En cher et en noces. Cette semaine, la présidente de Vert nous raconte les préparatifs du mariage de Jeff Bezos et Lauren Sanchez à Venise. Le bilan carbone des festivités s’annonce colossal, dans une ville frappée de plein fouet par les bouleversements climatiques. Cliquez ici pour (ré)écouter cette chronique diffusée sur France inter, mercredi 25 juin 2025.
Mathieu Vidard : Juliette, vous nous parlez de milliardaires et d’une lagune menacée
Oui Mathieu, pour ma dernière chronique dans La Terre au carré, j’ai choisi de vous raconter une fable des temps modernes. C’est l’histoire de Jeff Bezos, 61 ans, fondateur d’Amazon, et de sa fiancée Lauren Sanchez, 55 ans, ex-présentatrice du groupe de médias conservateurs Fox.
Les deux tourtereaux vont se marier cette semaine à Venise, en Italie. Une petite fête en toute simplicité, vous l’imaginez bien : 250 invités tous plus riches et célèbres les uns que les autres –Mark Zuckerberg, le fils Trump, George Clooney –, six palaces privatisés… le tout pour la bagatelle de 15 millions d’euros.
Jeff Bezos, c’est aussi la troisième fortune mondiale – 192 milliards d’euros au compteur, selon Forbes. Parmi ses joyaux, on trouve bien sûr Amazon, leader mondial du commerce en ligne ; le Washington post, a qui il a interdit de publier des tribunes défavorables à l’économie de marché ; et Blue origin, qui permet à des stars de s’envoyer en l’air dans la haute atmosphère.
Lauren Sanchez, elle, a reçu au mois de mai dernier, à Cannes, un prix pour son «plaidoyer pour la justice climatique» en tant que vice-présidente du Fonds Bezos pour la Terre…. qu’elle est allée chercher à bord de son superyacht de 127 mètres de long. Et, plus tôt dans l’année, elle s’offrait aussi une escapade de onze minutes dans l’espace, aux côtés de la chanteuse Katy Perry.
Encore une bonne nouvelle pour le climat, ce mariage ?
Vous avez du flair, Mathieu. Le couple devrait rejoindre la Croatie à bord de ce même superyacht équipé de trois jacuzzis, une piscine, un héliport – avant de finir le trajet en hélicoptère jusqu’à Venise. Le Koru – c’est son petit nom – relargue à lui seul plus de 7 000 tonnes de CO2 par an, selon l’université de l’Indiana. C’est grosso modo ce qu’émettent 700 Français en une année. Les invités, eux, arriveront à bord de quelque 95 jets privés. Parce que, oui, pourquoi pas ?
Le comble dans cette histoire ? Ce grand raout se déroule à Venise, l’une des villes les plus menacées par le changement climatique. En juillet 2023, l’Unesco proposait de la classer sur la liste du patrimoine mondial en péril, et pointait des mesures «insuffisantes» face au tourisme de masse et à la montée des eaux… aggravés très exactement par ce genre d’événement climaticide.
Et certains habitants sont vent debout contre ce mariage…
À Venise, tout le monde ne sabre pas le prosecco en l’honneur des tourtereaux. Un collectif baptisé «No Space for Bezos», que l’on peut traduire par «Pas de place pour Bezos», s’organise depuis plusieurs semaines : affiches sur les murs, tracts au bord des canaux, avec ce slogan clair, rapporte le journal Le Monde : «Venise n’est pas à vendre, Venise n’est pas à louer.»
Lundi, des militants de Greenpeace et du collectif britannique « Everyone Hates Elon » – c’est-à-dire «Tout le monde déteste Elon», on parle d’Elon Musk, bien entendu – ont déployé une immense banderole sur la place Saint-Marc. On y voit le visage de Jeff Bezos accompagné de ce message : « Si tu peux louer Venise pour ton mariage, tu peux payer plus d’impôts.»
Mais qu’on se rassure, Jeff Bezos ne vient pas les mains vides : pour compenser cette noce XXL, il a promis un don d’un million d’euros à un consortium d’universités et d’institutions locales chargé de la préservation de la lagune. Un million, rapporté à la fortune de Bezos, ça représente environ… 70 centimes pour un Français au Smic.
Cette histoire dit beaucoup de notre époque. Celle où les ultra-riches organisent des fêtes royales dans des lieux menacés qu’ils prétendent sauver à coups de dons défiscalisés. Où les symboles de la crise – superyachts, jets privés, villes noyées sous les eaux et les touristes – cohabitent dans un même décor. Une époque où l’on célèbre l’amour au sommet de la pyramide des inégalités, pendant que le monde, lui, vacille.
