Analyse

Le sorgho, la céréale du futur dans un monde en surchauffe ?

Il y a du blé à se faire. Cinquième céréale la plus cultivée dans le monde, le sorgho fait de plus en plus d'adeptes en France. Sa résistance aux fortes chaleurs et ses faibles besoins en eau en font un allié pour faire face aux changements climatiques dans l'agriculture. Enquête sur la céréale qui monte.
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Jean-Bernard Lozi­er laboure le champ qui accueillera ses semis de sorgho au print­emps : « J’at­tends que la terre soit suff­isam­ment réchauf­fée et que les con­di­tions de tem­péra­ture soient bonnes pour semer », explique cet agricul­teur de l’Eure. Depuis un an, il cul­tive cette plante peu com­mune dans l’hexagone. Elle est pour­tant la cinquième céréale la plus pop­u­laire dans le monde, après le maïs, le riz, le blé et l’orge. Une plante dont les nom­breux avan­tages font grimper sa cote en France.

« Le sorgho, un atout pour notre avenir », trompé­tait le troisième con­grès européen organ­isé en octo­bre dernier à Toulouse par Sorgho-ID, une asso­ci­a­tion qui regroupe les professionnel·les de cette céréale en Europe. Il faut dire qu’elle a de quoi séduire. Le sorgho con­somme env­i­ron 30 % d’eau en moins que le maïs, notam­ment grâce à un sys­tème raci­naire qui s’im­plante plus pro­fondé­ment sous terre. Un moyen de con­tribuer, en plus, à la lutte con­tre l’éro­sion des sols. Plus résis­tant au stress hydrique, le sorgho l’est aus­si au stress ther­mique : la plante est plus résiliente que le maïs lorsque s’en­chaî­nent les jours de fortes chaleurs. Le sorgho con­naît peu de ravageurs, per­me­t­tant d’éviter le recours aux pes­ti­cides ; il néces­site peu d’en­grais naturels ou chim­iques, ce qui en fait une cul­ture économique.

Les grains de la plante peu­vent être con­som­més aus­si bien par les ani­maux que les humains. Sous forme de farine ou de semoule, on peut en faire du pain, des galettes, des pâtes ou de la bière. L’ensem­ble de la plante peut aus­si être util­isé pour faire du four­rage pour les ani­maux ; une alter­na­tive au maïs, qui pompe à lui seul la moitié de l’eau util­isée en France pour l’ir­ri­ga­tion, essen­tielle­ment afin de nour­rir le bétail.

Le sorgho est cul­tivé depuis plusieurs mil­lé­naires. Orig­i­naire d’Afrique, il s’est répan­du sur les cinq con­ti­nents. En France, il fut pro­gres­sive­ment intro­duit à par­tir du Moyen-Âge dans les régions du sud-ouest. Longtemps anec­do­tique, sa pro­duc­tion a crû dans l’après-guerre. Mais les sur­faces ont bais­sé à par­tir de la fin des années 1980. Les réformes de la poli­tique agri­cole com­mune ont défa­vorisé la cul­ture de cette céréale face à d’autres, plus com­péti­tives en ter­mes de prix et de ren­de­ments.

Sorgho © Lar­ry Rana, Unit­ed States Depart­ment of Agri­cul­ture

Le sorgho revient pour­tant en grâce. 2020 a con­sti­tué une année-record en ter­mes de sur­faces cul­tivées en France, avec 115 098 hectares, selon FranceA­griMer, un étab­lisse­ment pub­lic placé sous la tutelle du min­istère de l’Agriculture. Soit plus du dou­ble de la sur­face enreg­istrée deux ans plus tôt (60 765 hectares). Ce regain d’in­térêt se remar­que aus­si bien dans les régions où il s’est implan­té autre­fois — comme l’Oc­c­i­tanie, que dans des régions plus septen­tri­onales. « Depuis quelques années, l’aire de cul­ture du sorgho s’é­tend plus au nord dans la val­lée de Loire, dans le Cen­tre, voire jusqu’en Bour­gogne », détaille Jean-Luc Verdier, respon­s­able des activ­ités sorgho chez Arvalis, un insti­tut tech­nique agri­cole spé­cial­isé dans le végé­tal. Une exten­sion « per­mise par le change­ment cli­ma­tique avec une hausse glob­ale des tem­péra­tures qui crée des con­di­tions favor­ables, mais aus­si grâce à un tra­vail de sélec­tion var­ié­tale pour per­me­t­tre l’émer­gence de var­iétés plus pré­co­ces ».

Une nouvelle manne que lorgne l’industrie

Les grands acteurs du secteur agri­cole ont le sorgho en ligne de mire. « Les recherch­es se sont dévelop­pées parce qu’on y voit un intérêt fort en rai­son des car­ac­téris­tiques intrin­sèques du sorgho dif­férentes des autres céréales, comme sa résis­tance à la sécher­esse, ain­si qu’en rai­son de la mul­ti­tude de débouchés qu’il offre, aus­si bien pour l’al­i­men­ta­tion ani­male, humaine, que pour servir de bio­masse pour les méthaniseurs ou en util­isant son ami­don pour faire des bio­plas­tiques », décrit Mar­tin Gomez, chargé de développe­ment de la Fédéra­tion française des pro­duc­teurs de semences de maïs et de sorgho. Entre 2019 et 2021, le nom­bre de nou­velles var­iétés soumis­es au Geves (Groupe d’é­tude et de con­trôle des var­iétés et des semences) pour une autori­sa­tion de mise sur le marché a dou­blé. 27 var­iétés de sorgho four­rager et 41 var­iétés de sorgho grains sont désor­mais acces­si­bles en France.

Cer­tains acteurs se sont donc engouf­frés dans la brèche. Comme la coopéra­tive Nat­up, qui a encour­agé ses adhérent·es, dont Jean-Bernard Lozi­er, à tester le sorgho. « Dans le sud de l’Eure où je me trou­ve, il y a des déficits hydriques impor­tants et peu de sys­tèmes d’ir­ri­ga­tion. Sur les 300 agricul­teurs du bassin, il n’y en a que cinq qui irriguent. Comme je ne suis pas très favor­able au développe­ment de l’ir­ri­ga­tion, je cherche d’autres solu­tions », explique-t-il. Pas­sion­né d’a­gronomie et de nou­veaux chal­lenges, il s’est donc lais­sé ten­ter par cette plante qui « sent le sud » et qu’il savait plus résis­tante à la sécher­esse que le maïs. Il s’en­gageait aus­si avec l’as­sur­ance d’avoir un filet de sécu­rité, grâce au débouché assuré par la coopéra­tive.

Des animaux d’élevage aux consommateurs de sans gluten

Pour vivre de cette cul­ture, il lui faut trou­ver des débouchés. Pour l’heure, le sorgho cul­tivé en France sert qua­si-exclu­sive­ment à l’al­i­men­ta­tion ani­male, les trois quarts sous forme de grains, le reste sous forme de four­rage, selon une esti­ma­tion d’Ar­valis. Près de la moitié de cette pro­duc­tion est con­som­mée directe­ment à la ferme, quand un tiers est exporté, d’après de FranceA­griMer. Dans le sud-ouest, la majeure par­tie du sorgho grains est par exem­ple envoyé en Espagne, deux­ième pro­duc­teur de porcs européen. Si le sorgho sem­ble être un atout face au réchauf­fe­ment cli­ma­tique, il repose donc prin­ci­pale­ment sur un sys­tème lié à l’él­e­vage. Hélas, la sci­ence est unanime : la con­som­ma­tion de pro­duits ani­maux doit dimin­uer pour lut­ter con­tre les rejets de gaz à effet de serre comme le dioxyde de car­bone ou le méthane, lim­iter la pol­lu­tion des sols, ou de l’eau.

Reste à con­va­in­cre les com­merces ali­men­taires de pro­pos­er la céréale à leurs client·es. Sans gluten, faible en glu­cides, elle est prin­ci­pale­ment con­nue par les per­son­nes allergiques, dia­bé­tiques ou souhai­tant réduire ces types d’ap­ports. Elle se trou­ve donc can­ton­née aux mag­a­sins spé­cial­isés ou biologiques. Pour accom­pa­g­n­er cette révo­lu­tion écologique et pro­mou­voir la fil­ière française, il va fal­loir se met­tre à la bière de sorgho ou rem­plac­er ses pâtes au blé par des nouilles fab­riquées avec un sorgho local. Chiche ?