par ailleurs, je suis aussi très inquiète pour Michel Barnier… ça va pas passer l’hiver, cette histoire [cet entretien a été réalisé le 27 novembre dernier, avant la censure du gouvernement, NDLR] !
Les écologistes sont historiquement anti-nucléaires ; aujourd’hui une jeune génération plaide pour le nucléaire parce que c’est une source d’énergie décarbonée. Est-ce que la ligne de votre parti a évolué sur cette question ?
Les Verts, c’est un parti qui s’est construit notamment sur l’opposition au nucléaire. Ce sont les mouvements anti-nucléaires dans les années 1960-1970 qui ont donné naissance à ce parti. Aujourd’hui encore, pour les Verts au niveau mondial – pas uniquement pour les Verts français -, la conclusion est que le nucléaire ne peut pas être une solution.
Certains pro-nucléaires en parlent comme d’un doudou : «Pas besoin de faire d’efforts sur l’énergie, il y a le nucléaire.» C’est l’idée que la technique nous sauvera toujours, donc allons-y gaiement ! Ne changeons pas ! Pas besoin de sobriété, ça va aller ! Dans le monde merveilleux des pro-nucléaires, il n’y a pas de déchets, c’est une énergie «propre».
Et parlons des EPR [réacteurs pressurisés européens, les grands réacteurs nucléaires récents comme celui de Flamanville, dans la Manche, NDLR] : Emmanuel Macron annonce vouloir en construire six grands. Sauf que les experts disent qu’industriellement on n’est pas capables de fabriquer les six d’un coup. Pourtant le président promet que ça pourrait être prêt en 2040 – si ça prend le même temps que pour Flamanville [dont le chantier a accusé 17 ans de retard, NDLR], ça ne va pas ouvrir tout de suite ! Mais admettons que ça ouvre en 2045. Ce sont des EPR qui sont censés durer 60 ans, ils seront encore en service en 2100. On ne peut pas prédire où sera le trait de côte à ce moment-là, ni quel sera le débit du Rhône. Or, on ne peut construire les EPR que près du littoral ou d’un fleuve.
Dans un monde qui devient complètement incontrôlable, personne ne peut dire ce qui va se passer. On sait que tout va s’accélérer, c’est «voyage en terre écologique inconnue».
On parle de crise énergétique, de crise écologique. Et si c’est une crise, ça veut dire que c’est maintenant que ça se passe ! Il faut déployer vite. Et on déploie quand même plus vite des éoliennes que des EPR. Quand on nous dit qu’il faut respecter l’Accord de Paris à horizon 2030, et que, pour ça, on va faire des EPR qui seront disponibles en 2045 : soit je suis très bête, soit on se moque de nous.
Comment on fait pour embarquer des personnes qui ne sont pas convaincues par l’écologie aujourd’hui ?
Ce matin, j’étais en Seine-Saint-Denis avec l’association Ghett’up. Ils ont écrit un rapport sur l’injustice climatique et l’une de leurs préconisations est d’arrêter de ne parler que des ours polaire et de montrer ce que vivent les gens : parler des femmes des quartiers populaires, des enfants asthmatiques qui vivent au bord des routes… en fait, parler de choses concrètes.
«Jean-Michel, qui regarde sa télé depuis la Picardie, il a le droit de ne pas se sentir représenté par des gens qui viennent du “triangle d’or écolo” Bastille-République-Belleville.»
Chez les Verts, j’entendais des copains dire que les ruraux et les gens des quartiers populaires ne faisaient pas d’efforts pour comprendre qu’on était de leur côté. Mais si les gens ne comprennent pas, c’est peut-être qu’on explique mal. Peut-être qu’ils ne se sentent pas représentés par des gens à la télé qui viennent du «triangle d’or écolo» Bastille-République-Belleville [à Paris, NDLR]. Jean-Michel, qui regarde sa télé depuis la Picardie, il a le droit de ne pas se sentir représenté.
Je pense qu’il faut ressembler aux gens et parler de ce qui les concerne. Vous ne pouvez pas dire au gars qui fait 40 kilomètres pour aller travailler que pour être écolo, il faut faire du vélo. Vous ne pouvez pas leur expliquer la vie, alors que vous vivez dans un endroit où c’est plus facile d’être écolo. Ça peut être violent et méprisant. On doit faire attention au mépris social, au mépris territorial.
Quels discours peuvent fonctionner dans les territoires ruraux, alors qu’il y a beaucoup d’endroits où les écolos sont vus comme des ennemis, notamment du monde agricole ?
Vous regardez les Grandes gueules sur RMC ? Dans cette émission il y a Didier, qui est en quelque sorte l’incarnation de la France rurale. C’est un agriculteur, il ressemble un peu à José Bové. Il n’arrête pas de dire : «on ne peut plus rien dire» et «les écolos nous font chier». C’est une histoire de bouc émissaire. Le gouvernement ne sait plus quoi dire aux agriculteurs, du coup il trouve un coupable : des fois c’est les migrants, là c’est les écologistes.
Mais quand on rencontre les agriculteurs, eux-mêmes en conviennent : depuis 40 ans, nous nous sommes battus pour protéger les terres agricoles contre la bétonisation. Nous avons aussi mené un combat pour des repas locaux à la cantine. En ce moment, on parle du Mercosur [zone de libre-échange qui regroupe plusieurs pays d’Amérique du Sud, actuellement en discussion avec l’Union européenne pour créer un marché commun de libre-échange rejeté par l’ensemble des agriculteur·ices français·es NDLR] : nous avons toujours été contre ces accords de libre-échange, et les agriculteurs le savent.
«L’écologie ça améliore votre quotidien et ça protège vos lendemains. Je ne sais pas qui ça peut bien punir.»
Et puis il y a le sujet de l’incarnation. Chez les Verts, nous sommes hyper fiers d’avoir Benoît Biteau avec nous. Il est éleveur en Charente et maintenant député. Il y a aussi Marie Pochon, fille et petite-fille de viticulteurs, qui a été élue dans une circonscription de 250 communes dans la Drôme. Quand ce sont eux qui parlent d’écologie dans la ruralité, ça a plus de sens et les gens s’identifient davantage.
On dit parfois que les écolos ne sont que dans les grandes villes. En réalité on a 100 maires écologistes, qui sont pour la majorité dans la ruralité ou dans des petites villes, comme à Luc-sur-Aude [dans l’Aude, NDLR], Auray [Morbihan] ou Saint-Egrève [Isère]. Mais évidemment on entend plus souvent parler des maires de Grenoble, Lyon ou Bordeaux, parce que ce sont des villes que les gens connaissent. L’un des défis pour les prochaines municipales, c’est de casser cette idée reçue.
Cet été, je n’ai rien compris au débat sur l’idée qu’il faudrait choisir entre la France «des bourgs» et celle «des tours» [vision qui opposerait la France de la ruralité et celle des banlieues et des quartiers populaires, NDLR]. Ça me dépasse. Peut-être parce que je suis une femme… je sais faire deux choses à la fois !
Vous ne pouvez pas faire de la politique en renonçant à parler à la moitié des gens. Chez les Verts, on revendique d’avoir un projet pour le littoral, un projet pour les montagnes… nous sommes adaptés à tous les territoires et nous le revendiquons.
Et je termine sur les municipales : n’oubliez jamais que l’écologie, c’est «Plus belle la vie». Allez voir dans les villes écolos : c’est du bio et du local dans les cantines, des pistes cyclables, des îlots de fraîcheur. L’écologie ça améliore votre quotidien et ça protège vos lendemains. Je ne sais pas qui ça peut bien punir. Au contraire, ça fait du bien !
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