Décryptage

Marine Le Pen, ennemie du climat et des vivants

La candidate du Rassemblement national (RN) a tenté de verdir son discours ces dernières années en portant une vision nationaliste et caricaturale de l’écologie. Marine Le Pen fait fi de la science et des expert·es et promet un programme intenable pour le climat et le vivant.
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C’est même pas Le Pen. « La crise cli­ma­tique ne con­stitue par la pri­or­ité de ma poli­tique étrangère », marte­lait Marine Le Pen en con­férence de presse la semaine dernière. Une prise de posi­tion symp­to­ma­tique de l’« écolo­gie nationale » portée par la can­di­date du Rassem­ble­ment nation­al (RN). Pour défendre son pro­jet, elle manie une tech­nique bien maîtrisée par l’extrême droite : con­sid­ér­er « l’autre » comme la source de tous nos maux. « La France n’a pas à sac­ri­fi­er le bien-être de sa pop­u­la­tion pour cor­riger les erreurs ou les abus des autres pays ! », évoque-t-elle dans son pro­gramme thé­ma­tique sur l’écologie.

La can­di­date promeut d’ailleurs l’idée fal­lac­i­euse que la France serait une bonne élève sur le cli­mat, élu­dant sa respon­s­abil­ité his­torique dans le réchauf­fe­ment cli­ma­tique ‒ elle occupe le 11ème rang mon­di­al. Selon les cal­culs du Cli­mate equi­ty ref­er­ence project, réal­isés à par­tir des émis­sions cumulées de gaz à effet de serre imputa­bles à la France et de sa capac­ité d’action finan­cière, la France devrait réalis­er 2,6 % de l’effort plané­taire de réduc­tion des émis­sions en 2030 même si elle ne représente que 0,7 % de la pop­u­la­tion mon­di­ale.

De nom­breuses ONG ont étril­lé le pro­jet de Marine Le Pen sur l’é­colo­gie.

De cette posi­tion cen­trée sur les intérêts sup­posés de la France découle de larges ambiguïtés sur le plan inter­na­tion­al. Mer­cre­di dernier, Marine Le Pen a promis de ne pas sor­tir de l’Accord de Paris, qui engage les États sig­nataires à con­tenir le réchauf­fe­ment cli­ma­tique bien en deçà de 2 °C par rap­port à la moyenne de l’ère préin­dus­trielle (milieu du 19e siè­cle). Dans son pro­gramme, la can­di­date affirme pour­tant, sans plus de pré­ci­sion, que la France répon­dra aux engage­ments de l’Accord, mais « par les moyens qu’elle aura choi­sis, et selon les étapes dont elle aura décidé ».

Dans le même temps, Marine Le Pen a annon­cé la semaine dernière sa volon­té de se retir­er du Fonds vert pour le cli­mat, le bras financier de l’Accord de Paris qui aide les pays les plus vul­nérables à s’adapter à la crise cli­ma­tique. Un quin­quen­nat Le Pen entraîn­erait inévitable­ment l’isolement de la France sur le plan de la poli­tique cli­ma­tique inter­na­tionale.

La confusion entre localisme et écologie

L’écologie sert le dis­cours anti-mon­di­al­i­sa­tion de Marine Le Pen en glo­ri­fi­ant le « local » par rap­port au « glob­al ». « Le local­isme, qui est un thème impor­tant à l’extrême droite dans les milieux iden­ti­taires depuis le début des années 2000, ren­voie à l’idée d’enracinement, en par­ti­c­uli­er dans un ter­ri­toire », analyse pour Vert Stéphane François, poli­to­logue auteur d’un livre inti­t­ulé Les Verts-bruns, l’écologie de l’extrême droite française.

« C’est une décli­nai­son du patri­o­tisme économique, qui est très cher au RN, qui con­sid­ère qu’on doit tou­jours favoris­er une entre­prise française, même si elle pro­duit mal ou cher. Mais ce n’est pas de l’écologie », abonde Erwan Lecœur, soci­o­logue spé­cial­isé dans l’extrême droite et l’écologie poli­tique. Ain­si, lorsque le pro­gramme de Marine Le Pen met l’accent sur l’agriculture française, il n’est pas ques­tion de dévelop­per l’agroécologie à l’échelle locale, mais plutôt de soutenir les fil­ières agri­coles tra­di­tion­nelles (et indus­trielles) français­es.

Pour le soci­o­logue, cette con­fu­sion découle du « manque total de com­préhen­sion » qu’a Marine Le Pen des enjeux envi­ron­nemen­taux, qui débouche sur un pro­jet édul­coré et car­i­cat­ur­al. Son pro­gramme insiste sur la « beauté » et la « splen­deur de nos paysages », la préser­va­tion du « cadre de vie » et du « pat­ri­moine » des Français·es.

Une vision immatérielle et abstraite qui sou­tient une fois de plus le dis­cours iden­ti­taire et xéno­phobe de Marine Le Pen. « Ce sont les pop­u­la­tions unies par la longue durée de présence sur un ter­ri­toire qui peu­vent revendi­quer leur com­plic­ité avec la nature, cette inter­dépen­dance avec l’environnement qui fait la diver­sité des cul­tures humaines, et que le nomadisme for­cé et les migra­tions de masse détru­isent sans retour », sou­tient la can­di­date dans son pro­gramme.

Sa défense du pat­ri­moine nation­al s’étend jusqu’au mode de vie des Français·es. Elle promet qu’elles et ils pour­ront con­tin­uer à utilis­er leur voiture, pren­dre des bains chauds et appréci­er les feux de chem­inée lors du réveil­lon de Noël. Une attaque à peine masquée envers les maires écol­o­gistes, cibles de polémiques pour avoir retiré des sap­ins de Noël munic­i­paux ou le foie gras de cer­tains repas offi­ciels.

Marine Le Pen se voit en défenseuse du peu­ple face à l’écologie « puni­tive » des écol­o­gistes.

L’écologie « puni­tive » devient l’épouvantail agité par le Rassem­ble­ment nation­al pour se mon­tr­er proche du peu­ple et con­tre les élites « hors-sol ». « Le dis­cours de MLP est sim­ple, il con­siste à dire : “Nous devons respecter et con­serv­er notre envi­ron­nement, mais nous ne devons surtout pas nous empêch­er de vivre.” Elle promeut une écolo­gie qui ne fait de mal à per­son­ne, où l’on ne s’empêche de rien. Par déf­i­ni­tion, c’est une non-écolo­gie », décrypte le spé­cial­iste Erwan Lecœur.

Le printemps du nucléaire

Pour Marine Le Pen, l’avenir sera nucléaire ou ne sera pas. Selon elle, il s’agit de la seule énergie qui pour­rait décar­bon­er la France. Quitte à nég­liger la fais­abil­ité du pro­jet. Son objec­tif est sim­ple : un mix élec­trique avec 75 % de nucléaire ‒ l’atome y compte actuelle­ment pour 67,1 %. La can­di­date RN a promis cinq nou­velles paires de réac­teurs EPR pour une mise en ser­vice en 2031 ain­si que cinq paires d’EPR 2 pour 2036 dans un plan inti­t­ulé « Marie Curie ».

Marine Le Pen mise sur la pro­lon­ga­tion de l’ensemble des réac­teurs jusqu’à leurs 60 ans. Une mesure pour le moins auda­cieuse, alors que la durée de vie théorique des réac­teurs a seule­ment récem­ment été portée à 50 ans par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Début jan­vi­er, le directeur général adjoint du « gen­darme du nucléaire », Julien Col­let, soulig­nait auprès de Ouest-France qu’une pro­lon­ga­tion au-delà du demi-siè­cle était loin d’être acquise.

Preuve sup­plé­men­taire, s’il en fal­lait, du fait que sa cam­pagne se joue sur les idées plus que sur la fais­abil­ité, la can­di­date d’extrême droite souhaite aus­si rou­vrir la cen­trale de Fes­sen­heim (Haut-Rhin), fer­mée en 2020. Selon plusieurs experts, rien n’indique que le site pour­rait un jour rou­vrir, étant don­né l’avancement de son déman­tèle­ment (La Tri­bune).

Ce pro­gramme énergé­tique s’illustre autant par sa démesure que par son impré­pa­ra­tion. Inter­rogé par le Monde sur les scé­nar­ios du mix élec­trique en 2050 élaborés par le Réseau de trans­port d’électricité (RTE — notre arti­cle), Bernard Doroszczuk, le prési­dent de l’ASN, jugeait déjà « ambitieux » un scé­nario avec près de 50 % d’électricité d’origine nucléaire. « Ce scé­nario repose sur des hypothès­es struc­turantes qui ne sont pas jus­ti­fiées à ce stade », con­statait-il. Dif­fi­cile d’imaginer un scé­nario qui tienne la route avec 25 % de nucléaire en plus.

Les renouvelables, mais pas n’importe lesquelles

Sans plus de pré­ci­sion, la can­di­date RN explique aus­si dans son pro­gramme vouloir dévelop­per « mas­sive­ment » l’hydroélectricité, la géother­mie, l’hydrogène et les éner­gies renou­ve­lables. Mais pas n’importe lesquelles, car Marine Le Pen pour­suit sa croisade con­tre les éoli­ennes, qu’elle accuse de défig­ur­er les paysages français. Son pro­jet inclut un mora­toire sur l’éolien et le solaire et va jusqu’au déman­tèle­ment des éoli­ennes déjà en place, qui comptent aujourd’hui pour près de 8 % du mix élec­trique.

Une posi­tion à rebours des objec­tifs envi­ron­nemen­taux de la France, comme l’indiquait RTE en févri­er dans son rap­port sur les scé­nar­ios énergé­tiques à l’hori­zon 2050. « Un mora­toire sur les éner­gies renou­ve­lables rend impos­si­ble la réin­dus­tri­al­i­sa­tion et le respect des tra­jec­toires cli­ma­tiques à compter de la décen­nie 2030 », tranche le ges­tion­naire du réseau de trans­port de l’électricité.

Autre sujet lié à la con­som­ma­tion énergé­tique : les pas­soires ther­miques. Marine Le Pen s’est déclarée opposée à l’interdiction de la loca­tion des loge­ments les plus éner­gi­vores dès 2025, comme cela est prévu dans la Loi « Cli­mat et résilience ». Ce qui con­stitue pour­tant une mesure de jus­tice sociale et cli­ma­tique : trois mil­lions de foy­ers sont en sit­u­a­tion de pré­car­ité énergé­tique en France mét­ro­pol­i­taine, selon les derniers chiffres de l’Observatoire nation­al de la pré­car­ité énergé­tique. Cette dis­po­si­tion per­me­t­trait aus­si de réduire la dépen­dance au gaz russe, qui représente un peu moins de 20 % de la con­som­ma­tion nationale, util­isé notam­ment pour chauf­fer les loge­ments. Au reste, Marine Le Pen estime tout bon­nement que « ban­nir le pét­role ou le gaz russe, c’est sanc­tion­ner lour­de­ment les Français, les entre­pris­es français­es ».

L’impasse sur des sujets essentiels

Marine Le Pen rate aus­si le coche sur le sujet des trans­ports, le secteur le plus émet­teur de gaz à effet de serre (GES) à l’échelle française (Cit epa). Elle pro­pose une réduc­tion de la TVA (de 20 % à 5,5 %) sur les car­bu­rants. Une mesure pos­i­tive pour le pou­voir d’achat des ménages, mais qui « freine tout sevrage des éner­gies fos­siles », décrypte le think tank Ter­ra Nova. La can­di­date RN souhaite instau­r­er la gra­tu­ité des trans­ports en com­mun pour les 18–25 ans, une mesure intéres­sante quoique insuff­isante pour s’attaquer à l’enjeu d’accessibilité des trans­ports, selon l’analyse du Réseau action cli­mat. Enfin, Marine Le Pen pro­pose de restau­r­er la vitesse à 90 km/h sur les routes nationales, alors que la lim­i­ta­tion a un impact posi­tif sur la réduc­tion de la con­som­ma­tion de car­bu­rant.

Plus large­ment, son pro­jet, iné­gal­i­taire sur les plans soci­aux, économiques et cul­turels, qui vise à mar­gin­alis­er une par­tie de la société, con­stitue égale­ment un dan­ger dans la lutte con­tre la crise cli­ma­tique. Comme l’ont rap­pelé les sci­en­tifiques du Groupe d’experts inter­gou­verne­men­tal sur l’évolution du cli­mat (Giec) dans le deux­ième volet de leur dernier rap­port, les dégâts causés par la crise cli­ma­tique ne sont pas directe­ment cor­rélés à la tem­péra­ture ou au nom­bre d’événements graves. Le niveau de risque dépend large­ment de la vul­néra­bil­ité des sociétés (et Marine Le Pen ne prévoit rien pour adapter la France au défi cli­ma­tique), mais aus­si des iné­gal­ités et de l’inclusion ou de la mar­gin­al­i­sa­tion de cer­tains groupes soci­aux.

Le vaste sujet de la bio­di­ver­sité est évac­ué en un para­graphe flou. La can­di­date n’émet aucun objec­tif pré­cis de con­ser­va­tion d’espaces ou d’espèces pro­tégées. Marine Le Pen se veut un peu plus pro­lixe sur le sujet du bien-être ani­mal : elle souhaite accorder une « recon­nais­sance con­sti­tu­tion­nelle au statut juridique des ani­maux » et ren­forcer les peines liées aux infrac­tions com­mis­es con­tre ces derniers.

Un de ses chevaux de bataille con­cerne l’abattage sans étour­disse­ment, pra­tique rit­uelle liée à l’islam et au judaïsme, qu’elle souhaite inter­dire. En revanche, la can­di­date ne se prononce pas sur la régu­la­tion de la chas­se, l’élevage indus­triel ou la pêche inten­sive. De quoi mon­tr­er que son amour des chats, savam­ment mis en scène par Marine Le Pen, n’est pas suff­isant pour porter un pro­gramme écologique à la hau­teur des enjeux du XXIe siè­cle.